LE TÉLÉPHONE acquiert progressivement le statut de principale interface d’accès à de nombreux services mais aussi une véritable mine d’informations à haute valeur pour les cybercriminels. En Afrique, il est encore difficile d’établir clairement le volume global de téléphones mobile contrefaits en vente. Cependant, dans certains marchés comme le Kenya, l’Afrique du Sud, le Ghana, le Nigeria ou encore la Tanzanie, où veillent des régulateurs réactifs, les données publiées témoignent de l’ampleur du phénomène.
Au Kenya, par exemple, l’Agence anti-contrefaçons (ACA) estime que sur tous les produits contrefaits dans le pays, 51,8 % sont des téléphones mobiles. Soit des millions d’appareils qui inondent le marché. C’est pour mettre fin à cette menace que l’Autorité des Communications du Kenya (CAK) a adopté en 2018 des mesures de contrôle plus strictes, notamment l’octroi d’une autorisation d’importation aux seules entreprises détentrices d’une licence, et le dépôt dans ses services de chaque échantillon de téléphone importé pour des tests techniques. D’autres pays ont imité le Kenya. C’est le cas du Nigeria, où le Bureau du conseil à la sécurité nationale (ONSA) et plusieurs autres agences gouvernementales ont créé, le 21 février 2019, un comité spécial chargé de combattre l’entrée de téléphones mobiles et appareils numériques contrefaits. Au Ghana, l’Autorité nationale des Communications (NCA) devra disposer d’un laboratoire des tests pour vérifier l’authenticité des téléphones vendus sur le marché.
En Ouganda, la Commission des Communications (UCC) s’est dotée en octobre dernier d’un dispositif technique qui lui permettra désormais d’identifier les téléphones contrefaits ou de seconde main.
Enjeux stratégiques
Cet engagement progressif contre les téléphones contrefaits en Afrique découle des nombreux enjeux stratégiques autour du mobile. Les experts du secteur notent qu’avec le développement rapide de la connectivité à haut débit qui fait exploser l’offre et la demande de services numériques, le téléphone mobile est en train de devenir l’outil de prédilection à travers lequel des millions d’Africains accèderont à des services à fortes valeur ajoutée, dans un monde en pleine numérisation.
Loin de se limiter encore à des appels, de plus en plus de consommateurs utilisent déjà le portable pour réaliser, stocker et partager des photos et vidéos, contacter des amis et parents sur les réseaux sociaux, poster des avis sur des blogs, surfer sur Internet, télécharger et écouter de la musique et procéder à des opérations bancaires. Cette dépendance au mobile traduit à suffisance l’important risque de sécurité auquel les téléphones contrefaits, en dessous des normes internationales, exposent une grande partie de la population.
De nombreux types de programmes malveillants circulent continuellement sur Internet, détectant les appareils mobiles sensibles. Pour infecter les portables, les cybercriminels utilisent des logiciels malveillants (chevaux de Troie, virus, logiciels espions, vers, etc.) conçus pour chercher les numéros de cartes de crédit, de sécurité sociale, les informations liées à un compte bancaire et autres. Pour le consommateur, il n’existe aucun moyen de s’assurer que le logiciel dans les portables ne scanne pas continuellement les informations introduites dans l’appareil à la recherche de renseignements permettant aux cybercriminels de commettre un acte illégal ou simplement de s’introduire dans la vie privée.
Selon la firme de cybersécurité Symantec, l’Afrique risque de devenir le terrain privilégié d’opérations pour les cybercriminels au regard des nombreuses failles de sécurité informatique qu’elle présente, notamment à travers les téléphones contrefaits qui inondent ses marchés. Ce sont plusieurs milliards de dollars, issus de diverses activités comme le chantage ou encore le vol des fonds privés, qui sont en jeu.
Qualité de service
Comparé aux téléphones de qualité, les appareils contrefaits ne subissent aucun test et évaluation de conformité avant d’être mis sur le marché. Dans une étude commandée par la GSM Association, Qualcomm révèle que les lacunes des téléphones contrefaits ont également un impact sur le réseau en termes de pertes de capacité au niveau des appels, de vitesse de transmission des données et de qualité de la couverture.
L’entreprise américaine, spécialisée dans la conception et la mise en place de solutions de télécommunications, indique que ces types d’appareil nuisent non seulement à l’expérience de l’utilisateur, mais sont également à l’origine de lourdes charges pour les opérateurs réseau qui sont obligés d’investir continuellement dans de nouvelles tours télécoms pour densifier la couverture réseau et éviter aux consommateurs de poches de couverture qui réduisent l’exposition au réseau télécoms.
Outre les nuisances de service, un risque majeur plane également sur la santé des consommateurs. Selon Michael Milligan, le secrétaire général de Mobile & Wireless Forum (MWF), une association internationale représentant les fabricants d’appareils mobiles et sans fil, les smartphones contrefaits représentent un danger pour les consommateurs. Ces appareils sont fabriqués à partir de matériaux non conformes aux normes, qui peuvent contenir des niveaux dangereux de métaux et de produits chimiques tels que du plomb. Dans la plupart des cas, les téléphones et leurs chargeurs ne respectent pas les mêmes normes de sécurité électrique de base.
Mobile Manufacturers Forum, une association internationale de fabricants d’équipements de communication mobile et sans fil, indique que des substances dangereuses, en particulier du plomb (Pb), ont été découvertes dans tous les téléphones portables sans marque/chinois, dans des concentrations extrêmement élevées. Dans des concentrations plusieurs fois supérieures aux limites acceptables au niveau mondial.
De nombreux composants critiques tels que le logement pour la carte mémoire, celui pour la carte SIM, l’appareil photo, etc. qui impliquent un contact physique direct pour le consommateur, se sont avérés être ceux contenant le plus de substances dangereuses. Les risques étant bien plus importants que s’il s’agissait de composants se trouvant à l’intérieur des appareils.
En revanche, les tests effectués sur les téléphones de marques internationales et autre marques reconnues ont démontré que ces appareils respectaient les limites acceptables de la directive RoHS (qui vise à limiter l’utilisation de six substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques) et qu’ils étaient par conséquent plus sûrs pour le consommateur. Si rien n’est fait pour barrer la voie aux téléphones contrefaits, les cas d’empoisonnement aux métaux et produits chimiques, tous comme les cas de maladies résultant d’exposition aux rayonnements électromagnétiques pourraient devenir une cause majeure de santé en Afrique.
Les téléphones portables contrefaits, au-delà des enjeux de sécurité, de qualité de service et de santé, ont également un impact sur les finances publiques. L’impact le plus significatif est la perte de recettes fiscales car ces produits échappent aux droits de douanes et taxes de ventes. Les sociétés impliquées évitent par ailleurs de payer les impôts sur un quelconque bénéfice au risque de se faire prendre. Alors que de nombreux pays multiplient les actions de lutte, certains ont opté pour une autre approche qui garantit non seulement la qualité des appareils vendus sur leur marché, mais également la santé des consommateurs tout en générant de la richesse pour l’économie nationale : c’est la promotion des entreprises ou des unités locales de fabrication ou d’assemblage de téléphones.
Mara Phone s’est récemment installé au Rwanda et en Afrique du Sud ; Silicon Industries Corporation en Egypte. En Algérie, Condor est devenu avec le temps un fabricant prisé. DITEC s’est imposé au Botswana tandis qu’au Congo, Vérone Mankou gagne progressivement en visibilité avec ses appareils produit par VMK. Des exemples à suivre…