UN PROCÈS-verbal est venu sceller l’accord qui a été trouvé. Il a été signé conjointement le mercredi 3 juin par Justin Kalumba Mwana Ngongo, le ministre des Classes moyennes, des Petites et Moyennes Entreprises et de l’Artisanat (pour le compte du gouvernement), Kalej-Nkand, le directeur général de l’Autorité de régulation de la sous-traitance dans le secteur privé (ARSP), et Albert Yuma Mulimbi, le président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), en présence des ambassadeurs des Pays-Bas et du Royaume de Belgique.
L’accord porte sur trois points majeurs : le champ d’application de la loi n°17/001 de février 2017 sur la sous-traitance, spécialement en ce qui concerne les articles 2 et 3, la légalité de la création de l’ARSP et sa tutelle ainsi que l’enregistrement des sociétés de la sous-traitance et le prélèvement d’une quotité sur le marché de la sous-traitance prévu par le décret au profit de l’ARSP dont une partie sera affectée au Fonds de garantie des PME. C’est un pas qui a été franchi. Et la prochaine étape consistera à présenter au Conseil des ministres deux projets d’amendement du décret sur la création de l’ARSP et de celui portant sur les mesures d’application de la loi.
Vendredi 5 juin, le ministre Kalumba a fait rapport au Conseil des ministres des concertations sur l’application de la loi n° 17/001 de février 2017. En février dernier, le Conseil des ministres avait recommandé l’assouplissement des mesures d’application plutôt que de réviser la loi. Ainsi, a annoncé Justin Kalumba, le taux querellé de 5 % a été ramené à 1,2 % hors TVA, avec 0,2 % affecté au Fonds de garantie des PME, d’une part, et l’assouplissement de l’article 6 de la loi qui réserve la sous-traitance aux seules entreprises congolaises, sauf en cas d’incapacité et de manque d’expertise nécessaire.
Pour faire concret, la loi de 2017, elle-même, devra être révisée pour l’adapter aux réalités. En attendant, l’ARSP va marquer sa présence à travers le pays. Elle a été mise sur orbite par le ministère des Classes moyennes, des Petites et Moyennes Entreprises et de l’Artisanat, le 30 octobre 2019. Justin Kalumba avait présenté au Conseil des ministres deux projets de décret portant création, organisation et fonctionnement de l’ARSP ainsi que création, organisation et fonctionnement du comité de suivi des activités de la sous-traitance dans le secteur privé. Ces projets de décret procédait de la nécessité d’assurer une mise en œuvre efficiente de la loi n°17/001 du 18 février 2017 fixant les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé et d’apporter à l’Autorité de régulation de la sous-traitance dans le secteur privé, une jeune administration, les « appuis politiques et décisionnels nécessaires pour l’implantation convaincante des règles régissant des activités de la sous-traitance dans le secteur privé ». Les deux projets avaient été adoptés moyennant des amendements.
L’option du libéralisme
La création de l’ARSP participe de l’amélioration du climat des affaires et de la promotion de l’entrepreneuriat et de la classe moyenne en République démocratique du Congo. En effet, lors de la présentation de son programme de gouvernement à l’Assemblée nationale en vue de l’investiture, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre, déclarait : « L’État congolais ayant levé l’option du libéralisme économique, il va sans dire que l’exploitation de nos différentes potentialités repose largement sur les investissements privés que nous sommes appelés à attirer et à sécuriser. Pour ce faire, l’amélioration du climat des affaires, la promotion de l’entrepreneuriat et de la classe moyenne apparaissent comme des nécessités impérieuses. »
C’est dans cette optique que le gouvernement s’est engagé à finaliser le processus de mise en œuvre du Traité et des Actes uniformes de l’OHADA ; mettre en place une Charte d’investissement qui va activer un système fiscal relatif aux nouvelles sociétés industrielles, ainsi qu’aux grandes, petites et moyennes industries exportatrices ; suivre et appliquer les indicateurs d’appréciation du climat des affaires édictés par le Doing Business; susciter la culture entrepreneuriale pour permettre l’émergence d’une classe moyenne congolaise.
C’est dans ce contexte, a indiqué Sylvestre Ilunga que son gouvernement « veillera particulièrement à l’application rigoureuse de la loi portant sur les activités de sous-traitance, afin d’amener les sociétés minières et autres grandes entreprises à conclure des contrats de prestation de services et d’exécution de travaux avec des petites et moyennes entreprises congolaises ». D’après lui, c’est par ce biais que le gouvernement peut les aider à « s’affirmer compétitivement sur le marché », et ainsi contribuer à l’élargissement de la base d’une classe moyenne nationale.
On s’en souvient, la mise en application de la loi n°17/001 de 2017 avait suscité le débat. Bien des opérateurs économiques relevaient plusieurs contradictions qui la rendent complexe. Et de ce fait, ils exigeaient que des « mesures correctives » fussent rapidement prises avant l’entrée en application de cette loi. D’après eux, elle constitue même un « danger » pour certains d’entre eux, qui redoutent d’en être exclus. Avant sa promulgation en avril 2017, la matière de sous-traitance était réglementée par un simple arrêté ministériel signé en 2013, portant uniquement sur le secteur minier.
Un délai de 12 mois avait été accordé aux entreprises exerçant dans ce secteur pour terminer les contrats en cours avant sa mise en application (mars 2018). La promulgation de cette loi a répondu à une attente de la FEC. En effet, le principal patronat du pays s’inquiétait de « l’afflux » de sous-traitants étrangers qui ne laissaient pas d’espace aux entrepreneurs et aux PME congolaises. C’est même une « évolution significative » que la FEC a salué patriotiquement. Cependant, le patronat regrettait de ne pas avoir été « consulté » ni lors de l’élaboration de la loi ni lors du débat quant à son adoption. C’est ainsi que la FEC réclamait une commission tripartite (gouvernement-secteur privé-présidence de la République) pour prendre de commun accord les mesures d’application. Selon Me Declerc Mavinga, vice-président de la commission juridique de la FEC, ceci avait l’avantage d’éviter « l’insécurité juridique ».
Insécurité juridique
Le rôle de la FEC n’est pas de « contester systématiquement » les décisions du gouvernement. Au contraire, expliquait Albert Yuma Mulimbi, c’est même un devoir pour elle de « les accompagner en amont afin de leur donner la chance de réussite sur le terrain ». Selon l’article 6 de la nouvelle loi, une entreprise ne pourra accéder à un marché de sous-traitance à la condition que ses capitaux doivent être congolais, que ses organes de direction doivent être animés par des Congolais et que son siège social doive être établi sur le territoire congolais.
Par ailleurs, en cas d’indisponibilité ou d’inaccessibilité d’expertise dûment prouvée dans le secteur d’activité visé, l’entrepreneur peut recourir à toute autre entreprise de droit congolais ou à une entreprise étrangère pour autant que l’activité visée ne dépasse pas six mois. À défaut, il crée une société de droit congolais. La violation de ces conditions expose naturellement à des peines et amendes, voire à la fermeture momentanée de l’entreprise ou à la suspension de l’entrepreneur principal. Selon des observateurs, l’application de cette loi dans ces conditions est en contradiction avec la constitution, qui prône la liberté d’entreprendre en RDC, qu’on soit Congolais ou étranger.
D’autres estiment que la loi met la RDC en porte à faux avec plusieurs organisations régionales à caractère économique, notamment l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA), le Marché commun des États de l’Afrique de l’Est (COMESA), la communauté de développement des États de l’Afrique australe (SADC), la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC)…
Néanmoins, tous sont d’accord que la loi fixant les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé vient donner corps au rôle que doit jouer le Congolais en tant qu’acteur économique actif dans son pays. On entend dire que le but est de voir éclore, à brève échéance, une classe moyenne nationale en RDC et la promotion d’une croissance économique véritablement inclusive et créatrice d’emplois.