De son bureau dans les beaux quartiers du centre de Londres, Nicolas Clavel est paradoxalement l’un des mieux placés pour témoigner de l’impact en Afrique du ralentissement chinois et de la crise des matières premières. Le directeur et fondateur de Scipion Capital est un gérant de hedge fund pas comme les autres.
Les produits dérivés complexes ou les montages financiers exotiques, ce n’est pas pour lui. Son travail est de financer les exportations de matières premières d’Afrique : avec des petits prêts de 2 à 10 millions de dollars sur moins de deux mois, il apporte l’argent nécessaire le temps du transport entre la mine et le port d’exportation.
Ce travail de courroie de transmission le place aux premières loges de la crise actuelle, les matières premières étant désormais à leur plus bas niveau depuis 1999. Les premiers signes de difficultés sont arrivés de République Démocratique du Congo, il y a un an. « Un de nos clients, une mine de cuivre, nous a dit que les Chinois ne leur avaient pas renouvelé de commande et qu’ils n’avaient donc pas besoin de nous. Depuis, on n’a plus entendu parler d’eux », explique Nicolas Clavel.
Dans la foulée, les exploitants de minerais de fer du Libéria et d’Afrique du Sud ont cessé de faire appel à Scipion. Quant au charbon, son cours s’est tellement effondré que certains sites sont au bord de la fermeture. « En Afrique du Sud, il y a des mines à six cents kilomètres de la mer pour lesquelles le coût du transport jusqu’au port n’est plus rentable. »
Au cœur de ces difficultés se trouve la Chine. L’Empire du Milieu représente désormais 28% des exportations africaines, soit 135 milliards de dollars l’an dernier (un tiers le pétrole, deux tiers le reste). Cela reste moitié moins que l’Europe, mais c’est une progression spectaculaire : il y en huit ans, la proportion n’était que de 4%.
Le soudain ralentissement chinois frappe donc de plein fouet l’Afrique. Il change également la concurrence. Avec des prix peu élevés, le coût du transport devient proportionnellement plus important, et le minerai de fer d’Australie, qui est plus près de la Chine, revient désormais moins cher.
Pour Scipion Capital, la disparition de ces clients n’a guère été un problème. A la place, le hedge fund s’est reporté vers les matières premières agricoles, café et cacao en particulier. Les pays ont changé : « on a plus travaillé avec le Ghana, la Zambie, le Botswana… La Côte d’Ivoire revient en force également. »
« Je pense qu’une dévaluation, ou une coupure en deux de la zone CFA, pourrait à terme être une solution. » Nicolas Clavel
Ce basculement d’une région de l’Afrique à une autre risque à terme de poser de sérieux problèmes monétaires, estime Nicolas Clavel. A l’intérieur de la zone CFA, les pays producteurs de pétrole sont durement touchés par la crise, tandis que les autres vont plutôt bien. « Je pense qu’une dévaluation, ou une coupure en deux de la zone CFA, pourrait à terme être une solution. »
Avec sa petite équipe d’une quinzaine de personnes qui voyagent sans cesse sur le terrain, Nicolas Clavel a trouvé une niche inhabituelle. Spécialiste de l’Afrique, ce Suisse, ancien banquier chez Barclays, a constaté le retrait partiel des grandes banques après la crise financière. Si les géants comme Louis Dreyfus ou Noble Group n’ont aucun problème pour se financer, les courtiers de taille moyenne peinent.
Il s’est engouffré dans la brèche. Le calcul est simple : les prêts de court terme pour faire le trait d’union entre l’acheteur et le vendeur ne présentent que très peu de risques financiers. La rentabilité est au rendez-vous : Scipion Capital affiche une rentabilité constante de 7 à 8% par an, et n’a jamais connu un seul mois dans le rouge depuis sa création en 2007. Le hedge fund reste cependant de petite taille, avec 130 millions de dollars d’encours.
Mais pour pratiquer ce métier, il faut une bonne connaissance du terrain en Afrique. La perte ou le vol des marchandises représente le plus gros risque. Il faut donc comprendre par quelle voie de chemin de fer, ou quelle route, le transport du matériel aura lieu, l’endroit où il sera entreposé, etc.
Nicolas Clavel vérifie donc que les entrepôts utilisés par ses clients n’aient qu’une seule porte, et pas une deuxième à l’arrière par où les marchandises pourraient disparaître. Il refuse de financer l’or ou le diamant, les jugeant trop dangereux. Il suit aussi de très près les travaux d’infrastructure et attend par exemple avec impatience l’ouverture d’une ligne de chemin de fer entre Lubumbashi, en RDC, et Dar-Es-Salam, en Tanzanie. « Cela réduirait le temps de trajet de 60 à 20 jours environ. » De quoi imaginer de nouvelles exportations.