Depuis plusieurs jours, la presse rapporte les tensions géopolitiques entourant l’accès aux potentiels vaccins contre le nouveau coronavirus. Les laboratoires font jouer la concurrence entre les Etats-Unis et l’Europe, espérant obtenir les meilleures conditions de commercialisation pour leur produit : qui donnera les meilleures garanties peut escompter bénéficier du meilleur approvisionnement de cette future denrée précieuse… Etant donné les plus de 28 000 morts en France à ce jour, les deux mois de confinement de près de la moitié de la planète et des prévisions de coût économique de la pandémie particulièrement alarmantes, il est difficile d’imaginer qu’un vaccin soit accueilli avec autre chose que du soulagement.
Malgré la pandémie, l’hésitation vaccinale demeure
De nombreux médecins, journalistes et chercheurs ont même exprimé leur espoir que cette pandémie, en montrant ce qui peut arriver en l’absence de vaccins, mette un terme à l’hésitation vaccinale qui sévit dans le monde, et plus particulièrement en France.Les premières données disponibles suggèrent pourtant que l’épidémie actuelle est loin d’avoir fait disparaître ces doutes. Avec mes collègues du projet Coconel (1), financé par l’Agence nationale de la recherche et dirigé par Patrick Peretti-Watel, nous réalisons des enquêtes hebdomadaires depuis le début du confinement afin d’étudier l’expérience qu’ont les Français de la pandémie.
Or ces données révèlent qu’entre 20 et 25 % de la population ne comptent pas se faire vacciner contre le nouveau coronavirus (2), résultats que nous commentons dans The Lancet Infectious Diseases. Le principal motif de cette réticence est l’idée que ce vaccin sera réalisé trop vite et risque par conséquent d’être peu sûr. Cette proportion d’hésitants est comparable à celle observée dans les enquêtes réalisées ces deux dernières années en France portant sur les vaccins plus généralement. Les données de nos études révèlent en particulier l’importance du facteur politique dans ces réticences : celles-ci sont bien plus fortes chez les personnes se sentant proches des partis d’extrême gauche et d’extrême droite, ainsi que celles se déclarant sans orientation politique et s’étant abstenues lors de la précédente élection présidentielle.
La défiance, problème classique pour les autorités de santé
L’importance de la politisation n’est pas vraiment étonnante. Par exemple, de nombreuses études américaines ont montré que la relative polarisation politique qui y a cours joue sur les attitudes vis-à-vis des vaccins. Les sympathisants républicains seraient ainsi plus réticents que les démocrates vis-à-vis de certaines vaccinations. Et en France, on observe depuis plusieurs semaines une politisation croissante des débats autour de la gestion de cette épidémie. Des figures de partis d’opposition ont présenté les choix effectués par le gouvernement Philippe comme des choix politiques reflétant l’idéologie du macronisme. Ces choix ont été replacés dans la trame des premières années du quinquennat d’Emmanuel Macron avec des rappels réguliers au mouvement des gilets Jaunes, aux tensions autour des propositions de loi sur les retraites, aux mobilisations des personnels soignants contre l’austérité budgétaire… Les difficultés rencontrées par les autorités (disponibilité des masques et des tests notamment) ont donné prise à cette critique politique ainsi qu’à la défiance.
La défiance vis-à-vis de ces futurs vaccins illustre un problème classique pour les autorités de santé : comment convaincre le public que les décisions prises le sont dans l’intérêt général et reflètent l’état des connaissances scientifiques ? Ce problème est exacerbé en situation épidémique, quand l’incertitude scientifique est importante, les mesures disponibles n’ont d’effets que limités et les politiques sont le visage de la gestion de crise et non les experts. Surtout, le contexte épidémique rappelle à quel point les décisions dans le domaine de la santé sont souvent éminemment politiques car elles intègrent des dimensions économiques, légales, diplomatiques, etc.
Les leçons du vaccin contre la grippe H1N1
Il est néanmoins important de noter qu’en France les vaccins n’ont pas encore été pris dans ces débats politiques autour de la gestion du Covid-19. On peut s’attendre à ce que les réticences à cette vaccination se diffusent lorsque ce sera le cas, ou plutôt si cela arrive. Pour l’instant, les seuls acteurs à se mobiliser contre ce vaccin (qui n’existe pas encore) sont issus des franges les plus radicales des mouvements critiques des vaccins. Mais le degré d’influence de ces «anti-vaxxers» ou «anti-vaccins», opposants qui n’ont jamais accepté le principe scientifique de la vaccination, est souvent surévalué. L’étude du précédent de la grippe H1N1 de 2009 offre certaines leçons sur ce point.
Les intentions de vaccination contre la grippe H1N1 n’avaient en effet réellement baissé qu’au moment où un débat avait émergé autour de la sécurité de ce vaccin. Dans un contexte où les savoirs sur le virus tendaient à montrer qu’il serait beaucoup moins mortel qu’attendu, certains avaient remis en cause sa «balance bénéfice-risque», arguant qu’il avait été produit trop rapidement et qu’il contenait des adjuvants potentiellement dangereux. Ce type de discours (en plus radical) était disponible dès les premiers mois, voire semaines, de l’épidémie sur les sites des plus ardents contempteurs de la vaccination.
Une communication transparente est cruciale
Cependant, ce n’est que lorsque la critique a été portée par des figures connues des mondes politique, médical et associatif qu’elle a émergé dans les médias et que le débat s’est imposé à l’agenda politique. Et on se souvient que finalement la campagne de vaccination a été un échec, avec seulement 8 % de la population vaccinée. Cette épidémie marquait ainsi le début d’une décennie très mouvementée pour les vaccins en France.
Pour terminer, il faut noter qu’en 2009, les gestionnaires de la crise de la grippe H1N1 avaient choisi de ne pas évoquer publiquement le sujet de la sécurité des vaccins, de peur que cela ne provoque des réactions irrationnelles dans le public. Ce choix avait été fait malgré la mise en place d’un dispositif de pharmacovigilance avancée. Dans le contexte actuel, où les autorités commencent à établir des procédures d’autorisation accélérées pour un futur vaccin, il nous semble crucial qu’elles communiquent tôt et de manière transparente sur ces procédures, afin d’éviter que les vaccins soient à nouveau pris dans les débats politiques.
(1) Le consortium Coconel réunit des chercheurs de l’UMR Vitrome (Vectorial Infections in Tropical and Mediterranean Areas, Marseille), du Centre d’investigation clinique Cochin-Pasteur (Paris), de l’Ecole des hautes études en santé publique (Rennes) et de l’Observatoire régional de la santé Provence-Alpes-Côte d’Azur (Marseille). Il s’appuie sur un comité de pilotage comprenant François Beck, Stéphane Legleye, Olivier L’Haridon, Jeremy K. Ward et Damien Léger. Il bénéficie d’un financement par le Fonds de crise de l’Institut de recherche pour le développement, et par l’appel à projets «Flash Covid-19» de l’Agence nationale de la recherche.
(2) Proportion stable mesurée sur quatre périodes hebdomadaires de trois jours, réparties du 27 mars au 17 avril, auprès d’un échantillon représentatif d’au moins 1 000 personnes pour chaque vague et de plus de 5 000 personnes en tout. Les notes décrivant les résultats des enquêtes sont accessibles sur http://www.orspaca.org/covid19/projets-recherche/coconel.