Un mode de scrutin partagé pour rénover la démocratie représentative

Supprimer le dispositif électoral actuel à scrutin majoritaire permettrait non seulement de responsabiliser les électeurs dans la sélection des candidats, mais laisserait aussi la possibilité de voir émerger de nouveaux courants.

 

Tout le monde en convient, le système électoral actuel, majoritaire à deux tours, a de gros défauts : il sous-représente gravement les mouvements minoritaires et il pousse à la constitution de camps hétérogènes, étanches et conservateurs. Ces distorsions contribuent à la crise de la démocratie représentative. Il faut donc innover, mais comment ?

En 1958, ce mode de scrutin visait à éviter que des mouvements tribunitiens puissants ne bloquent l’action du parlement, comme le Parti communiste durant la IVe République. Dans la France d’aujourd’hui, l’addition des candidats protestataires a dépassé les 48% des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle de 2017. On ne peut donc ignorer le problème.

Pour remplacer l’actuel mode de scrutin, on a évoqué une «dose de proportionnelle». Si l’on pense à ce qui se fait aux régionales et aux municipales, où l’on donne une prime de 25% à la liste arrivée en tête, il s’agit en fait d’une figuration et non d’une vraie représentation. Certes, les partis minoritaires ne sont plus exclus, mais la majorité n’est pas en jeu puisque le parti arrivé en tête est assuré d’obtenir plus de la moitié des sièges. Ce système cumule les inconvénients : rôle excessif des partis dans la désignation des élus et mauvaise représentation des courants politiques.

Les «proportionnelles renforcées», comme en Grèce (50 sièges attribués au parti arrivé en tête), sont perçues comme inéquitables et provoquent des effets imprévisibles qui varient selon les rapports de force entre partis. Mieux vaut éviter les arrangements peu lisibles ou ceux qui répondent à des préoccupations conjoncturelles ou à des choix tactiques et qui affaiblissent le principe de représentation au lieu de le renforcer. C’est ce qui a été perçu lors des changements opérés aux législatives de 1986 ou aux régionales en 2004.

Le scrutin partagé, deux votes simultanés

Pour échapper à ces écueils, il serait utile de débattre un mode de scrutin partagé. Proche de celui de l’Allemagne, il permettrait à chaque électeur d’émettre simultanément deux votes, au sein d’un scrutin uninominal par circonscription à un tour et dans le cadre d’un vote proportionnel par listes. Les sièges à pourvoir seraient divisés en deux parties égales, ce qui donnerait deux fois 289 sièges avec les effectifs actuels, deux fois 200 avec le projet de réduire le format de l’Assemblée nationale à 400 députés. La différence avec le système allemand porterait sur l’étanchéité des deux votes : la part majoritaire et la part proportionnelle porteraient chacune sur la moitié des sièges, ni plus ni moins.

La plupart des pays européens ont adopté le scrutin proportionnel, le plus souvent avec des variantes de ce qu’on appelle en France «la plus forte moyenne», avec parfois des seuils de voix à franchir pour obtenir des sièges, ces deux mesures permettant d’écarter les micro-partis et de prévenir la fragmentation du parlement.

Quant à la part majoritaire, le tour unique permet aux électeurs de sélectionner le candidat qu’ils préfèrent en tenant compte de l’offre, c’est-à-dire de «choisir» et d’«éliminer» du même mouvement, contrairement au système à deux tours, qui, en pratique, reproduit d’élection en élection les mêmes coalitions, aussi inconsistantes que puissent être les raisons de les constituer. L’inconvénient des systèmes à un tour, l’«effet cube», c’est-à-dire l’avantage très fort donné aux partis dominants, ne jouerait pas ici car il serait contrebalancé par la part proportionnelle, qui donnerait une vraie place aux oppositions.

Le calendrier électoral français, qui permet au président fraîchement élu de peser sur les législatives, rend très improbable l’absence d’une majorité claire (comme cela peut se produire en Allemagne ou en Italie) même avec la moitié des sièges à la proportionnelle.

Si ce mode de scrutin avait été appliqué au premier tour des législatives de juin 2017, la République en Marche et le Modem auraient obtenu environ 321 sièges (94 à la proportionnelle + 227 à l’uninominal), la droite traditionnelle (LR-UDI-divers droite) 101 (67 + 34), la gauche traditionnelle (PS-PRG-EELV-divers gauche) 50 (36 + 14), la droite radicale (FN-extrême droite) 48 (38 + 10) et la gauche radicale (FI-PCF-extrême gauche) 46 (42 + 4).

Dans ce contexte de renouvellement profond de la scène politique, le résultat aurait été à la fois clair et équilibré, donnant aux différents partis une place proche de leur poids dans la société.

Rénover la vie politique

Avec le scrutin partagé, il s’agit de prendre en compte un principe démocratique fondamental (d’où la proportionnelle) et des caractéristiques de longue durée de la société politique française (persistance de mouvements tribunitiens puissants, d’où le vote uninominal). Il permet aussi d’aller de l’avant dans la rénovation de la vie politique : suppression des dispositifs à deux tours pour éviter la constitution de «camps» verrouillés et conservateurs ; appel à la responsabilité des électeurs dans la sélection des candidats ; possibilité de voir émerger de nouveaux courants.

Une telle réforme pourrait contribuer à mettre en mouvement le système politique dans son ensemble. En montrant que l’Assemblée nationale peut concilier efficacement représentation et légitimation, on renforcerait l’image du parlement. La combinaison de la délibération parlementaire et d’une démocratie participative ambitieuse serait bien accueillie car les assemblées, mieux élues, assumeraient volontiers cette nécessaire complémentarité.

Enfin, le scrutin partagé permettrait de se passer à terme de la «bouée» que représente l’arrimage des législatives à la présidentielle : dans un pays habitué à élire plutôt des gouvernants que des législateurs, une transition douce vers un régime parlementaire s’esquisserait.

Cette réforme permettrait ainsi, un jour, d’aller plus loin, en remettant en question le présidentialisme, un autre sérieux problème de la vie démocratique française qu’il faudra bien, tôt ou tard, aborder.