L’INTERMINABLE feuilleton du « FIFAgate » ressemble fort à une myriade de procédures pénales et de scandales politico-financiers en lien avec la Fédération internationale de football (FIFA). Le parquet suisse a fait savoir qu’il a « adopté un point de vue différent de celui qu’il avait précédemment sur un aspect de la procédure » concernant le paiement présumé « déloyal » de 2 millions de francs suisses fait, en février 2011, par Sepp Blatter à Michel Platini. Le parquet précise que Sepp Blatter fait désormais l’objet d’une enquête pour « soupçons d’escroquerie, d’abus de confiance et de gestion déloyale ». Quant à Michel Platini, visé depuis juin pour « soupçons de faux dans les titres et de participation à une gestion déloyale », il est également ciblé pour « soupçons d’escroquerie et de possible abus de confiance ».
« J’ai bonne conscience et n’ai rien à me reprocher », a réagi au Monde Sepp Blatter. « Cet acharnement judiciaire n’a que trop duré, répond le camp Platini. Nous allons contester avec la plus grande vigueur et par tous les moyens ces nouvelles accusations qui ne sont que pure conjecture judiciaire. Michel Platini a été depuis 2015, soit cinq longues années : témoin, témoin assisté, puis blanchi officiellement par le même Ministère Public de la Confédération en 2018, puis suspect auditionné sur la base de soupçons levés par les dernières auditions. »
Requalifier les faits
« Le MPC cherche maintenant à requalifier ces mêmes faits pour tenter de justifier artificiellement la poursuite de cette procédure interminable, ajoute l’entourage de l’ex-numéro 10. C’est proprement ahurissant pour la justice d’un pays comme la Suisse. » Michel Platini et Sepp Blatter assurent avoir scellé, en 1998, un contrat oral, s’accordant sur une rémunération annuelle de 1 million de francs suisses. En 1999, ils ont paraphé un contrat écrit établissant un salaire annuel de 300 000 francs suisses versé au Français. En mars 2011, ce paiement de 2 millions de francs suisses a été validé par la commission des finances de la FIFA dans les comptes 2010 de la Fédération internationale.
Michel Platini et Sepp Blatter sont désormais poursuivis pour « escroquerie » et « abus de confiance » en Suisse, après l’élargissement de l’enquête initialement ouverte contre eux pour « gestion déloyale », et qui a brisé en 2015 leur parcours dirigeant dans le football. Aucun fait nouveau n’est cependant intervenu dans cette affaire. Le parquet suisse, en pleine tourmente en raison des accusations de collusion avec la FIFA qui visent son ancien chef, se dote ainsi d’options juridiques supplémentaires pour qualifier le règlement de cette somme. « On a le sentiment que le MPC maintient cette procédure vieille de cinq ans par le jeu artificiel et dilatoire de l’élargissement des charges », a dénoncé l’entourage du n° 10 légendaire des Bleus, dans une déclaration à l’AFP.
Pénalement, l’enjeu pour les deux ex-dirigeants n’a pas changé : ces trois qualifications sont passibles de cinq ans d’emprisonnement au maximum, selon le code pénal suisse, de même que le chef de « faux » dont répond également Michel Platini. Mais côté football, cette longue phase d’enquête prolonge la mise à l’écart du Français des instances dirigeantes, bien que la suspension infligée par la justice interne de la FIFA ait pris fin l’année dernière. Le Suisse a de son côté été emporté par une cascade de scandales de corruption quelques mois avant l’éclatement de l’affaire.
Anciens alliés devenus rivaux, Sepp Blatter et Michel Platini martèlent depuis le départ qu’il s’agit d’un reliquat de paiement pour un travail de conseiller effectué par le Français en 1999-2002. « Je n’ai rien à me reprocher dans le paiement arriéré des salaires sur la base d’un commun accord », a réaffirmé l’ex-patron de la FIFA dans un message à l’AFP. Selon les deux hommes, l’accord entre eux remonte à 1998 : Sepp Blatter, entré à la FIFA en 1975 comme directeur du développement mais dépourvu de légitimité sportive, cherchait alors l’appui du triple Ballon d’or pour prendre la tête de l’instance.
Accompagné de son avocat, Sepp Blatter est arrivé, tout souriant, devant le siège du MPC à Berne, où l’ancien capitaine des Bleus avait été interrogé la veille sur les mêmes faits. « C’est le moment où on commence à parler de ce dossier qui dure depuis cinq ans, et sur lequel on ne m’a jamais posé de questions, donc je suis content de pouvoir donner des informations là-dessus », a déclaré l’ancien patron du football mondial en descendant de sa berline. La veille, Michel Platini avait répondu aux questions du procureur Thomas Hildbrand.
La théorie du complot ?
Ce dossier a valu à Blatter, 84 ans, comme à Platini, 65 ans, une suspension de plusieurs années de toute activité liée au football: le Suisse avait déjà démissionné en juin 2015 en raison de l’énorme scandale de corruption frappant la Fédération internationale de football, mais le Français a dû renoncer à briguer en 2016 la tête de l’instance, pour laquelle il faisait figure de favori. Michel Platini voit d’ailleurs dans cette affaire « une collusion entre la justice suisse et une clique à l’intérieur et à l’extérieur de la FIFA », visant notamment à l’« éliminer de l’élection à la présidence », accusait-il en avril dernier auprès de l’AFP.
La suspension du n°10 légendaire des Bleus a pris fin l’an dernier. Outre cette affaire, qui vise également Jérôme Valcke, l’ancien secrétaire général de la FIFA, et Markus Kattner, l’ex-directeur financier, la justice suisse a ouvert depuis cinq ans une vingtaine de procédures concernant l’instance suprême du football. Aucune n’a encore trouvé d’épilogue. « Je n’ai peur ni pour moi ni pour Platini dans cette affaire qui relève du droit civil mais pas du droit pénal », a confié au Monde Sepp Blatter. « Après cinq ans, il est tout à fait possible que la FIFA continue de me harceler par le biais de plaintes dans l’unique objectif de pouvoir me tenir à l’écart du football et de salir ma réputation. En très mauvaise posture actuellement, la meilleure défense de la FIFA contre moi consiste à m’attaquer », a déclaré Michel Platini. Désireux de savoir qui a fourni aux autorités suisses l’information relative à ce paiement. La suspension de Platini a été confirmée par le Tribunal arbitral du sport (TAS) qui l’a réduite à quatre ans, puis par le tribunal fédéral suisse et enfin par la Cour européenne des droits de l’homme, en mars. « Gianni Infantino aurait pu lever la suspension de Michel Platini avant son terme car il n’avait été entendu que comme témoin assisté, s’agace Sepp Blatter. Cela montre le mauvais esprit et les mauvaises intentions de M. Infantino à l’égard de M. Platini. Ce personnage ne mérite pas d’être à la tête d’une fédération comme la FIFA. » La FIFA n’a pas souhaité faire de commentaire.