Depuis la grande inflation des années 1970, les Congolais adaptent leurs comportements alimentaires aux circonstances. Cependant, on trouve dans leurs assiettes des aliments importés que le pays est à même de produire. Du coup, d’aucuns réchauffent une vieille recette : le « Consommons local ».
Pour être pérenne, la croissance économique a besoin d’être soutenue, notamment, par une production agricole locale. Il ne fait l’ombre d’aucun doute que l’assiette du Congolais moyen est composé plus de vivres venus d’ailleurs que de produits du terroir. Selon la revue « La Voix du Congo profond » éditée par le ministère de l’Agriculture, plus de 50 % des aliments que consomment les Congolais sont importés. Les conséquences d’une telle dépendance sur l’offre intérieure de denrées alimentaires sont incalculables. Certes, le pays n’est pas menacé par une crise alimentaire. Mais cette situation est inquiétante. Côté humeur, les Congolais, du moins les Kinois, ont la réputation de « s’adapter facilement à une situation conjoncturelle ». Ils sont surtout gratifiés pour leur sens de « prendre toujours la vie du bon côté quelles que soient les circonstances ».
L’assiette du citoyen lambda
Mais de quoi est composée l’assiette du Congolais aujourd’hui ? Même si depuis l’hyperinflation des années 1970, les consommateurs ont régulé leurs habitudes alimentaires, ils restent encore néanmoins tributaires de l’extérieur. Il ne s’agit plus de consommer des produits de luxe, mais ce que le pays peut produire. Partagé entre deux zones climatiques, le climat tropical et le climat tempéré, le Congo peut produire l’essentiel de ce qu’il importe actuellement : la viande bovine et ovine, le poisson, la farine de blé, le riz asiatique. La Banque mondiale avait expérimenté la culture du blé au Shaba, dans les années 1980. Le résultat avait été concluant. Le riz cultivé à Bumba (Mongala) et à Kindu (Maniema) est très apprécié des consommateurs. Sans oublier les poissons qui meurent de vieillesse au fond du fleuve Congo, dans ses affluents et dans des lacs, dont le Tanganyika, le plus poissonneux de la terre. Il y a aussi l’huile de palme, dont, hier, le Congo était exportateur, avant de devenir importateur dans des pays qui n’ont fait que vulgariser une variété de palmier élaeis nain, découverte par l’Institut national d’études et de recherches agronomiques (INERA) à Yangambi.
L’offre de vivres locaux pourrait être encouragée si les centres de production étaient reliés aux marchés de consommation. Lorsqu’il prit le pouvoir, en 1997, Laurent-Désiré Kabila monta le Service national (SN) destiné à former les jeunes désoeuvrés aux métiers et à l’agriculture. En deux ou trois ans d’existence, le SN avait étonné plus d’un Congolais. Les produits venant de ses centres, notamment Kanyama-Kasese, au Katanga, et Maluku, à Kinshasa, étaient écoulés dans la capitale dans des cantines populaires à des prix défiant toute concurrence. Avec le SN, les Kinois apprenaient à consommer local, tournant ainsi le dos aux produits importés, notamment la volaille.
Le parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, le Domaine agro-industriel présidentiel de la Nsele (DAIPN), Kitoko Foods et d’autres s’inscrivent dans cette dynamique de promotion des produits vivriers locaux pour réduire la dépendance extérieure. Même sans la mécanisation agricole, le Congo d’aujourd’hui peut atteindre un certain seuil d’autosuffisance alimentaire. Mais la production agricole est handicapée par l’état piteux des routes. S’il y avait des bonnes routes, on pouvait s’attendre à des effets induits à la chaîne: baisse du coût de transport, amélioration de la marge bénéficiaire du producteur et, au bout du compte, l’incitation de ce dernier à produire plus. Dans les années 1980, avec une dotation mensuelle de 10 millions de dollars, l’Office des routes avait prouvé qu’il pouvait remplir convenablement sa mission.
Mondialisation
Consommer congolais, on y est presque déjà. « Ce qu’il faut, c’est encourager les citoyens à manger local en inondant le marché de produits du terroir. La mondialisation n’est pas synonyme de dépendance totale de l’extérieur. Au contraire, plus l’économie se globalise, plus les économies nationales recherchent les voies et moyens locaux pour se protéger contre les chocs et les risques, notamment en ce qui concerne la sécurité alimentaire », souligne Désiré Kayembe de l’Association des consommateurs du Congo. De là, ce slogan en vogue: « Avoir une pensée mondiale et agir localement ». C’est par sa capacité d’atteindre cette sécurité qu’un pays peut protéger sa souveraineté car la bombe alimentaire est très déstabilisante. Le ministère de l’Agriculture a, donc, du pain sur la planche pour élaborer et appliquer un programme de relance des cultures vivrières et d’exportation assorti de l’entretien des routes de desserte agricole.
La Californie d’Afrique
Dans l’imaginaire collectif, la politique du « Consommons congolais », remonte aux années 1970, lorsque le président Mobutu Sese Seko avait appelé les Zaïrois à consommer les produits vivriers locaux pour la relance économique. Dans les années 1970, la vision était de faire du Zaïre redevenu Congo la Californie d’Afrique. En effet, ceux-là mêmes qui devaient prêcher par l’exemple, c’est-à-dire les dignitaires du régime brillèrent par une pédagogie de bon aloi. La bourgeoisie se mit à consommer abondamment les produits importés : voitures de luxe (Mercedes, Jaguar, BMV…), meubles européens ou asiatiques, vêtements et chaussures de classe, vivres et boissons… Comme la célèbre bière St Paulis, au point d’en faire une boisson d’ostentation et de distinction sociale. Les exemples sont légion.
Dans cette ruée vers les produits importés, deux tailleurs étrangers: le Belge Fabrice et le Français Arzoni firent fortune sur l’abacost, la tenue vestimentaire exclusivement zaïroise que le « Guide de la Révolution », dans un mimétisme béat du costume à col Mao, avait imposé à sa population. Durant son long règne de 32 ans, le président Mobutu ne faisait plus mystère de ses goûts excentriques à consommer des produits importés, jusqu’aux gâteaux d’anniversaire qui étaient transportés des pâtisseries parisiennes par vols spéciaux jusqu’au Zaïre.