Vincent Karega, ambassadeur du Rwanda en RDC : « Tant de choses me lient à ce pays »

Entretien avec un homme fascinant qui a l’avantage de taille de connaître les grands enjeux du monde, de l’Afrique, et tout particulièrement de la région des Grands Lacs africains, les cultures du Congo pour l’avoir parcouru, vécu en quelque sorte.

Business et Finances : C’est quand même bizarre que vous vous réclamiez en même temps Rwandais et Congolais ?

Vincent Karega : Je suis né en République démocratique du Congo des parents immigrés rwandais mais naturalisés congolais. Et j’ai grandi dans ce pays que j’ai quitté à l’âge de 27 ans. J’ai recouvré la nationalité rwandaise après la libération du Rwanda, c’est-à-dire après le génocide des Tutsis en 1994. J’habitais en Afrique du Sud, comme Zaïrois, avant de rentrer au Rwanda en 1995.

BEF : Qu’est-ce qui a finalement dicté votre choix ?

V. K. : Le Congo n’étant pas un pays qui accepte la double nationalité, j’ai choisi alors, de manière délibérée, de reprendre la nationalité d’origine de mes parents, quand bien même ils étaient des Rwandais naturalisés Congolais. Pour nous, que cela soit clair, nous étions des Zaïrois à part entière. Mais le choix de mes origines et la longue lutte de libération du Rwanda ont dicté ma décision. Pour moi, représenter le Rwanda en RDC me fait énormément plaisir. D’ailleurs, j’ai la conviction que ma mission sera mieux exécutée et que je serai le pont nécessaire entre les deux nations.

BEF : Pour cela, vous aurez besoin, entre autres, de vous servir des langues du Congo pour jeter justement ce pont. Combien en maîtrisez-vous ?

V. K. : Déjà, je parle couramment le français, le swahili et le lingala mais un peu le tshiluba et le kikongo. Je maîtrise aussi d’autres langues qui ne sont pas nationales mais qui sont celles usitées dans les milieux où ma famille a habité. Je citerai les langues que je comprends un peu, par exemple, le mashi, le kibemba à la frontière zambienne, le kisongwe… Et je peux balbutier quelques mots dans beaucoup de langues… tout dépend, en fait, de la personne qui est en face de moi. Il n’y a pas que les langues, je connais plusieurs cultures du Congo selon les provinces. Il m’arrive souvent, rien qu’à travers les noms des gens, leur accent de deviner de quelle province ils sont originaires…

BEF : On peut dire que vous êtes « mwana mboka » (enfant du pays)…

V. K. : Mwana mboka ya makasi penza (véritable enfant du pays).

BEF : Avec les traits de votre caractère d’homme affable, souriant et attachant, vous devriez avoir plutôt plus d’admirateurs en RDC que des gens qui ne vous supportent pas…

V. K. : Des amis, oui, surtout ceux avec qui j’ai étudié, j’en compte beaucoup à Kinshasa, au Katanga, voire partout. Nous avons même créé un groupe WhatsApp d’anciens condisciples de l’université. J’ai aussi beaucoup d’amis qui ont étudié avec moi au primaire et au secondaire. Nombreux habitent encore dans les pays africains ou ailleurs… Bref, je garde un bon contact avec plus d’une centaine d’amis d’enfance et d’anciens collègues.

BEF : Pourtant, dans la presse et les réseaux sociaux, on vous dépeint comme le diable en personne, un faucon du régime de Kigali, une barbouze, un assassin… Est-ce que cette façon de vous caricaturer est la face cachée de votre profil ?

V. K. : Admettons que je sois vraiment un tueur ou un commanditaire des crimes, pensez-vous que j’aurai été accepté comme ambassadeur en Afrique du Sud avant de venir en RDC ? Il est d’usage que les services concernés fassent en amont toutes les vérifications nécessaires sur la personne nommée ambassadeur avant de l’accepter. En tout cas, je ne vois pas un pays sérieux ouvrir ses portes à une personne dont le comportement ne serait pas digne d’un ambassadeur.

En tout cas, mon profil est de haut niveau, c’est un profil d’élite. Pour avoir été plusieurs fois ministre, et maintenant ambassadeur de mon pays, je ne vois pas comment on pourrait concilier les deux tableaux de caractère. Mon nom a été pendant longtemps VIP à l’étranger en tant que messager du Rwanda. Dans mon pays, j’ai occupé des hautes fonctions qui ne peuvent en aucun moment être assimilées aux activités criminelles, comme on le dit. 

Dans le Statut de Vienne, aucun pays au monde ne peut accréditer comme ambassadeur un personnage qui a un tel profil. Qu’on me dise que j’ai un commando que j’entretiens pour fomenter des assassinats, cela ne m’inquiète pas justement. Mais peut-on me citer un seul nom de la personne que j’aurai fait tuer ? À de telles affirmations, à de telles accusations et à de telles diffamations, j’ai franchement très peu de temps ! Quand il m’arrive d’y penser, je me dis que c’est peut-être quelqu’un d’autre portant le même nom que moi, qui fait de telles choses. 

En plus, je n’admettrai pas qu’on raconte que mon gouvernement a des tueurs ou des gens qui agissent dans l’ombre. Nous sommes un gouvernement structuré avec une armée, des services de renseignements, une administration et des structures formelles. Le mandat d’ambassadeur n’est en aucune façon un mandat d’agression. D’ailleurs, nos militaires fonctionnent dans la discipline pour des objectifs bien clairs et bien définis. Pour preuve, ils constituent la 4è force mondiale de paix. Notre armée a été et est encore présente dans beaucoup de pays : en Centrafrique, au Darfour, au Liberia, Haïti, en Côte d’Ivoire. Nos missions de paix sont parmi les missions les plus appréciées et respectées parce qu’il n’y a jamais eu des bavures. Je suis vraiment fier d’être Rwandais et de représenter le Rwanda dans un pays où je suis né. 

BEF : D’après vous, à qui profiterait cette campagne de diabolisation dans la presse et les réseaux sociaux ?

V. K. : Franchement, je ne sais pas qui tire profit de cette campagne. Je m’en voudrais si cette campagne de diabolisation était menée auprès de l’autorité qui m’emploie. Or, je ne vois pas un groupe de propagande qui me connaisse mieux que mon président et mon gouvernement. Bref, je crois qu’il s’agit tout simplement de la spéculation, des causeries de rue…

BEF : Dans certains milieux à Kinshasa, on soutient que votre présence en RDC vise des dissidents au régime de Kigali, dont un ancien général de l’armée qui envisagerait de déstabiliser le Rwanda…

V. K. : Pendant mon mandat en Afrique du Sud, des Rwandais, dont un opposant, un médecin de Kigali en vacances dans ce pays et un taximan ont été tués, tout comme plusieurs autres personnes non rwandaises, dans des circonstances criminelles différentes. Les tribunaux sud-africains ont été saisis et s’occupent des dossiers. À ce jour, aucune instance judiciaire ne m’a interpellé ni comme suspect ni comme témoin. Je ne vois pas pourquoi cela devrait préoccuper les gens et devenir un problème congolais par rapport à ma personne.

BEF : Intoxication ou spéculation pure et simple ? 

V. K. : Je viens de passer 15 mois en RDC. Si crimes il y a, parlons de mes crimes en RDC… Les groupes armés en RDC hostiles au Rwanda constituent un sujet de la coopération sécuritaire qui est heureusement au beau fixe entre nos services de sécurité respectifs. Ils ne feront donc pas exception au programme des FARDC d’éradiquer sur le territoire congolais les groupes armés de déstabilisation. L’ambassadeur que je suis, est mal placé et moins outillé pour des telles opérations. Nonobstant, la coopération reste au centre des contacts diplomatiques nécessaires dans le respect des accords de Vienne en ce qui concerne le rôle des ambassades et missions diplomatiques. Une ambassade est un bureau civil d’administration et non une caserne militaire. Mes compétences et ma formation sont plus axées sur la politique de développement. (…)