La concurrence des minerais

Considérées comme un des piliers de la diversification économique, les mines font l’objet de toutes les attentions des autorités congolaises qui multiplient les autorisations et les permis de recherche pour favoriser l’émergence du secteur. Les programmes engagés ont  mis en évidence un potentiel certain, notamment en fer, potasse, phosphates, or, diamant, etc. Contre toute attente, alors que la filière fer s’annonçait prometteuse, c’est la potasse qui remporte la palme. 

Au Congo-Brazzaville, la potasse s’impose face au fer.
Au Congo-Brazzaville, la potasse s’impose face au fer.

Plusieurs raisons expliquent ce retournement de situation.  D’abord, le marché porteur de la potasse, lié aux grands besoins agricoles de l’Asie et de l’Amérique latine, en particulier de la Chine et du Brésil. C’est à l’agriculture, en effet, que la potasse est principalement destinée. Elle sert à fabriquer l’engrais qui permet d’accroître le rendement des récoltes, d’améliorer la qualité des plants, de réduire les besoins en eau et d’accélérer la croissance des  plantes. Les industries pétrolières et minières, pour leur part, ne consomment que 12 % de la production mondiale de potasse.  Le deuxième facteur qui joue en faveur de la potasse est  la très bonne qualité de la potasse congolaise, dont les gisements sont principalement situés dans le département du Kouilou, dans la partie sud-ouest du pays. Enfin, la présence du port maritime en eau profonde de Pointe-Noire pour l’évacuation des produits et d’une énergie bon marché (centrale à gaz) dans la région sont d’autres avantages qui rendent l’exploitation compétitive.

Une multitude de projets

Autant d’atouts qui expliquent donc l’intérêt porté à ce minerai au Congo. Parmi les projets en phase de développement, le plus avancé est celui de Mengo, à 15 km de Pointe-Noire. Développé par MagMinerals Potasses Congo (MPC), que contrôle depuis juillet 2011 le chinois Evergreen Industries (86 %), il couvre une superficie de 136 km². MPC a obtenu une convention d’exploitation et un permis d’exploitation sur vingt cinq ans. La production envisagée est de 1,2 million de tonnes de potasse par an. L’usine, dont la construction a été confiée à East China Engineering Science and Technology, Co (ECEC) – soit un investissement d’environ 1,364 milliard de dollars -, devrait être opérationnelle fin 2015 et la première production commerciale est prévue en 2016. MPC est également en phase d’exploration, via sa filiale Potasse du Congo, qui compte deux permis de recherche. La société chinoise Luyan des Mines a également obtenu, en janvier dernier, un permis d’exploitation pour la potasse (permis Mboukoumassi), dans le Kouilou.

En phase d’exploration

Les autres sociétés présentes dans la filière sont en phase d’exploration. Situé à environ 60 km de Pointe-Noire, le projet Sintoukola est conduit par Sintoukola Potash, dont l’australien Elemental Minerals  détient 97 % du capital, à côté du Congolais MGM (3 %).  La société a obtenu en janvier dernier un renouvellement de son permis de recherche. Le potentiel de production du gisement est estimé à 2 millions de tonnes de chlorure de potassium par an, sur vingt-trois ans. Le minerai servira à la fabrication d’engrais, de lessive et de savon, et le recyclage de l’aluminium.

Également en phase de recherche, la Société des potasses et des mines, filiale  à 70 % de African Potash, une société cotée à Londres sur le marché AIM, intervient sur le permis Lac Dinga. Les résultats du premier  programme de forage engagé en 2014  ont mis en évidence une minéralisation d’une épaisseur globale de 20 m avec, dans chaque horizon intercepté, une teneur en potasse de 25%. En avril et en mai derniers, la société a émis respectivement 216,666 millions et 183,33 millions de nouvelles actions ordinaires, pour lever 1,2 million  de livres sterling. Ces fonds lui permettront de racheter les titres convertibles en circulation auprès de Bergen Opportunity Fund, un fonds de placement new-yorkais, qui lui avait octroyé un crédit-relais en août 2014, et résoudre ses besoins en fonds de roulement.

L’exploration attire également la Société congolaise des mines et potasses, qui a prévu d’investir plus de 2 milliards de FCFA dans son permis du Lac Tchibenda. Ou encore Afrimines et la Société d’exploitation minière du Congo.

La filière phosphate, dont l’un des débouchés est également l’agriculture, mobilise le canadien  Cominco Resources, en phase d’exploration à Hinda, dans le Kouilou, non loin de Pointe-Noire. L’étude de faisabilité a mis en évidence un potentiel de 432,8 millions de tonnes à 10,6% d’oxyde de phosphore, qui laisse présager une production sur vingt-cinq  ans.

Baisse des cours mondiaux du fer

Alors que l’optimisme règne dans la filière potasse, en revanche, dans la filière fer, c’est la morosité. Pourtant, le potentiel en fer du Congo n’est plus à démontrer, comme l’ont mis en évidence les premières recherches développées dans les départements de la Sangha et de la Cuvette Ouest, dans le Nord du pays, et dans ceux du Niari et de la Lékoumou (Sud-Ouest). C’est la récente baisse des cours mondiaux du fer qui pose problème.  La mauvaise conjoncture internationale oblige, en effet, les entreprises  à revoir leurs prévisions et à différer leurs investissements. Certaines d’entre elles ont commencé à réduire les coûts au strict minimum, en revoyant à la baisse les salaires, notamment ceux de l’encadrement expatrié, et le montant des contributions sociales. D’autres ont procédé à la mise en place de plans de restructuration entraînant des licenciements pour garder le personnel nécessaire. D’autres encore pourraient arrêter leurs activités. Dans tous les cas, les dates d’entrée en production sont reportées. « Tant que la décision d’investissement n’est pas prise, ces projets sont toujours ‘à risque’ pour les investisseurs et peuvent ne pas être développés. Les sociétés minières investissent sans qu’aucun bénéfice ni chiffre d’affaires n’aient été réalisés jusqu’à maintenant », affirme la fédération des mines du Congo qui estime à plus d’un milliard de dollars l’investissement consenti par les sociétés minières dans l’exploration et le développement minier au Congo, entre 2007 et 2014.

Évacuation des minerais : quelle solution ?

La situation est d’autant plus difficile que la filière exige d’importants investissements dans les infrastructures de transport et portuaires, pour évacuer le minerai vers l’extérieur. Conjuguée à la chute des cours du fer, la baisse des cours du baril de pétrole complique les choses, obligeant l’État congolais à reporter certains investissements. Or c’est la réalisation des infrastructures qui « conditionne la mise en exploitation des gisements et le niveau des productions », martèle Louis-Marie Djama, le directeur général des Mines.

Dans la conjoncture actuelle, le projet du  « chemin de fer de l’Ouest », qui  relierait sur quelque 1 500 km, le nord du Congo au port maritime de Pointe-Noire, est mis en veilleuse. Il avait pourtant la faveur du gouvernement. Du coup, l’évacuation des minerais du très septentrional département de la Sangha, frontalier avec le Cameroun, le Gabon et la Centrafrique, devrait se faire par le Cameroun ou le Gabon. C’est du moins ce qu’ont accepté les autorités congolaises.

Autant dire que la nouvelle a été favorablement reçue par les sociétés minières établies dans ce département et qui interviennent aussi dans les pays voisins. Ainsi, Congo Iron, filiale de l’australien Sundance Resources, qui développe le projet Nabemba et est également présent au Cameroun dans le projet fer de Mbalam, exportera ses minerais par le Cameroun. Pour l’heure, la préoccupation de l’opérateur australien est de trouver un partenaire stratégique qui permettra de mobiliser les fonds pour la construction du chemin de fer, en remplacement du Chinois Hanlong.

L’Australien Core Mining, principal actionnaire de la société Avima Fer, à côté du russe Severstal (16,5 %) et de l’État congolais (25 %), qui  développe aussi le projet fer de Kango au Gabon, évacuera, pour sa part, ses productions via le chemin de fer gabonais  jusqu’au port de Libreville. Avima Fer prévoit une  production de 3 millions de tonnes par an sur cinq ans, avant de passer à 35 millions de tonnes, dans une seconde phase. Dans la Cuvette-Ouest, la question du transport ne se pose pas encore, les explorations réalisées par Africa Mining Development, et AfriResources Congo, filiale de l’australien Waratah Resources, n’ayant pas encore donné de résultats probants.

Les autres options

La situation est plus simple pour Exxaro Mayoko (ex-DMC Iron Congo),  filiale du sud-africain Exxaro Resource (projet Mayoko-Lékoumou) et Congo Mining, filiale de l’australien Equatorial Resources (projet Mayoko-Moussondji), implantées dans le département du Niari. Pour évacuer leurs futures productions jusqu’à Pointe-Noire, les deux entreprises, qui ont obtenu un permis et une convention d’exploitation minière, utiliseront la voie ferrée de l’ex-Comilog, entre M’Binda et Mont Belo, puis le Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) entre Mont Belo et Pointe-Noire. À condition d’investir dans la réhabilitation du chemin de fer. Néanmoins, la capacité de transport du CFCO, même réajustée, ne pourra pas dépasser 6 millions de tonnes, alors que les productions des deux projets Mayoko devraient atteindre à terme quelque 20 millions de tonnes. Exxaro Mayoko prévoit de démarrer la production en 2016. Quant à Congo Mining, elle devrait entrer en exploitation en 2017 et atteindre, d’ici 2020, 2,5 millions de tonnes par an.

Pour le projet de fer de Zanaga, situé dans la Lékoumou, à plus de 350 km de Pointe-Noire, c’est l’option du pipe line qui est retenue. Le projet est développé par Mining Projects Development Congo (MPD Congo), un partenariat entre le groupe suisse Glencore-Xstrata, le sud-africain Zanaga Iron Ore Corporation (ZIOC) et l’État congolais, qui a obtenu un permis d’exploitation en août 2014.  Après la réalisation des études d’impact environnemental et social, l’étude de faisabilité de l’infrastructure a été lancée. La production, prévue en vitesse de croisière à quelque 30 millions de tonnes par an, devrait démarrer en 2019.

Une fois la question du mode de transport résolu, l’autre problème à résoudre est celui des installations portuaires pour le stockage et le chargement du minerai dans les navires. Pour l’heure, en attendant la construction d’un port minéralier à Pointe Noire, dont la première phase de l’étude de faisabilité a été réalisée par la China Road and Bridge Corporation, le Port autonome de Pointe-Noire (PAPN) mettra à disposition des miniers un quai qui permettra de traiter 3 millions de tonnes de minerai par an. Toutefois, tout est suspendu au redressement des cours du fer.