La mise à jour de la liste noire de l’Union européenne fait polémique

Un mois seulement après sa publication, la liste dressée par Bruxelles est nettement raccourcie, suscitant notamment l’indignation de l’ONG Oxfam. Car le Panama au centre du scandale est retiré de cette liste noire. 

 

Le Panama, la Barbade, la Grenade, la Corée du Sud, Macao, la Mongolie, la Tunisie et les Emirats arabes unis ne seront plus fichés « à la suite d’engagements pris au plus haut niveau politique pour répondre aux inquiétudes de l’UE », précise un communiqué des ministres européens. La liste doit être réexaminée au moins une fois par an, mais le groupe chargé de son élaboration, baptisé groupe « Code de conduite », peut recommander une mise à jour à tout moment. Les huit pays retirés de la liste noire se retrouvent sur une « liste grise », aux côtés de 47 autres qui se sont engagés à prendre des mesures pour modifier leur législation fiscale.

Barrer Panama, un aveu d’échec ?

Neuf pays ou juridictions restent sur la liste noire de l’Union européenne (UE) : les Samoa américaines, Bahreïn, Guam, les îles Marshall, la Namibie, Palau, Sainte-Lucie, les Samoa, Trinité-et-Tobago. « La décision prise aujourd’hui est l’aveu d’un échec. Barrer de la liste noire le Panama, l’un des paradis fiscaux les plus florissants au monde, est un signe désastreux pour le combat contre la fraude fiscale », a déploré Markus Ferber, vice-président de la commission des affaires économiques du parlement européen, cité par Reuters. Selon lui, les ministres auraient dû au contraire étendre la liste noire à certains pays de l’UE, comme Malte, et à des territoires britanniques d’outre-mer. « L’Union se précipite pour enlever des pays de la liste sans savoir exactement ce que ces pays se sont engagés à faire, cela mine les efforts pour lutter contre les paradis fiscaux », a estimé Aurore Chardonnet, du groupe Oxfam qui milite contre les injustices et la pauvreté.

De son côté, Bruno Le Maire a préféré voir dans ce retrait de la liste la preuve d’avancées de la part de ces pays en matière fiscale. « Liste noire des paradis fiscaux : la pression européenne a apporté ses premiers résultats ! », se félicite le ministre français de l’Économie et des Finances dans un tweet.

Après le scandale de Panama Papers, après la publication de l’étude de l’ONG britannique Oxfam, qu’est-ce qui a changé et qu’est-ce qui va changer ? La convention multilatérale contre la fraude fiscale proposée par l’OCDE devra s’appliquer dès 2018. Mais des doutes persistent quant à l’attitude des Américains et des Britanniques. Le scandale de Panama Papers a eu un retentissement mondial, qui a mis en lumière les dérives fiscales du Panama et de très nombreuses personnalités ainsi que de milliers d’anonymes.

Le 3 avril 2016, le monde découvrait les « Panama Papers », un scandale politico-financier lié à la fuite de 11,5 millions de documents confidentiels issus des archives du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca. Au travers des articles d’un consortium international de journalistes, était ainsi mis en lumière l’argent caché par des dirigeants politiques, des sportifs, des personnalités du spectacle mais aussi des milliers d’anonymes via des sociétés offshore. Pour quelles conséquences?

Une centaine d’enquêtes lancées

Selon l’Agence France Presse (AFP), au moins 150 enquêtes ont été lancées dans 79 pays pour évasion fiscale ou blanchiment d’argent supposés. L’AFP cite à ce propos le Centre pour l’intégrité publique, basé à Washington. Parmi les personnalités citées, le 1ER Ministre britannique de l’époque, David Cameron, le footballeur argentin Lionel Messi, le réalisateur espagnol Pedro Almodovar et la star de cinéma de Hong Kong Jackie Chan… mais aussi plus de 140 hommes politiques et responsables publics.

Mais seule une petite partie d’entre elles en ont payé le prix. Peu après la déflagration, le 1ER Ministre islandais, Sigmundur David Gunnlaugsson, a démissionné. Il avait détenu des avoirs aux îles Vierges britanniques, sans les déclarer. Même sentence pour le ministre espagnol de l’Industrie, Jose Manuel Soria, qui a en outre annoncé son retrait définitif de la vie politique, et pour l’Uruguayen Juan Pedro Damiani, l’un des membres éminents du comité d’éthique de la Fédération internationale de football (FIFA). Les deux fondateurs du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, Jürgen Mossack et Ramon Fonseca Mora, ont quant à eux été placés en détention provisoire, non pas en raison des Panama Papers, mais dans le cadre du scandale de corruption d’Odebrecht, le groupe de BTP brésilien… Et ce n’est peut-être pas terminé.

La dernière étude d’Oxfam est venue jeter un pavé dans la mare, à propos de certaines banques européennes. « Nous pointons le décalage entre l’activité déclarée par les banques dans les paradis fiscaux et l’activité réelle qu’elles y ont. C’est énorme ! », a affirmé Manon Aubry, co-auteure du rapport, lors de la présentation de ce rapport, en mars 2017, à Paris. Le Luxembourg est spécifiquement point du doigt. Ce n’est pas le seul pays, mais c’est celui qui ressort le plus de l’étude d’Oxfam, car les banques européennes y ont déclaré collectivement plus de 4,9 milliards d’euros de bénéfices.

Selon Oxfam et le réseau Fair Finance Guide International, les banques européennes ont déclaré 26 % de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, soit 25 milliards d’euros en 2015, mais seulement 12 % de leur chiffre d’affaires et 7 % de leurs employés. Un « décalage flagrant » ! Ces mêmes établissements déclarent même au global 628 millions de bénéfices dans des paradis fiscaux où elles n’ont pourtant aucun employé. Cette « utilisation abusive des paradis fiscaux » peut permettre aux banques de « délocaliser artificiellement leurs bénéfices pour réduire leur contribution fiscale, faciliter l’évasion fiscale de leurs clients ou contourner leurs obligations règlementaires », souligne Oxfam dans son étude. Les activités des banques européennes sont ainsi plus de deux fois plus lucratives dans les paradis fiscaux que dans les autres pays. Pour 100 euros de chiffre d’affaires, elles y déclarent 42 euros de bénéfices, contre 19 euros en moyenne. Les employés y sont aussi 4 fois plus productifs qu’un employé moyen au niveau global.

Les enquêtes se poursuivent

Partout dans le monde, les investigations se poursuivent. Au Panama, d’où est parti le scandale, l’enquête n’a repris qu’en mars, après une suspension de deux mois pour « raisons techniques ». À Genève, en Suisse, où Mossack Fonseca réalisait près de 20 % de ses affaires, cinq enquêtes avaient également été ouvertes dans les jours qui ont suivi les révélations, et elles n’ont pas encore toutes abouti. « Certains dossiers ont été classés, d’autres ont visiblement fait l’objet d’un accord, d’autres ont été transmis aux spécialistes anticorruption du ministère public de la Confédération », indiquent les enquêteurs de Tamedia dans « Matin Dimanche » et le « SonntagsZeitung », cités par l’AFP.

De fait, si certains hommes politiques comme le président argentin, Mauricio Macri, et le 1ER Ministre australien, Malcolm Turnbull, ont été blanchis, d’autres ont encore un nuage panaméen au-dessus de la tête. La Cour suprême du Pakistan doit par exemple se prononcer mi-avril sur les révélations concernant des biens détenus à l’étranger par les enfants du 1ER Ministre, Nawaz Sharif, via des holdings offshore. Selon l’AFP, il y a des progrès dans la lutte contre l’évasion fiscale… Directement visé par les articles du consortium international de journalistes et ajouté par la France sur la liste des paradis fiscaux, le Panama a changé sa législation. Désormais, le pays est obligé de répondre aux demandes d’informations de la centaine de pays signataires de la convention multilatérale contre la fraude fiscale proposée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui doit s’appliquer dès 2018.

« Quand un ou deux pays systémiques (comme le Panama) refusent d’avancer, au moindre problème, les autres le saisissent comme une excuse pour ne rien faire; nous ne sommes plus dans cette situation », se réjouit Pascal Saint-Amans, le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.