La recherche scientifique victime de la mal gouvernance

Les politiques d’ajustement structurel (PAS), imposées par le FMI aux pays pauvres très endettés au milieu des années 1980, ont contraint les pays africains à des coupes budgétaires drastiques. La science en général a été ainsi reléguée à l’arrière-plan. Et pourtant… Décryptage. 

 

Il est décidément difficile de parler de recherche, ou de science tout court, en faisant abstraction de l’économie. Le ministre de la Recherche scientifique et de la Technologie, Heva Muakasa, l’a si bien compris. Il s’est engagé à renforcer le système de promotion, vulgarisation et valorisation des résultats de recherche en République démocratique du Congo. Dans son programme d’action, il envisage « la mise en œuvre d’une culture scientifique solide et l’amélioration de l’accès à l’information scientifique et technologique à travers les nouvelles technologies de l’information et de la communication(NTIC) ».

Pour ce faire, il a pris également l’engagement de mener le plaidoyer pour la science et la technologie auprès des gouvernants, sensibiliser les élèves et les étudiants pour les filières scientifiques et de l’ingénierie, et créer des fora d’échanges entre toutes les parties prenantes de la recherche scientifique et du développement. Heva Muakasa compte aussi mettre en œuvre une « vision stratégique en matière de planification et programmation ». La priorité sera donnée à l’élaboration des programmes nationaux de recherche dans les domaines prioritaires, au développement d’un système de transfert de technologie ainsi qu’à la promotion d’une culture des statistiques en recherche et développement.

On rappelle qu’il y a quelques années, la RDC a organisé les états-généraux de la recherche avec le concours de l’UNESCO. Ces assises ont débouché sur la définition d’une politique nationale de recherche scientifique. Cependant, celle-ci n’a jamais été rendue publique. Soit ! Le ministère de la Recherche scientifique et de la Technologie est en quelque sorte un groupement d’instituts et centres de recherche spécialisés. Dans ces milieux, le souhait est que l’État redéfinisse sa politique de recherche, qui ne permet plus à promouvoir ce secteur important pour le développement du pays. Le constat porte sur la défection du système national de financement de la recherche en RDC.

En 2016, au Parlement, le Sénat a voulu redonner une place importante à l’enseignement supérieur et universitaire ainsi qu’à la recherche scientifique lors de l’examen du projet de loi portant statut particulier du personnel des établissements publics de l’enseignement national. L’enseignement supérieur et universitaire ainsi que la recherche scientifique sont encore régis par l’ordonnance n°81/160 du 17 octobre 1981 portant statut du personnel de l’enseignement supérieur et universitaire. Étant donné l’évolution de la situation, cette ordonnance n’était plus en mesure de répondre aux exigences de ce secteur.

Activité non rentable ?

Dans les années 1980, les décideurs politiques africains ont soutenu que ce secteur, quoique sensible à la fluidité des échanges, ne pouvait pas échapper aux effets de la banqueroute qui frappait la totalité des économies africaines. Car le service de la dette dans les années 1980 avec la rigueur des politiques d’ajustement structurel (PAS) du Fonds monétaire international (FMI) a contraint la plupart des pays africains à des coupes budgétaires comme en temps de guerre. Ces coupes ont surtout affecté les activités non rentables à très courte terme, la recherche en premier lieu.

Dans les milieux scientifiques, on juge aujourd’hui ce « délaissement forcé » de la recherche d’« alarmant », car la recherche scientifique n’est plus à considérée comme un sous-secteur. En effet, il est prouvé que c’est devenu même une source de croissance dans les économies modernes. Creuset des bouleversements du savoir et moteur de l’innovation technologique, pour reprendre la définition de Robert Ali Brac de la Perrière, la recherche est à la source des transformations de notre environnement. Transformations qui influent jusque sur nos comportements, expliquent des chercheurs.

Dans les pays riches, la recherche scientifique bénéficie de soins attentifs et d’importants investissements, 2 à 3 % du produit intérieur brut (PIB) des pays les plus industrialisés. Les profits qu’elle engendre stimulent une concurrence aiguë. La dynamique du progrès conduit à une société toujours plus technique et complexe dont la logique échappe peu à peu aux populations absorbées dans le siphon d’un sous-développement accru.

Dans le contexte actuel de sociétés se différenciant de plus en plus, on est en droit de s’interroger sur la destination et l’efficacité de la recherche produite par la communauté scientifique nationale encore très souvent structurée selon les normes des anciennes tutelles coloniales. De multiples raisons – historique, langue, encadrement – expliquent que les modèles choisis et les axes de recherche soient rarement liés à des préoccupations endogènes, issus de mécanismes autonomes mais, voulue ou subie, cette dépendance n’est-elle pas aussi à l’origine des incohérences et de l’enlisement d’aujourd’hui ?

Le Nord et le Sud peuvent-ils seulement avoir la même conception de la recherche-développement ? Les pays industrialisés l’entendent comme une séquence d’activités allant de la recherche fondamentale à la mise au point et à la commercialisation d’un nouveau produit. Toutes les étapes s’inscrivent dans un réseau dense et bien régulé. Dans les pays du Sud, il en est tout autrement. Le but est d’optimiser une recherche appliqué à leur propre développement en tenant compte de multiples impondérables comme la dépendance économique, les aides aléatoires, l’instabilité des structures, les incompréhensions socioculturelles. La recherche efficace y est beaucoup plus difficile car les marges de manœuvre sont plus étroites. La plupart du temps, lorsque les travaux des équipes africaines s’inscrivent dans la logique du Nord, ils ne répondent pas aux besoins d’un développement local durable ; et lorsqu’ils s’en éloignent, ils ne correspondent plus aux canons occidentaux : les résultats sont difficilement publiables et n’ont donc aucune visibilité internationale.

L’ambiguïté du terme recherche-développement se retrouve aussi dans l’assistance scientifique et technique à laquelle ont nécessairement recours les pays africains. Le financement de la coopération représente, pour les laboratoires du Nord, des crédits supplémentaires qui permettent d’affiner leur outillage et de rendre leur technologie plus performante sur le marché. Les partenaires africains ont des objectifs souvent très différents, car ils sont confrontés sur le terrain aux rigueurs d’une réalité difficile et doivent mener des négociations pour éviter que l’ordre des priorités ne soit modifié.

Aide et développement endogène

D’autres institutions internationales comme la Banque mondiale ou l’Union européenne financent d’importants programmes à travers de trop lourdes procédures. Paradoxalement, les promesses de crédits substantiels qui parfois mettent des années à se concrétiser fragilisent la recherche scientifique endogène car, avec l’assurance de cette nouvelle manne, une partie des crédits nationaux qui lui sont habituellement affectés vont à d’autres secteurs.

De plus, l’environnement politico-économique étant très instable, le matériel acquis par les équipes de recherche plusieurs années après leur demande est souvent devenu inadapté.

Encore rares sont les organismes du Nord qui s’appliquent à rendre leur aide réellement efficace. La Fondation internationale pour la science (FIS) fait partie des exceptions. Avec une souplesse de gestion remarquable, cette institution soutient les programmes de jeunes chercheurs engagés dans leurs pays sur des sujets à problématique nationale. Des milliers de projets ont déjà été financés. La FIS sort le chercheur de son isolement, favorise des parrainages, fait des propositions mais ne décide ni ne s’ingère dans l’exécution des projets. Pour le jeune scientifique, ce petit coup de pouce est souvent salvateur. Car, partout sur le continent africain, l’institution scientifique fige par des mécanismes bureaucratiques toute possibilité de contestation intellectuelle qui pourrait remettre en cause les rentes de situations dues à la hiérarchie scientifique ou administrative (mandarinat, népotisme, clientélisme).

En outre, et l’on y pense très rarement, les contraintes de la vie quotidienne dans les pays où la pauvreté générale crée un climat de forte concurrence sur les objets de première nécessité (logement, transport, outils de travail, etc.) obligent le chercheur à consacrer une part importante de son temps à s’occuper de problèmes matériels qui n’ont rien à voir avec son travail. sans soutien de la part de son milieu, le jeune chercheur finit par délaisser la recherche ou par s’exiler.

Même si on sait que « la science est devenue de manière alarmante la prostituée de la guerre », la recherche expérimentale revêt toujours un caractère universel. Elle permet de décrire les mécanismes fondamentaux de la matière et du vivant et de construire une image toujours plus précise du milieu et de la société ; la communauté africaine ne peut s’en dispenser. Les scientifiques africains sont les mieux placés pour distinguer parmi les nouveautés technologiques celles qui peuvent être adaptées aux conditions culturelles de leur pays ; ce sont les meilleurs agents d’un savoir moderne vivant pour leur propre société. En retour, ils peuvent servir des médiateurs pour faire bénéficier la science internationale de « la créativité intellectuelle venant de plusieurs cultures et civilisations ».