2017, le retour du genre idéal

Effet inattendu de la parité, la visibilité accrue des femmes en politique a provoqué une exacerbation des rôles traditionnellement attribués aux hommes et aux femmes. Y a-t-il un genre présidentiel ? La sociologue Frédérique Matonti analyse les cas Hollande, Le Pen et Macron.

Quelques signaux avaient déjà donné le ton. La brochette de costards sombres et socialistes bien alignés derrière leur pupitre lors de la primaire de la gauche. L’élection triomphale du plus «mâle-blanc-conservateur-catholique» d’entre tous, à l’issue de celle de la droite. Les indices s’accumulaient, et le livre de la sociologue Frédérique Matonti vient le confirmer : il y a bien eu un «rappel à l’ordre genré» sur la scène politique ces dix dernières années. Le Genre présidentiel, enquête sur l’ordre des sexes en politique (La Découverte, qui sort ce jeudi) est le récit d’un backlash. Oui, les femmes sont de plus en plus nombreuses dans l’espace public. Une femme, Ségolène Royal, a été pour la première fois, en 2007, en position de gagner la présidentielle.

Des femmes, aussi, se sont affrontées pour prendre la tête d’un des deux plus grands partis de France (Martine Aubry contre Ségolène Royal en 2008) ou la Mairie de Paris (Anne Hidalgo contre Nathalie Kosciusko-Morizet en 2014). Mais cette visibilité accrue a, en retour, suscité «une inflation des discours et des représentations sur l’ordre des sexes», écrit la sociologue, qui a accompagné des journalistes embarqués dans le «pool» de Ségolène Royal en 2007, épluché des milliers d’articles, écouté, visionné des centaines de sketchs à la radio ou à la télé.

Corps. Les femmes politiques sont appelées par leur prénom, leur statut de mère, de fille ou d’épouse est sans cesse évoqué, manière de les «ramener à une condition de mineure». On s’attache à décrire leur corps, leur manière de «le vêtir ou de le parer». «Les corps féminins sont fragiles et/ou séduisants, voire sexualisés, alors que l’évaluation de la beauté et l’imputation de laideur ne sont quasiment jamais faites pour un homme», écrit la sociologue.

Le «quasiment» est important. Car ce que la sociologue décèle aussi, c’est que le «rappel à l’ordre» s’adresse désormais aussi aux hommes. Les médias commentent parfois aujourd’hui le physique d’un Arnaud Montebourg ou d’un Emmanuel Macron. Surtout, la capacité des hommes politiques est de plus en plus souvent analysée, par les éditorialistes, au prisme de leur virilité.

Paradoxalement, ce sont les lois sur la parité adoptées en 2001 qui ont redonné un sexe aux politiques, écrit Frédérique Matonti. Jusqu’alors, le candidat et l’élu n’avaient pas de genre, tant ils se conjuguaient, «naturellement», au masculin. «L’autorité politique repose sur des compétences supposées universelles, mais en réalité taillées par, et pour, les hommes.» C’est ce que la sociologue appelle «le genre présidentiel», c’est-à-dire «tout l’implicite des rapports de domination et de genre».

L’arrivée soudaine de nombreuses femmes dans l’arène s’accompagne d’un discours selon lequel celles-ci feraient de la «politique autrement». L’argumentaire tombe à point : «La féminisation du personnel politique est alors présentée comme le moyen de remédier à la crise de la représentation et de «réenchanter» le politique», écrit Frédérique Matonti. Les femmes politiques s’y prêtent parfois elles-mêmes, bon gré mal gré. Bon gré quand Royal assume sa «proximité» avec les Français ou se pose en défenseure des femmes battues. Une stratégie qui «a permis sa victoire à la primaire mais restreint la gamme des coups qu’elle a pu jouer lors de la campagne présidentielle», analyse la sociologue. Mal gré quand Aubry se prête à l’interview intime pour «féminiser» son image : «Je vais passer plus de temps avec l’homme que j’aime», titre le magazine Elle lors de son départ du gouvernement… qui visait surtout à se consacrer à la conquête de la mairie de Lille.

Eau de rose. C’est l’autre pilier du rappel à l’ordre décrit par Frédérique Matonti : la dilution du politique dans l’eau de rose. L’observation politique a fait place à l’analyse psychologique. «Le cadrage Harlequin [en référence à la célèbre collection de romans de gare] consiste à décrypter les événements de la vie politique par les sentiments, et, en particulier, ceux qui sont supposés accompagner l’amour (jalousie, passion, dépit…).» Réservé jusqu’alors à la presse people, il a envahi le journalisme politique.

Pour Frédérique Matonti, si la presse ou des livres ont parfois expliqué l’ambition de la candidate Royal comme «la revanche d’une femme trompée, guidée exclusivement par ses émotions», c’est justement parce que «dès lors que l’ordre politique genré est ébranlé, il faut non seulement le rétablir mais expliquer cet ébranlement par l’intime».

Marine Le Pen : Le renversement du stigmate

«Marine Le Pen se présente toujours comme une femme française, comme une mère. Dans son blog, Carnet d’espérance, elle est photographiée dans des postures très féminines, elle minaude, on la voit caresser des petits chats. Dans la presse, de nombreux articles relatent ses changements de coiffure, analysent ses vêtements, évoquent ses pertes de poids. Habituellement, ces éléments minorisent les femmes en les renvoyant à leur féminité. Pas Marine Le Pen, cela l’humanise au contraire. La féminité l’adoucit, comme un renversement du stigmate. Son stigmate n’est pas d’être femme, mais d’être «fille de»… Pendant longtemps, elle s’est présentée comme la fille de son père justement. Si elle est aujourd’hui candidate, c’est qu’elle a hérité de son parti, qu’elle n’a pas eu à s’imposer face aux hommes, à franchir la course d’obstacles qui est habituellement le lot des femmes politiques. La presse évoque souvent le clan Le Pen comme une famille dysfonctionnelle. Mais cette narration en mode Dallas est une façon de dépolitiser le Front national.

«Comme les autres femmes politiques, Marine Le Pen est régulièrement appelée par son prénom. Mais là encore, elle a récupéré ce stigmate dans sa communication présidentielle, «Marine 2017» : le rassemblement bleu Marine, les marinistes, les gars de la Marine, la vague bleu Marine, etc. L’ensemble de ces stratégies permettent de contrer son image brutale et viriliste. D’ailleurs, il y a une certaine fascination des journalistes pour cette «grande gueule», difficile à interviewer, à contrer. Comme Sarkozy, elle fait peur. Contrairement à d’autres femmes politiques, dont la voix plus aiguë est parfois critiquée, elle a une voix forte qui en impose. La voix de son père.» Recueilli par C.D.

 François Hollande : Déviriliser pour déligitimer

«Avant de devenir président, François Hollande avait déjà le surnom de «Flanby», il représentait pour ses concurrents la «gauche molle». Mais pendant la campagne de 2007 et au début de son mandat, il parvient à construire – avec l’aide des communicants et la participation des médias – l’image d’un président normal et moderne, y compris dans son couple. Il fait ses courses, sa femme travaille et son précédent couple, avec Ségolène Royal, était un modèle d’équilibre puisque l’un comme l’autre avaient mené une carrière politique. Le tweet de Valérie Trierweiler, qui encourage Olivier Falorni face à Ségolène Royal, déchaîne un flot de commentaires de la part des éditorialistes comme des humoristes, qui constituent un véritable retour à l’ordre des sexes. Hollande devient l’homme qui ne «tient pas sa femme» : on se souvient de la une de l’Express «Ces femmes qui lui gâchent la vie», où sont placées sur le même plan Royal, Merkel, Aubry, Duflot et Trierweiler… Le prisme du «manque de virilité» s’est alors totalement routinisé. On se moque de sa cravate qui n’est pas droite (pas la peine d’avoir lu Freud pour savoir ce que ça signifie), on scrute son poids comme celui d’une femme qui ferait un régime yo-yo, on dévoile son opération de la prostate… Seul répit : Hollande retrouve une stature présidentielle et virile quand il déclare la guerre ou l’état d’urgence. Le genre, pour citer l’historienne américaine Joan Scott, est une façon de signifier les rapports de pouvoir. Déviriliser François Hollande, c’est une manière de dire qu’il n’est pas à sa place. Ce n’est pas le «bon» président. Cette demande régulière de virilité des éditorialistes mâles (les journalistes femmes ne la réclament pas) est frappante. Elle témoigne du retour à l’ordre des sexes, qui avait été mis à mal avec la candidature de Ségolène Royal, et qui se traduit aujourd’hui par l’absence de femmes dans la course à la présidentielle – à l’exception de Marine Le Pen.»