Voilà qui devrait renforcer la conviction et la détermination de ceux qui, à l’Assemblée nationale, tiennent à une mise en accusation du gouvernement Matata pour des dérives financières, et pas de moindre, dans l’exécution du budget 2015. En tout cas, le groupe parlementaire UDPS et Alliés en a fait une recommandation au président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku.
Comme en 2014, année au cours de laquelle il a exécuté 169 projets extrabudgétaires, le gouvernement Matata s’est derechef illustré, en 2015, par des dérives relevées par la Cour des comptes et confirmées par la commission Ecofin et contrôle budgétaire dans la loi sur la reddition de comptes 2015.
« Une fosse commune »
Alors que la démarche du groupe parlementaire UDPS et Alliés est loin d’aboutir, c’est déjà la levée des boucliers dans le camp Matata, qui tient un alibi : le chef de l’État a dans son dernier discours sur l’état de la Nation, auréolé le gouvernement Matata pour sa bonne gestion de la chose publique. Sans doute, Matata le sait pertinemment que la politique et les finances publiques sont inextricablement liées. Dans l’Hémicycle, la configuration politique, notamment dans la Chambre basse, connaîtrait des ralliements et des reniements au gré des intérêts et des rapprochements vis-à-vis du nouveau Premier ministre, Samy Badibanga. « La loi sur la reddition de comptes 2015 a tout l’air d’une fosse commune! », a fulminé Zangi, le député sur le banc de la majorité. D’après lui, il est inacceptable qu’« un groupe d’individus se tape des milliards pour venir demain nous coloniser ». Sans le citer nommément, toute la Chambre aura compris que Matata et les siens ont été ciblés par le député MP.
Le Bandundu, dindon de la farce
Pour le député Mayo de l’UNC (opposition), il faut recadrer le gouvernement (Matata) pour lui apprendre à respecter la loi. Trop tard parce qu’il est sur le départ. Rien à faire, poursuit-il, le gouvernement a foulé au pied les clauses-clés de la loi sur les finances publiques (LOFIP). En 2015, le Sénat a rejeté la loi sur la reddition de comptes 2014 car non conforme à la loi, a-t-il rappelé. Curieusement, un grand nombre de projets fictifs ou bidons concernent le Bandundu, a noté cet élu de Kwango, agitant des fibres ethniques comme pour pousser Minaku à sortir de son silence. À Lokoloma, dans le Maï-Ndombe, par exemple, un centre de santé a été construit, plutôt grâce à l’aide financière du diocèse de Luxembourg. Cependant, il a été repris comme une structure d’État construite sur fonds du gouvernement pour plus 3 millions de dollars. À Kenge, la construction d’une école a déjà englouti plus de 23 milliards de FC, alors que, sur le terrain, rien de tel. Toujours dans Kenge, la construction d’un stade de 1 200 places, dont le financement était de 291 millions de FC, a cependant connu un taux de dépassement de plus de 300 % sans que les travaux aient été entamés. De même, au Kwilu, un projet de relance des palmeraies a été dépassé de 940 % sans qu’on y en voie l’exécution…
BCECO : au cœur de la « Matata connexion ».
Au moins une vingtaine d’élus nationaux ont étalé « un enchevêtrement des scandales financiers », pour reprendre l’expression de ce député de la MP. À commencer par le Bureau central de coordination des projets (BCECO). Quelque 6 millions de dollars ont, par exemple, été décaissés pour la construction d’une école au quartier Pululu dans la commune de Selembao à Kinshasa. Mais à ce jour, l’école n’a même pas atteint le niveau de la charpente, a déploré le député UDPS et Allié, Papy Niango. Le financement était logé dans un compte BCECO. Or, selon le député Gilbert Kiakwama (opposition), « le BCECO est une pire escroquerie ». Même l’ancien directeur de cabinet du chef de l’État, Gustave Beya Siku, est plus sceptique vis-à-vis de cette structure, dont Matata fut le directeur général, avant d’être nommé ministre des Finances dans
le cabinet Muzito. C’est depuis 2012 que cette agence d’exécution du gouvernement devrait être dissoute et liquidée, conformément à l’option levée par la Banque mondiale dans sa note du 2 août 2012. Elle exigeait aux institutions étatiques gestionnaires de ses fonds de ne plus servir d’agence de passation des marchés ni de maître d’ouvrage délégué dans les projets sous financement IDA.
Mais c’était sans compter avec Matata, qui, devenu Premier ministre, avait réussi à placer l’un de ses plus fidèles lieutenants, Patrice Kitebi, au ministère des Finances. Ce dernier a été récemment nommé directeur général du Fonds pour la promotion industrielle (FPI). À l’époque des faits, ce dernier a fait du BCECO un établissement public au motif que la structure maîtrise mieux les exigences des bailleurs de fonds dans la passation des marchés, qu’elle est une école de référence pour la RDC, une pépinière d’experts nationaux expérimentés qui n’ont rien à envier aux experts internationaux. Bref, le BCECO dispose d’une maîtrise avérée de différents domaines, dont la passation des marchés et la gestion financière. Qu’il offre ses prestations au coût moindre que celui des agences privées ou des Nations Unies. Les derniers marchés offerts par le Bureau central de coordination sont plutôt sujets à caution. D’après un autre député, le BCECO a attribué le marché d’entretien du jardin de l’immeuble du gouvernement dit « Immeuble intelligent » à l’ONG OGEC (Organisation pour la gestion de l’environnement au Congo) pour quelque 8 777, 25 dollars par mois. Cette ONG appartiendrait à un proche de l’ancien Premier ministre. D’autres marchés inhérents à l’entretien de la pelouse plantée devant les 7 immeubles (Mongala, Kasaï, Ubangi, Likasi,Kwango et Semois) réhabilités sur la Place Le Royal sont en cours. Coût : plus de 50 000 dollars par mois, au bénéfice des sociétés KBN et GIS, non autrement identifiés.
Des millions de dollars pour le lobbying
Autre dossier croustillant : les sommes d’argent en monnaie forte que le gouvernement paie aux firmes américaines au titre de lobbying, dans l’espoir de redorer l’image de marque de l’État. Une vive polémique impliquant le ministre des Finances, Yav Mulang, et son collègue des Médias et porte-parole du gouvernement sortant, Lambert Mende, a fait le buzz de réseaux sociaux la semaine dernière. D’après Lambert Mende, cité par l’AFP, le gouvernement de la RDC s’est engagé à verser 448 000 dollars à Cynthia McKiney pour redorer l’image de marque de la RDC ternie par Moïse Katumbi à coup des millions de dollars aux États-Unis. La lobbyste a nié le fait parlant d’un traquenard, et vive la polémique ! Ce n’est pas la première fois que les décideurs de la RDC se livrent à de telles pratiques hasardeuses et onéreuses à la fois. D’après le chercheur américain Jason Stearns, récemment expulsé de la RDC, des décideurs congolais ont casqué des milliers de dollars pour s’offrir les services d’agences spécialisées en lobbying. Il s’agit des politiques, des officiels de premier rang, des industriels qui tentent d’influencer les États-Unis, par ricochet, l’Occident sur l’un ou l’autre aspect de la vie publique en RDC. « Tous veulent influencer Washington. Ceux qui dépensent le plus recherchent, soit un soutien politique, soit stratégique ou tout simplement de l’aide financière pour pouvoir atteindre leurs objectifs ». Selon ce chercheur américain, le gouvernement Matata s’est déjà lancé dans l’une ou l’autre campagne de lobbying aux États-Unis, avec Glover Parc chargé d’aider le gouvernement congolais dans ses relations avec le gouvernement américain durant un an à compter d’avril 2015. Coût du service : 540 000 dollars. Pourtant, en juillet 2015, alors que le ministre (sortant) de l’Économie, Bahati Lukwebo, se félicitait que la RDC avait atteint un excédent budgétaire de 45 milliards de FC (environ 50 millions de dollars), le Programme national de vaccination (PNV) recherchait des fonds pour l’achat des vaccins. Quand le groupe parlementaire UDPS et alliés a sollicité, le 17 novembre, la mise en accusation du gouvernement Matata, le président de l’Assemblée nationale a estimé que c’était encore trop tôt.
Par ailleurs, la conseillère spéciale du chef de l’État en matière de violences faites à la femme, Jeannine Mabunda, figurerait aussi en ordre utile sur les registres du Foreign Agents Registration Act (FARA). Elle est soupçonnée d’avoir payé rubis sur ongle la bagatelle somme de 120 000 dollars pour s’offrir les services de KRL International dans le cadre d’une campagne portant sur l’amélioration de l’image, ternie par les affrontements armés, de la RDC en matière de violences sexuelles. Le contrat aurait expiré en septembre 2015 et attend un éventuel renouvellement. L’ancienne ministre du Portefeuille n’en est pas à son premier coup d’essai en la matière. Alors ministre, Jeannine Mabunda aurait embauché un autre lobbyiste, Crescent Consultants, pour un montant annuel de 290 000 dollars.
La liste reprend les noms des Congolais qui prêchent pour leur propre chapelle. L’ancien gouverneur de l’ex-province du Katanga, Moïse Katumbi, est aussi cité. C’est par sa Compagnie minière du Katanga (CMK), puis gérée par Madame son épouse – avant sa vente à Necotrans – que ces affaires étaient conclues. En 2013, CMK avait recouru à Akin, Gump, Strauss, Hauer&Feld pour influencer l’ouverture d’un consulat américain à Lubumbashi et faire pression sur l’USAID pour l’envoi des maïs à Lubumbashi. Coût de l’opération : 350 000 dollars par an.
Selon les archives de Foreing Agents Registration Act, le lobbyiste n’a cependant eu qu’une réunion pour le compte de CMK dans la seconde moitié de l’année 2013, avec le président de la commission des affaires étrangères à la Chambre des représentants, Ed Royce. Toutes les autres réunions initiées pour le compte de CMK auraient porté sur le processus électoral, plus précisément sur la présidentielle congolaise, rapportent d’autres sources généralement bien renseignées.
En 2015, le contrat a été renouvelé et les lobbyistes ont revendiqué, pour les 240 réunions, les courriels et les appels téléphoniques avec divers responsables sur… les élections présidentielles. « MCK pousse à l’action les États-Unis pour garantir la sortie de Kabila en 2016 », affirme Jason Stearns. Par le passé, d’autres Congolais avaient recouru aux services des lobbyistes yankees. Des candidats à la présidentielle, particulièrement Nzanga Mobutu, Oscar Kashala.