Si le rythme actuel de la consommation mondiale est maintenu, les experts sont à peu près d’accord pour prévoir une pénurie croissante dans le domaine des sources d’énergies primaires fossiles, c’est-à-dire celui des hydrocarbures, du gaz naturel, du charbon des tourbes, etc., même en faisant la part des nappes et mines importantes restant à découvrir au niveau des continents. En même temps, la pollution atmosphérique en gaz carbonique qui a atteint une échelle géochimique, ira s’accentuant.
La physique de l’atmosphère est très mal connue, et une modélisation correcte de l’évolution des phénomènes reste très difficile. Cependant, on sait que le gaz carbonique en provenance de la combustion des sources fossiles tend à former, dans l’atmosphère, un écran produisant un « effet de serre » sur le rayonnement solaire. Il pourrait s’en suivre, à la longue, une légère élévation de la température du globe avec toutes les catastrophes qui en découleraient. Donc, l’épuisement progressif des sources d’énergie classiques et les impératifs écologiques amèneront l’humanité dans un avenir, non très lointain, à envisager sérieusement un changement de vecteur d’énergie. Tous ces facteurs et tant d’autres aidant, les hydrocarbures deviendront, de plus en plus, des matières premières de synthèse pour l’industrie chimique : protéines animales, fibres, etc. En effet, l’épuisement des sources d’énergie fossile, non renouvelables, y compris l’uranium, va coïncider, selon toute probabilité, avec l’opérationnalité des centrales solaires hélio-voltaïques ou à cycle thermodynamique et surtout avec la faisabilité de la réaction thermonucléaire : d’abord la réaction tritium deuterium puis deuterium + deuterium.
Le tritium étant obtenu, à partir du lithium 6, la quantité totale de deuterium à fusionner, dans le cas de la première réaction, dépendrait des réserves de lithium disponible sur la planète. Or, on sait que celles-ci sont limitées. Mais dans le cas de la seconde réaction (D + D), l’humanité disposerait d’une source d’énergie quasi-inépuisable, c’est-à-dire pour un milliard d’années. Cette durée correspond à la quantité de deuterium contenue dans les océans [2 X 10 (exposant 17) KG avec une concentration de 0,02 %].
Le deuterium ou l’hydrogène lourd nécessaire à l’alimentation des réacteurs thermonucléaires serait extrait, comme l’hydrogène léger, par électrolyse de l’eau de mer, pour une somme modique. Ceci n’est pas tout à fait un rêve : en France, avec une configuration Tokamak, et par un chauffage du plasma par radio fréquences, on vient d’atteindre il y a deux ans (ndlr : en 1983), à Fontenay-aux-Roses, une température de 20 millions de degrés avec une densité de matière de 200 000 milliards de particules par cm3. Certes, le « critère de Lawson » est loin d’être satisfait et nous sommes conscients des immenses progrès qui doivent être réalisés encore pour que la fusion thermonucléaire soit domestiquée.
C’est aussi à la même époque, vers l’horizon 2020 que la quasi-totalité des grandes chutes d’eau africaines seront équipées pour la production de l’hydroélectricité : Inga au Zaïre (République démocratique du Congo) en particulier. Peut-être aussi qu’à la même époque, le procédé japonais qui consiste à fabriquer de l’hydrogène en utilisant directement le rayonnement solaire pour casser la molécule d’eau commencera à sortir du laboratoire. Le rapprochement de ces deux tableaux montre que l’humanité sera amenée à changer de vecteur énergie, pour l’essentiel.
La solution de demain
Un auteur comme M. Jacques Percebois envisage trois vecteurs possibles : le vecteur classique qu’est l’électricité qui subsistera toujours mais deviendra insuffisant pour l’ensemble des besoins d’activités. Le vecteur méthanol dont la production pourrait être accrue par des moyens bioénergétiques mais que nous écartons, ne serait-ce que pour des raisons de pollution. Cette solution que le Brésil tente d’appliquer (construction des voitures fonctionnant au méthanol) en ce moment, par la culture de la canne à sucre pour faire face à la pénurie du pétrole, montre au moins l’actualité du problème : solution précaire, des aléas climatiques ont forcé le Brésil à amender son projet. Enfin, le vecteur hydrogène que beaucoup de spécialistes considèrent comme susceptible de devenir la solution de demain, en association bien sûr avec l’électricité.
Cette solution serait la meilleure pour l’Afrique, pour les raisons suivantes : certes, l’hydrogène n’est pas une énergie primaire et en brûlant, il restitue moins que l’énergie dépensée pour la produire, car la conversion énergétique est toujours accompagnée de pertes. Mais en cela, elle est identique au vecteur méthanol. Pour que son usage devienne opérationnel, il faudra donc disposer d’immenses sources d’énergie renouvelables pour le produire. Tel pourrait être le cas de l’Afrique associant l’hydroélectricité de ses grands barrages aux centrales solaires (devenues opérationnelles). Dans une trentaine d’années, avant même l’exploitation commerciale de l’énergie thermonucléaire.
À l’époque coloniale, les ingénieurs belges avaient déjà calculé que le barrage d’Inga entièrement équipé permettrait à lui seul d’assurer l’éclairage de tout le continent sud-américain, ou tous les besoins énergétiques du continent africain en temps de paix. Ils avaient calculé aussi qu’en élevant la tension du courant produit à Inga au seuil du million de volts et en le redressant pour le transporter en continu à travers toute l’Afrique, le Sahara jusqu’en Espagne, au Portugal et au Sud de l’Italie, ils pourraient le moduler encore pour obtenir de l’alternatif et que le KWH, ainsi vendu à l’Europe pauvre, resterait encore compétitif malgré les pertes en lignes. Donc, soit dit en passant, l’Afrique ne manque pas d’énergie mais celle-ci est mal identifiée et mal distribuée. L’interconnexion du réseau africain pour la création d’un marché intégré de l’énergie est un impératif économique. Il nous faudra calculer le nombre de véhicules à hydrogène de puissance moyenne fonctionnant huit heures par jour que l’on pourra faire marcher en disposant du tiers de l’énergie des grands barrages africains pendant un an : Inga, Kabora-Bassa, Konkoure, Sanaga, etc. Il existe déjà des véhicules à hydrogène et nous pouvons en fabriquer ou transformer ceux que nous possédons.
L’hydrogène est un bon propergol et donne une impulsion spécifique supérieure à celle du kérosène, car les gaz sont chauds et légers à la sortie des tuyères. C’est un bon propergol et peut servir donc sous forme liquide à la propulsion de tous les engins mobiles (automobiles à hydrogène ; avions, derniers étages des fusées en particulier). Ses inconvénients sont surtout sa légèreté qui obligerait à utiliser des grands réservoirs ou à faire des escales plus rapprochées et sa température d’ébullition (-235° C) qui est très basse. Il pourrait servir pour les avions à réaction. Un supersonique à hydrogène ne verserait que des tonnes d’eau dans l’atmosphère tandis que le même type d’appareil utilisant le kérosène éjecte dans l’atmosphère en trois minutes plus de gaz carbonique que la forêt de Fontaine-Bleue ne peut en absorber en une journée.
Recherche et formation
Évidemment, la technologie de l’hydrogène comme vecteur d’énergie n’est pas si simple, et si le continent africain veut jouer le rôle de pionnier dans ce domaine, c’est dès maintenant qu’il doit s’y prendre en créant les structures de recherche et de formation appropriées. Certains grands pays africains, comme le Nigeria, le Zaïre (RDC) et même d’autres, peuvent créer des départements spécialisés dans leurs enseignements supérieurs pour la maîtrise de cette technologie. Telle école polytechnique de tel pays africain pourrait déjà s’organiser pour gérer dans cinq ans une petite centrale solaire à cycle thermodynamique, au bord de la mer, afin de se familiariser avec les techniques de production des deux variétés d’hydrogènes (lourd et léger) par électrolyse de l’eau de mer et fractionnement isotopique, de liquéfaction, de stockage, de transport d’utilisation dans de nouveaux moteurs d’invention locale pour propulser de petites fusées expérimentales, de petits engins divers : automobiles, avions, fût-ce au stade des modèles réduits d’abord.
Si l’Afrique sort des sentiers battus, grâce à une identification précoce et saine de ses particularités énergétiques, elle pourra peut-être, demain, avec l’avènement de l’hydrogène comme vecteur d’énergie, jouer un rôle analogue à celui des pays arabes ou pétroliers en matière de production ou de fourniture d’énergie. L’Afrique, à elle seule, pourrait fournir le deuterium nécessaire au fonctionnement de tous les réacteurs thermonucléaires de la planète, lorsque la fusion sera devenue opérationnelle.
Mais dans ce dernier cas, est-ce que l’exploitation d’une telle énergie sera interdite aux pays en voie de développement. Je ne le crois pas, car si les études au niveau des prototypes sont onéreuses, les modèles commercialisables de réacteurs thermonucléaires avec configuration Tokamak seront vraisemblablement d’un prix abordable pour nos pays, à condition qu’au préalable soient formées au niveau des départements des équipes capables de prendre en charge de telles machines après un minimum d’adaptation. Autant je deviens réservé lorsqu’il s’agit du nucléaire même des surregénérateurs (ou breeders, piles couveuses) qui produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment, autant je pense que le choix de l’Afrique pour le thermonucléaire de demain doit être ferme dès à présent. En effet, une centrale nucléaire n’est encombrante qu’une fois hors d’usage. Les matériaux restent contaminés pour une durée géologique de 24 000 à 100 000 ans et dans l’état actuel de la technique, on ne connaît aucun procédé satisfaisant pour se débarrasser de ces déchets. C’est pour cela aussi que l’Afrique devra refuser que l’on vienne les ensevelir dans son sol, moyennant quelques malheureux argents.
Par contre, la radioactivité induite de matériaux des futures centrales thermonucléaires sera incomparablement plus réduite, et on pourra s’ingénier à utiliser des matériaux ne donnant naissance qu’à des éléments artificiels de courtes périodes en général. Bien sûr, la pollution thermique subsiste, mais, est de beaucoup moins grave.
Intégration économique
Il suffirait de compléter ce bref tour d’horizon par la liste des principales matières premières qui vont disparaître presque complètement de la surface des continents dans deux générations, comme le cuivre, l’aluminium, etc., pour saisir, de façon aiguë, les particularités de l’ère cosmique où nous sommes entrés sans le savoir toujours. Des petits pays qui ressemblent à des Koweït africains seront des caisses vides dans moins de cinquante ans. Seule une organisation continentale, ou régionale, réalisant l’intégration de nos économies à une échelle suffisante, pourra les sauver de l’effacement. Des organismes politiques coordinateurs sont nécessaires à l’échelle continentale et régionale en vue de créer à temps des économies complémentaires non concurrentes. Il y a lieu aussi de dire un mot sur l’incidence des micro-processeurs, de la robotisation de l’industrie et de l’informatisation de la vie sociale sur les formes classiques d’industrialisation : qu’est-ce qui va changer, qu’est-ce qui subsistera ? Certes, l’information est équivalente à libération d’énergie, mais l’usage systématique de l’information conduira à une économie insoupçonnée de travail qui peut conduire à un nouveau type de rapports sociaux et de civilisation.
La percée technologique des micro-processeurs appellera à l’existence de nouvelles élites de technocrates qui pourraient ouvrir de nouvelles perspectives aux petits pays en voie de développement, mais le problème énergétique fondamental ne changera pas. En attendant l’éclosion de cette grande ère de la faisabilité de la réaction thermonucléaire, l’opérationnalité des centrales solaires, de l’avènement de l’hydrogène comme vecteur d’énergie, et du règne de la télématique ; en attendant cette grande ère et en s’y préparant activement, il faut savoir faire flèche de tout bois, car aujourd’hui, les problèmes de l’heure sont l’autosuffisance alimentaire, la santé pour tous.
Il est donc impérieux de former des techniciens pour la réalisation de ces tâches ; des ingénieurs et techniciens qui maîtrisent la construction des micros-centrales, les techniciens bioénergétiques pour l’industrialisation rurale ; les problèmes de santé primaires, l’usage décentralisé du solaire et des éoliennes, etc. Il doit être clair que le Sud ne recherche pas à se retrancher dans un ghetto technique pour essayer de se suffire à lui-même ; ce serait le meilleur moyen de s’asphyxier. Au contraire, il veut simplement dans une première phase, par l’analyse de ses particularités, identifier clairement ses besoins vitaux et ensuite demander la solidarité agissante du Nord pour atteindre les objectifs fixés et qui lui paraissent valables.