Le 23 janvier dernier, quelque 1 050 tonnes de café en transit vers l’Ouganda ont été interceptées au point de passage dit « Grande Barrière », dans le territoire de Beni. Au Nord-Kivu, l’on fustige la passivité des autorités congolaises dans la lutte contre la fraude du café et du cacao. Plus de 1 400 tonnes de café et de cacao ont frauduleusement traversé la frontière de Kasindi-Lubiriha, à destination de l’Ouganda, depuis le mois de novembre 2017, a dénoncé le consultant des entreprises et expert en exportation des produits agricoles à Beni, Kambale Ngeleza.
« 350 tonnes de café, poursuit l’expert congolais, ont été expédiées vers l’Ouganda. Elles sont passées par la Grande Barrière sans compter les 22 sentiers qui se trouveraient vers le Mont Ruwenzori. Ces sentiers servent de passage à l’Ouganda ».
Des revenus insoupçonnés
Les cultures pérennes passent pour un secteur de coulage des recettes dans la province du Nord-Kivu et dans l’Ituri, rapportent des observateurs. La Direction générale des douanes et accises (DGDA) a pourtant indiqué à la Commission Ecofin et contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale que « concernant les taxes à l’exportation, notamment pour le café arabica et le café robusta, ces deux produits sont exonérés des droits de sortie conformément aux dispositions de l’article 73 de la loi n°11/22 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture ».
Et pourtant, le café et le cacao rapportent gros, des revenus qui échappent à tout soupçon. Fin 2016, le président de la Fédération des entreprises du Congo, FEC/Beni, Polycarpe Ndivito, avait estimé l’arrêt de la production du café et du cacao, suite à trois semaines d’affrontements dans la chefferie de Watalinga entre les Forces armées de la RDC et les présumés rebelles ougandais des ADF, avait occasionné des pertes de plus de 10 millions de dollars.
La dernière fois que la DGDA avait perçu des droits de sortie sur le café remonte à 2015. Le café robusta avait rapporté 46 587 935 FC sur des prévisions de 361 157 312 FC et le café arabica 112 185 880 FC sur des prévisions de 314 778 560 FC. Pourtant, les exportations du café auraient dû rapporter plus de 500 millions de dollars à la RDC en 2014, selon les professionnels du secteur. Mais ces recettes sont tombées dans les caisses de l’Ouganda.
Le café est essentiellement produit en Ituri et dans le Grand Nord-Kivu, zones frontalières à l’Ouganda. Ce pays n’est pas, toutefois, un producteur de taille de l’or vert. Mais la RDC ne s’est contentée que du menu fretin, quelque 17 millions de dollars. Le café autant que le thé et le cacao sont placés sous la supervision de l’Office national de café (ONC, ex-OZACAF), entreprise transformée, voilà presque 9 ans, en établissement public. Depuis, les faits générateurs de recettes dans la caféiculture ont connu une inflation créée de bric et de broc. La douane, les services de sécurité, l’administration fiscale provinciale, etc., s’en sont mêlés, chacun avec ses taxes et redevances. Voilà qui a occasionné des filières d’exportations frauduleuses des cultures pérennes par l’Ouganda. Où règne l’ordre… administratif.
Dépourvu de tout document attestant de leur provenance congolaise, des milliers de sacs de café qui traversent frauduleusement la frontière sont comptabilisés dans la production ougandaise. Ainsi, l’Ouganda s’est-il targué d’avoir exporté 500 000 tonnes de café en 2013 pour plus de 500 millions de dollars des recettes. Depuis pratiquement 5 ans, la production et les recettes liées au café et au cacao enregistrent une certaine croissance, côté ougandais. Les caféiculteurs du Grand Nord-Kivu en ont assez d’enrichir un État certes voisin mais mal porté par l’opinion dans la province du fait de sa politique belliqueuse vis-à-vis de la RDC.
Hélas, les dispositions de l’article 73 de la loi n°11/22 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture, telles qu’expliquées par la douane congolaise favorisent les filières « ougandaises » des exportations des cultures pérennes congolaises. Mais avis d’expert, il y a une réelle volonté politique qui organise le désordre dans ce secteur. Le thé, le cacao, le tabac ne figurent plus, depuis des lustres, sur le fichier de la balance commerciale de la RDC tenu par la Banque centrale du Congo (BCC). Les recettes des papayes ou des bananes ne sont comptabilisées nulle part. Pourtant, c’est dans des camions entiers que ces fruits, naguère à l’origine des tensions (guerre des bananes) au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), traversent la frontière congolaise.