L’intégration du commerce de la République démocratique du Congo aux marchés mondiaux bute contre trois handicaps majeurs. Premièrement, les procédures en matière de commerce international, qui sont lourdes, lentes et chères par rapport aux autres pays dans la même situation. Deuxièmement, les missions et le mode de fonctionnement d’un certain nombre d’institutions intervenant dans les procédures d’importation et d’exportation. Troisièmement, un cadre juridique et réglementaire désuet et inadapté aux besoins d’une économie moderne.
Il va sans dire que des réformes profondes s’imposent pour lever ces handicaps. Selon les experts, le gouvernement doit par ailleurs mettre en place une politique de « facilitation formelle » pour supprimer ou remplacer de nombreux paiements informels ou officieux, souvent décrits comme « frais d’intervention ou frais d’administration et opérationnels, travaux extraordinaires et heures supplémentaires. Ces paiements obscurcissent et rendent peu prédictibles les opérations de commerce extérieur.
C’est l’un des fronts de la bataille que mène le ministre d’État et ministre du Commerce extérieur, Jean Lucien Bussa Tongba. Il vient de boucler une tournée d’inspection sur la fraude à la frontière dans la partie nord-est du pays (Aru, Bunia, Goma…). C’est dans ce cadre qu’il a inauguré deux nouveaux laboratoires de l’Office congolais de contrôle à Aru et Bunia dans la province de l’Ituri. Ces deux villes sont des carrefours importants pour les échanges commerciaux avec le Soudan du Sud et l’Ouganda.
Les préalables à la facilitation
Des études ont été initiées à propos des opérations relatives aux échanges internationaux dans les corridors (Matadi-Kinshasa, corridor est et corridor sud) les plus fréquentés de la RDC, considérées du point de vue des exportateurs, des importateurs et des transitaires et armateurs. Comme le disent les spécialistes, la politique de facilitation du commerce implique qu’on examine les faits sur base de données relatives aux « opérations-type » à l’importation et à l’exportation.
Elle implique également une analyse institutionnelle afin de mettre en relief les missions et les modes de fonctionnement des institutions-clés ainsi que leurs « intérêts ». Ces institutions-clés encaissent des sommes importantes, soit autour de 350 millions de dollars par an, au titre du contrôle et de la régulation du commerce. Les opérateurs économiques se plaignent que le plus souvent les prélèvements payés ne sont pas accompagnés de prestations de services équivalentes. La facilitation formelle nécessite donc une évaluation des attitudes et des comportements de tous les acteurs, privés que publics. Elle implique aussi fluidité et régularité.
La tournée d’inspection du ministre d’État Bussa Tongba aux postes frontaliers à travers le pays s’inscrit dans cette perspective. Pour cela, il faut un cadre juridique et réglementaire adapté aux besoins de cette facilitation formelle, une meilleure organisation tant des services publics que des opérateurs privés, une meilleure coordination et une meilleure coopération entre les institutions des secteurs public et privé…
Des réformes de fond en comble
En effet, les diagnostics mettent clairement en évidence l’existence de problèmes importants concernant les procédures, les services publics-clés, le cadre juridique et réglementaire, le manque de coordination et de coopération entre les institutions. Ainsi, il est nécessaire de réformer non seulement les procédures mais aussi ces institutions-clé, ainsi que le cadre juridique et règlementaire les régissant.
Les spécialistes pensent que la réforme des procédures seules ne suffit pas car elle risque de pérenniser des procédures existantes qui ne correspondent plus aux besoins de la RDC d’aujourd’hui. Selon eux, il faut s’attaquer à tous les problèmes à la fois, notamment ceux à l’origine des coûts élevés des opérations d’importation et d’exportation. Parmi les réformes déjà réalisées par le gouvernement, on retiendra utilement l’établissement d’un Guichet unique virtuel intégré (GUVI), l’adhésion à l’Accord sur la facilitation des échanges de l’Organisation mondiale pour le commerce (OMC).
S’agissant du GUVI, la réforme est caractérisée par la mise en place d’un système à trois volets : le pré-dédouanement, le dédouanement et le post-dédouanement. À l’étape du pré-dédouanement, les formalités nécessaires à la préparation du dossier sont accomplies sous forme d’une liasse unique de documents à soumettre à la Direction générale des douanes et accises (DGDA, ex-OFIDA) par voie électronique. Puis sont accomplies les autres opérations de dédouanement et de post-dédouanement.
S’agissant de l’adhésion à l’Accord de l’OMC, le gouvernement a procédé à une auto-évaluation en avril 2008. L’étude a démontré que la RDC est en conformité avec 9 mesures, soit 20 % ; partiellement en conformité pour 16 mesures, soit 33 % ; et pas en conformité pour 17 mesures, soit 40 %. Trois mesures sont sans objet dans le contexte congolais. Plus généralement, la conclusion est que la situation n’est pas bonne pour la RDC à cause de la multiplicité des services aux frontières, le manque de coordination des activités au niveau des différents services, la duplication des formalités aux frontières, les insuffisances de l’outil et des compétences informatiques et technologiques, la vétusté de la législation douanière… Mais aussi l’absence de transparence dans les modalités de calcul de certaines taxes aux frontières, les insuffisances de protection sociale des fonctionnaires œuvrant aux frontières, le niveau très élevé de la fraude douanière, la résistance au changement, le coût élevé de certaines redevances, l’absence d’un comité national des négociations.
Les conclusions du deuxième examen des politiques et des pratiques commerciales de la RDC organisé à Genève en octobre 2016 reflètent les principales préoccupations exprimées par les membres de l’OMC et les « incohérences » relevées par le rapport, notamment au sujet du régime commercial et fiscal de la RDC. Parmi les solutions étudiées, l’identification des besoins en assistance technique afin de faire jouer pleinement au commerce son rôle au sein de la stratégie nationale de développement économique.
Comme le dit Faustin Luanga Mukela, « les examens des politiques commerciales sont un exercice, prescrit dans les Accords de l’OMC, au cours duquel les politiques et pratiques commerciales ainsi que les politiques connexes des pays membres sont examinées et évaluées périodiquement ». Les faits nouveaux importants qui peuvent avoir une incidence sur le système commercial mondial font également l’objet d’un suivi. Tous les membres de l’OMC font l’objet de cet examen, dont la fréquence dépend de la taille du pays. La RDC a fait l’objet de deux examens en 2010 et en 2016.
Stabilisation économique
Depuis son dernier examen de politique commerciale en 2010, la RDC a mis en œuvre plusieurs réformes structurelles et de stabilisation économique, avec ou sans l’aide des partenaires techniques et financiers. Ces réformes lui ont permis d’enregistrer une croissance soutenue à un taux moyen annuel de 7 % durant la période sous examen, largement au-dessus de sa croissance démographique de 3 %, et de gagner 12 rangs à l’indice de développement humain.
Cependant, le pays est encore loin des normes relatives aux trois articles importants de l’Accord de GATT. Il s’agit de la liberté du transit (article 5), des redevances et formalités à l’import-export (article 8) et de la publication et l’application des règlements relatifs au commerce. Les spécialistes regrettent que le gouvernement, connaissant la gravité de la situation, cherche la solution dans certains domaines seulement mais pas dans d’autres. Par exemple, il y a des efforts dans la modernisation du code des douanes et l’établissement d’un vrai guichet unique.
Sur le rapport documents/temps/coûts entre la RDC et les autres pays africains, on note que la RDC a approximativement le même nombre de documents, tant à l’import qu’à l’export, mais les temps nécessaires pour accomplir les formalités relatives aux exportations et importations sont de 30 à 60 % plus élevés. Enfin, le coût de la logistique est de 30 % plus élevé pour les exportations, mais sensiblement équivalent pour les importations.