La Banque centrale du Congo a entamé sa mue. Au dîner annuel des banquiers, jeudi 15 février, au restaurant Les Gourmands du Cercle de Kinshasa, le gouverneur, Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, s’en est pris, sans ambages, aux députés et sénateurs qu’il accuse de lenteur dans le vote des lois essentielles au devenir de l’Institut d’émission. Mais aussi aux juges, impliqués le plus souvent dans des contentieux visant à « trucider » les banques. ç’en est trop, a-t-il laissé entendre.
Le Gouv’ de la BCC prie instamment « les deux Chambres d’accélérer l’adoption des textes » qui leur ont été soumis pour leur promulgation rapide par le chef de l’État, Joseph Kabila Kabange. Il s’agit notamment des projets de loi de réforme du cadre légal (les statuts) de la Banque centrale du Congo, du contrôle des activités de crédit, des dispositions applicables au système national de paiement… Tous ces textes de loi, et d’autres encore, ont pour finalité de donner à l’Institut d’émission plus de pouvoir d’indépendance en matière de supervision et de résolution des crises pour plus de stabilité financière.
« Nous menons des actions pour rénover le cadre légal et le cadre réglementaire. Les projets de loi ont été déposés depuis au Parlement, mais les deux Chambres évoluent très lentement – ça a toujours été le cas. Les députés et les sénateurs se doivent de nous aider à rénover notre cadre légal », a lancé le Gouv’. Regrettant que les parlementaires ne soient pas représentés à cette cérémonie, il a demandé avec insistance à la presse de relayer son propos auprès d’eux. D’après lui, toutes les réformes envisagées sur le système financier national ont besoin de soutien de tous.
S’adapter aux évolutions
La Banque centrale, quant à elle, est déjà à pied d’œuvre. « C’est important », dit-il. À commencer par le cadre réglementaire, à travers l’instruction n°14 (nouvelle version). Le gouverneur Mutombo demande aux banques commerciales de s’y conformer. « C’est important », dit-il encore. D’autres innovations sont envisagées.
Elles portent par exemple sur l’introduction du filet de sécurité et le coussin contra-cyclique pour être plus résilient aux chocs ; le relèvement des fonds propres (capital minimum) à 30 millions de dollars au 1er janvier 2019 afin de permettre aux banques commerciales d’accroître leur capacité d’intervention en matière de fourniture des services financiers, notamment les crédits à l’économie, par ailleurs objet principal pour une banque. Cela permet également de veiller à la bonne application de l’ancienne Instruction n°16 sur les règles prudentielles de provisionnement et de classement des créances ; d’éveiller l’attention des banques dans le suivi de la qualité des actifs et de leur contrepartie, le suivi de la solvabilité des emprunteurs ; de se conformer aux exigences de Bâle II et Bâle III, surtout en ce qui concerne l’Instruction relative au renforcement des fonctions de contrôle interne et de conformité ; d’ériger clairement les contrôles de 2è et 3è niveaux ; et de consacrer l’indépendance des fonctions d’audit…
Bref, comme l’explique Deogratias Mutombo, la Banque centrale a déjà émis plusieurs Instructions afin d’améliorer « la qualité des règles prudentielles de gouvernance ». Par exemple, les Instructions relatives aux commissaires aux comptes, aux agents bancaires (Instruction n°29)… qui permet aux banques d’étendre leur réseau à travers le pays à moindre coût grâce à l’utilisation des nouvelles techniques de l’information et de la communication (NTIC). Ce n’est pas tout. Les innovations portent aussi sur la protection des consommateurs des services financiers (le taux de change effectif ou taux d’intérêt), la gratuité de certains services (comme le retrait de francs aux banques par la Banque centrale)…
Les obstacles à l’activité bancaire
En travers des actions qui sont menées dans le cadre de la réforme globale du système financier national, beaucoup de pratiques entravent encore la bonne marche de l’activité bancaire. C’est le cas notamment des avis à tiers détenteurs (ATD) pénalisant les activités des entreprises, émis par l’administration fiscale.
Le gouverneur de la Banque centrale du Congo pense que c’est au débiteur, lui-même, de payer sa dette. « Il faut le suivre à son siège pour qu’il paie et non pas demander au banquier de le faire », s’insurge-t-il. Dépité, le Gouv’ Mutombo a écrit à qui de droit. « On doit laisser les banques travailler normalement, exige-t-il. Si quelqu’un ne paie pas l’impôt, des pénalités et des mécanismes sont prévus pour le contraindre à payer ». En tout cas, il trouve vraiment « anormal » que l’on fasse pression sur la banque alors que son client mis en cause n’a même pas de solde créditeur qui équivaille au montant à payer.
Que de menaces ! Des menaces récurrentes sur les banques commerciales, fustige encore le Gouv’ de la BCC. « Il faut qu’on arrête avec cela », tranche-t-il dans le vif. Sidéré de constater que les « saisies-attributions injustifiées » pour des contentieux dans lesquels les banques commerciales ne sont impliquées ni de loin ni de près sont devenues monnaie courante dans la justice. Il se demande s’il est vraiment « normal » que la banque soit contrainte de payer à la place de son client qui doit au fisc.
Deogratias Mutombo interpelle la justice qui doit « aider » à la protection des banques. Il regrette vivement que les « interférences » soient désormais à la mode concernant les dossiers de mise à l’index. Le Gouv’ ne comprend plus rien à cet état des choses. Furieux que des « emprunteurs malhonnêtes », pourtant mis à l’index, se donnent le loisir de saisir la justice contre les institutions financières. Et en fin de compte, ils ont gain de cause. « C’est anormal ! », lance-t-il encore. Avant de rappeler aux juges que les crédits sont financés par l’épargne du public et agir donc en faveur des « emprunteurs malhonnêtes » met dangereusement en péril cette épargne du public. « À cette allure, craint-il, on va trucider les banques », car, constate-t-il, ce sont en effet des dossiers où des millions de dollars sont en jeu qui montent en puissance. Pourtant, les « pauvres » banques ont financé de bonne foi !
La pyramide de Ponzi
Pour se sortir de cette situation, le Gouv’ appelle les banques à plus de vigilance et de prudence tous azimuts, surtout en face de ce genre de demandeurs de crédit. Qui se vêtissent de peau d’agneau quand ils viennent solliciter le crédit et se revêtent de celle de loup quand il est question de le rembourser. « C’est anormal, a-t-il encore dit, que des personnes mises à l’index soient protégées par la justice. Et que la même justice demande aux banques de négocier avec des emprunteurs malhonnêtes. Quand une banque doit négocier avec un emprunteur de mauvaise foi, elle part perdante ».
Le Gouv’ s’en prend aussi à certains dirigeants des institutions de microfinance et des banques qui font faillite. Au lieu de laisser à la Banque centrale dans son indépendance le soin de résoudre la crise, ils se réfugient derrière le tribunal de commerce qui enjoint finalement à la Banque centrale de négocier. « Sommes-nous sommes dans quel pays ?
Dans ce contexte, comment allons-nous évoluer ? », s’interroge non sans peine Deogratias Mutombo. « Aux États-Unis, a-t-il rappelé, les derniers Madoff sont encore en prison. Mais chez nous, on demande à la Banque centrale de négocier avec le dernier Madoff le démantèlement d’une pyramide de Ponzi savamment montée par le dernier Madoff lui-même. » Qui est-il le dernier Madoff congolais ? Suivez plutôt le regard du Gouv’ de la BCC.
Pour rappel, la pyramide de Ponzi est une escroquerie qui consiste à mettre en place un système d’investissement pyramidal, dans lequel la rémunération des premiers participants est assurée par les mises des nouveaux arrivants, jusqu’à ce que le mécanisme s’effondre de lui-même faute de nouveaux investisseurs. L’escroquerie massive mis en place par le financier Bernard Madoff pendant 48 ans reposait sur le principe de la pyramide de Ponzi. Madoff a trouvé son maître. Un émule chinois, Ding Ning, a monté la pyramide de Ponzi qui aurait fait le plus de victimes de l’Histoire. Avec son site de finances en ligne « Ezubao » lancé en 2014, il a escroqué 1 million de petits épargnants pour un montant de 7,6 milliards de dollars. Les banques commerciales ont donc intérêt à mettre des garde-fous, à être prudentes, à user de bon sens et de bonnes pratiques de gestion, recommande enfin le Gouv’ de la BCC. Par exemple, elles doivent exiger de l’emprunteur l’autorisation irrévocable de vendre l’hypothèque sans intervention de la justice. Autres problèmes : le Gouv’ déplore que l’administration fiscale se refuse jusque-là à appliquer la défiscalisation de provision pour créance douteuse (une double charge) consacrée dans la loi de finances de 2017. Par ailleurs, il exhorte les banques à être aussi des « bons conseillers » pour leurs clients, surtout les miniers. Qui sont tenus de rapatrier 40 % des ressources d’exploitation au pays suivant la réglementation en vigueur. En tout cas, il a été constaté des manquements au point que les pénalités seront désormais appliquées « sans sommation ». La Banque centrale ne transige plus sur ce point. Il a rappelé aux banques commerciales que le fait de valider la licence d’exportation vaut l’engagement de concourir au rapatriement d’une partie des recettes. Sinon, les banques doivent exiger la constitution d’une caution après validation.