L’ultimatum des États-Unis à la Chine

 Lors de leurs récentes discussions avec les Chinois, les Américains ont posé des conditions comme base à des négociations futures. Les observateurs sont à peu près d’accord que ces revendications jettent de l’huile au feu et risquent d’intensifier les conflits économiques et les tensions militaires.

 

Les représentants américains ont lancé une série de revendications lors des pourparlers à Beijing le 4 mai. Ils ont exigé que la Chine ne prenne aucune mesure de rétorsion contre les mesures américaines visant à compromettre son développement d’industries de haute technologie et l’ultimatum irréalisable de réduire de 200 milliards de dollars son excédent commercial avec les États-Unis en deux ans. Ces revendications ne sont pas destinées à servir de base à des négociations, mais à intensifier les conflits économiques et les tensions militaires.

« Les exigences des États-Unis représentent un appel au désarmement unilatéral de la Chine en prévision d’une guerre commerciale potentielle, et à l’abandon par Beijing des éléments clés de sa politique industrielle, cette dernière ayant conduit Washington à se méfier de la Chine comme d’un rival économique à long terme », a commenté Le Financial Times. Eswar Prasad, un expert en économie de la Chine, un chercheur de la Brookings Institution, a déclaré au journal: « Ces réunions pourraient s’inscrire comme une formalisation des hostilités plutôt que comme une base d’un règlement négocié. »

La feuille de route us

La délégation américaine comprenait le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin ; le secrétaire au Commerce, Wilbur Ross ; et les faucons commerciaux anti-Chine ; le représentant américain au commerce, Robert Lighthizer ; et le conseiller en politique commerciale de la Maison Blanche, Peter Narvarro. 

Les exigences ont été présentées dans un document de quatre pages intitulé « Équilibrer la relation commerciale ». Le gouvernement Trump a prétendu qu’il visait à « faciliter des échanges francs et constructifs entre les deux parties ». En fait, le document américain ressemble à l’ultimatum remis à la Serbie par l’Autriche en juillet 1914, qui a déclenché la Première Guerre mondiale.

Les États-Unis avaient initialement demandé à la Chine de prendre des mesures immédiates pour réduire de 100 milliards de dollars leur excédent commercial de 375 milliards de dollars avec les États-Unis. Ce montant a été doublé pour atteindre 200 milliards de dollars, soit une réduction de 100 milliards de dollars au cours de la période de 12 mois commençant en juin 2018 et une réduction additionnelle de 100 milliards de dollars à compter de juin 2019.

Le reste du document consistait en des exigences tout aussi impérieuses et impossibles à satisfaire, à savoir que la Chine cesse ses avancées en matière de développement de haute technologique et ne prenne aucune mesure, ni même de plaintes posées auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre les mesures américaines. « La Chine cessera immédiatement de fournir des subventions qui faussent le marché et d’autres types de soutien gouvernemental qui peuvent contribuer à la création ou au maintien de capacités excédentaires dans les industries visées par le plan Made in China 2025 » déclare le document. 

En effet, cela signifie que la Chine doit abandonner son programme industriel et devenir complètement inféodée aux exigences des États-Unis. Le document exigeait que la Chine prenne des « mesures immédiates et vérifiables » pour assurer la cessation des mesures gouvernementales chinoises, parrainées ou tolérées visant les secrets commerciaux américains et les informations commerciales confidentielles, conformément aux affirmations américaines selon lesquelles la Chine volerait la propriété intellectuelle.

La Chine a nié qu’un tel vol ait lieu et a insisté sur le fait que ce que les États-Unis appellent des « transferts de technologie forcés » font partie des accords conclus par des entreprises américaines désireuses de faire des affaires en Chine par le biais de partenariats. Le document stipulait que la Chine ne prendrait pas de mesures de rétorsion « que ce soit sous forme de droits de douane sur les importations de produits américains ou sous toute autre forme » contre les produits agricoles américains et « cesserait toutes les mesures de rétorsion en cours ».

La réaction chinoise

La Chine a menacé d’imposer des tarifs douaniers sur les produits agricoles américains si les États-Unis appliquaient un droit de douane de 25 % sur les produits chinois, qui devrait entrer en vigueur d’ici la fin du mois en vertu de l’article 301 de la loi de commerce américaine de 1974. Les États-Unis ont en outre exigé que la Chine retire sa contestation actuelle aux mesures américaines auprès de l’OMC et « ne prennent aucune autre mesure concernant cette question » dans le cadre des règles et procédures de l’OMC. En somme, les États-Unis exigent une complète soumission de la part de la Chine dans ses politiques industrielles et économiques. Surtout, Washington se concentre sur le développement de la haute technologie, qu’il considère comme une menace à sa suprématie économique et militaire, comme l’indique le paragraphe suivant du document : « Compte tenu des restrictions actuelles d’investissement chinoises et des investissements dirigés par l’État dans des secteurs technologiques américains sensibles, y compris des projets industriels tels que ‘Made in China 2025’, la Chine confirme qu’elle ne s’opposera pas, ni ne contestera, ni prendra de mesures de rétorsion contre l’imposition par les États-Unis de la restriction des investissements en provenance de la Chine dans les secteurs technologiques sensibles des États-Unis, essentiels à la sécurité nationale des États-Unis. »

En ce qui concerne les investissements américains en Chine, le document signale que Beijing doit indiquer au 1er juillet toutes les restrictions imposées. Les États-Unis identifieraient ensuite les restrictions qui « interdisent aux investisseurs américains un accès et un traitement équitables, efficaces et non discriminatoires au marché ». Après cette identification, « la Chine doit agir rapidement pour supprimer toutes les restrictions d’investissement identifiées selon un calendrier décidé par les États-Unis et la Chine. »

La délégation américaine a exigé que Beijing donne carte blanche à Washington pour imposer des mesures contre la Chine. Le document indiquait: « La Chine reconnaît également que les États-Unis peuvent imposer des restrictions à l’importation et des droits de douane sur les produits dans les secteurs critiques, y compris les secteurs identifiés dans le plan industriel Made in China 2025. » Si la Chine n’exécutait pas les exigences américaines, « la Chine reconnaît la probabilité que les États-Unis imposent des droits de douane supplémentaires ou d’autres restrictions d’importation sur les produits chinois ou sur l’offre de services chinois dans la mesure jugée appropriée par les États-Unis ». En outre, « la Chine comprend » qu’elle « ne s’opposera pas, ne contestera ni ne prendra aucune forme d’action contre l’imposition de droits additionnels par les États-Unis », y compris par l’intermédiaire de l’OMC. La Chine doit également abandonner son opposition aux objections des États-Unis à ce qu’elle soit déclarée une « économie de marché » en vertu de la réglementation de l’OMC. L’octroi du statut de marché de l’OMC à un pays rend plus difficile l’imposition de restrictions par ses concurrents. Les contre-revendications chinoises comprenaient la levée des droits de douane de 25 % proposés sur les exportations chinoises vers les États-Unis; un accès ouvert aux produits chinois dans les marchés publics américains; égalité de traitement pour les entreprises chinoises lors de tout réexamen de la sécurité nationale; un ajustement sur l’interdiction imposée à la société technologique chinoise ZTE; et l’engagement des États-Unis de ne pas ouvrir d’enquête en vertu de l’article 301 sur la Chine à l’avenir.

« Concurrent stratégique »

Comme l’indiquait le document des États-Unis, Washington ne fera aucune concession sur ces questions. Il ne fait aucun doute qu’il y aura des conjectures au cours des prochaines semaines quant aux concessions que les deux parties pourraient faire lors des négociations futures – le cas échéant – maintenant qu’elles ont exposé leurs positions de base. Bien qu’il y ait peut-être des avancées dans cette direction, toute évaluation qui considère ce conflit comme un simple « différend commercial » serait complètement erronée. Les mesures de guerre commerciale des États-Unis font partie d’un programme beaucoup plus vaste visant à transformer la Chine en une semi-colonie, si nécessaire par des moyens militaires.

La stratégie de sécurité nationale des États-Unis, publiée en décembre 2017, qualifiait la Chine de « concurrent stratégique » pratiquant une « agression économique » contre les États-Unis. Dans la Stratégie de défense nationale (NDS) de janvier, le secrétaire à la Défense, James Mattis, a déclaré que la « concurrence de grandes puissances » plutôt que le terrorisme était « maintenant le principal objectif de la sécurité nationale des États-Unis ». La NDS désignait la Chine ainsi que la Russie comme « puissance révisionniste » cherchant à créer un monde en conformité avec son « modèle autoritaire ».

En juillet 1914, le régime autrichien décadent et en décomposition publia un ultimatum impossible à respecter par la Serbie, à la suite de l’assassinat de l’archiduc autrichien Ferdinand à Sarajevo. L’Autriche savait que ses exigences provoqueraient la guerre, mais elle se lançait ainsi dans une tentative désespérée de maintenir son empire européen menacé. Aujourd’hui, l’impérialisme américain, qui se considère menacé de tous côtés par des rivaux, anciens et nouveaux, considère l’expansion économique de la Chine comme une menace existentielle pour sa domination économique et militaire mondiale. En adressant ses ultimatums à la Chine, Washington a fait savoir qu’il n’était pas moins prêt à plonger le monde dans la guerre.