DANS une correspondance adressée à Aimé Ngoy Mukena, ministre des Hydrocarbures, dont une copie a été transmise à Joseph Kabila Kabange, le chef l’État, et à Bruno Tshibala Nzenzhe, 1ER Ministre, l’administrateur directeur général adjoint du Service des entreprises pétrolières (SEP), Jean Madebu Bunga Madrandele, et le directeur du département d’exploitation, Célestin Beya, écrivent : « Cette situation va rapidement se traduire par la rupture des produits pétroliers dans les stations-services vraisemblablement d’ici la fin de la semaine, si les stocks ne sont pas reconstitués. »
Fort probable, dès ce lundi 17 septembre, les stations-services pourraient, comme il y a encore quelques mois, rationner la vente du super et du gazole. Depuis le début de l’année, le prix du litre à la pompe a déjà augmenté à trois reprises. Le prix du litre du carburant a augmenté de 4,62 %, soit 80 FC à la pompe, passant ainsi de 1 730 à 1 810 FC pour l’essence et de 1 720 à 1 800 FC.
Actuellement, le litre (essence) à la pompe coûte 1 990 FC et celui du gasoil, 1 980 FC. À chaque fois, Joseph Kapika Dikanku, le ministre de l’Économie, justifiait la hausse à la pompe du fait de l’augmentation du prix du baril de pétrole sur le marché international, celui du PMF, prix moyen frontière commercial ainsi que l’écart du taux de change appliqué dans la structure des prix du carburant en République démocratique du Congo avec la réalité du marché de change. Pourtant des analystes présentaient déjà un malaise qui couvait au sein de SEP Congo.
Ni essence ni gazole
Les stocks des sociétés commerciales tant en essence qu’en gazole sont, en effet, en-deçà de 30 % du stock, apprend-on. En d’autres termes, la RDC ne disposera même plus du « stock stratégique » que doivent obligatoirement conserver les entreprises commerciales. « Nous les avons mis en demeure de reconstituer urgemment leurs stocks, sans actions de leur part », poursuivent l’administrateur directeur général adjoint et le directeur du département d’exploitation de SEP Congo dans leur correspondance au ministre de tutelle.
Les réfractaires, s’il faut les désigner ainsi, sont Engen, Total, Aristea… Bref, les entreprises étrangères qui détiennent l’actionnariat majoritaire à SEP Congo. La Société nationale des hydrocarbures (SONAHYDROC SA), ex-COHYDRO, représente les intérêts de l’État avec 36 % des actions, selon nos sources. Actionnaire minoritaire, l’État a été contraint depuis des lustres à céder le poste du numéro un de SEP. Il est à ce jour occupé par Marc Voillard, qui n’a pas apposé sa signature dans la correspondance adressée aux autorités… signe d’un malaise plutôt en profondeur au sein de SEP Congo.
Tolérance
« SEP Congo SA gère les stocks disponibles en tolérant ponctuellement un stock négatif pour une Socom [Société commerciale, Ndlr] sous réserve que le stock disponible globale de toutes les Socoms soit positif, et ce, pour ne pas perturber la distribution nationale en produits pétroliers. Or, cette tolérance ne saurait s’appliquer dès que le stock disponible de toutes les Socoms devient négatif », lit-on dans la correspondance adressée au ministre des Hydrocarbures.
Il y a encore quelques semaines, SEP Congo était sur le point de suspendre la livraison des produits pétroliers, faute d’accord avec la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) sur le coût de la location des wagons-citernes et des échéances du paiement. La société nationale des chemins de fer réclamant du cash.
Quelques mois plutôt, François Créma Deillis, l’alors directeur général du Service des entreprises pétrolières, estimait que SEP vivait peut-être ses derniers jours à cause de la concurrence déloyale mais féroce des produits pétroliers en provenance de Lufu, Muanda ainsi que de toutes les localités riveraines du fleuve Congo, dans l’ancienne province de l’Équateur.
Concurrence
À ce jour, SEP Congo ne tourne plus qu’à 40 % de sa capacité de stockage, les nouveaux opérateurs dans le secteur lui ayant ravi la grande part du marché intérieur des produits pétroliers. Créma Deillis souligne que SEP Congo a perdu plus de 100 000 m3 de volume entre 2013 et 2016 à l’Ouest, où est concentré l’essentiel de ses activités rentables.
Le prix d’un litre d’essence se négocie autour de 0.7 dollar, contre 1.25 chez SEP Congo, conséquence médiate de la concurrence déloyale devant laquelle le gouvernement a fermé les yeux, avait-t-il fait comprendre, sans sourciller, à Wivine Mumba Matipa, la ministre du Portefeuille. Créma Deillis a été, depuis, remplacé par Marc Voillard.
Mais la crise à SEP Congo s’amplifiait. Et les assurances de Célestin Tunda ya Kasende, le président du conseil d’administration, mandataire de l’État, selon lesquelles l’établissement public conserverait pour longtemps encore le leadership dans la distribution des produits pétroliers, n’ont été que pour vaticiner le quasi-marasme actuel au sein de SEP.
Pourtant, les experts du ministère du Portefeuille sont d’avis que SEP Congo est sur une pente raide depuis pratiquement 5 ans, avant même que le poste frontalier de Lufu ne connaisse une telle expansion. Et l’État a, pratiquement, scellé le sort d’une firme qui conserve les stigmates de la colonisation. Le gouvernement a maintes fois manifesté sa préoccupation sur la situation des infrastructures de transport et de stockage des produits pétroliers autant que sur la gestion des SEP Congo.
En finir avec SEP
Dans une note datée du 10 octobre 2013, adressée au 1ER Ministre de l’époque, Augustin Matata Ponyo, l’alors ministre du Portefeuille, Louise Munga Mesozi, avait d’ailleurs préconisé la création d’une nouvelle entreprise. L’État actionnaire devrait exiger aussi un audit spécifique de SEP Congo. Les conclusions de cet audit permettraient au gouvernement de prendre des décisions idoines, écrivait-elle au chef de l’État.
Mais les experts du gouvernement devraient sans délai établir les estimations sur la quote-part à prendre en charge par la structure des prix des produits pétroliers. Certes, la mise en œuvre du schéma de l’amélioration de la capacité des infrastructures actuelles de transport et de stockage des produits pétroliers doit se faire dans un bref délai, en compagnie d’autres actionnaires, expliquait la ministre.
Cependant, le gouvernement doit lever l’option de la solution définitive préconisée pour cette question d’infrastructures de transport et de stockage, la construction d’un nouveau pipeline. Et une étude financière et technique devra être commandée par l’État, seul, auprès d’une firme spécialisée pour ce faire.
Crispin Atama, l’actuel ministre de la Défense nationale, avait lancé à l’époque où il a été ministre des Hydrocarbures, un avis à manifestation d’intérêts pour le recrutement en vue de l’étude de faisabilité d’un pipeline dont le point de départ est le port maritime de Banana et le point de livraison le terminal de Kinshasa en passant par Ango-Ango.
Deux ans après, un quai pétrolier ainsi qu’un appontement d’une capacité de stockage de 25 000 m3 ont été construits par l’entreprise d’État, Cobil. Pourtant, l’infrastructure qui a fait l’objet de l’appel d’offre du ministre des Hydrocarbures, devrait faire transiter des produits finis, c’est-à-dire essence, gasoil, kérosène… d’un volume combiné de 1 million de m3, dans un premier temps, et de 3 millions de m3 à l’horizon 2020.