MARTIN Kabwelulu, le ministre des Mines, a fait savoir que tous les ministères concernés par les recommandations (à charge du gouvernement et/ou à charge des provinces) de la 3è édition de la Conférence minière de la République démocratique du Congo devraient être convoqués à une réunion. Par ailleurs, le ministre des Mines va proposer à Bruno Tshibala Nzenzhe, le 1ER Ministre, le projet d’un décret déclarant le cobalt « substance stratégique ».
Pour rappel, les matières premières dites « stratégiques » sont des ressources naturelles rares, inéquitablement partagées, coûteuses, difficilement accessibles, mais indispensables à l’activité industrielle. Elles sont souvent disponibles en quantité faible et constituent, de ce fait, des enjeux d’ordres scientifique et économique, et sont sujettes à des études prospectives.
D’après Martin Kabwelulu, le minerai de cobalt remplit aujourd’hui toutes les conditions prévues par le code minier pour être déclaré « stratégique ».
D’ailleurs, il n’y a pas que le cobalt, le lithium et le germanium pourraient être aussi déclarés « minerais stratégiques » dans les prochains jours. Ce qu’il faut encore savoir, une politique nationale sur le cobalt est en préparation, envisagée sur une échéance de 20 ans.
L’approche gouvernementale satisfait certains milieux au Katanga, notamment les milieux universitaires. Comment tirer profit du cobalt, mais aussi des autres minerais stratégiques ? Comment éviter que le cobalt ne devienne source de « malheur » pour la RDC, comme le sont le diamant, le coltan et la cassitérite ?
Le cobalt et ses enjeux
Le Congolais lambda a du mal à appréhender toute la publicité qui est faite actuellement autour du cobalt. Odon Kipepe, professeur et directeur général adjoint de Ruashi Mining SAS, explique qu’il existe deux procédés pour obtenir le métal ou le sel du métal. Il s’agit de la pyrométallurgie (par voie sèche), qui consiste à l’usage des chaleurs des fours. Cette technique est utilisée par STL, UL, FEP, FELCO et CDM. Tandis que l’hydrométallurgie (par voie humide) consiste à l’usage des solutions aqueuses. Le procédé est utilisé notamment par US, Ruashi Mining, MMG et KCC. « Tous les minerais, riches en oxygène (minerais oxydés) et contenant du souffre (minerais sulfurés) sont généralement traités par l’un ou l’autre procédé », fait remarquer Odon Kipepe.
Qui fait savoir, par ailleurs, qu’il existe huit principaux usages du cobalt : batteries rechargeables (30 %), superalliages (19 %), carbures cémentés et outils diamantés (10 %), catalyseurs (9 %), céramiques et émaux ou pigments (8 %), aimants permanents (6 %), agent séchant et pneumatiques (3 %), et autres (7 %).
En un an et demi, le cobalt a connu une évolution fulgurante. Son cours sur le marché des métaux est passé du simple au triple, depuis 2016. La tonne se négociait à plus de 79 000 dollars à London Metal Exchange (LME), contre 21 000 auparavant.
D’après lui, les voitures de demain dépendront largement de l’approvisionnement en cobalt en provenance de la RDC. « Le cobalt, c’est le futur de l’automobile. Les gouvernements du monde s’attaquent de plus en plus aux émissions polluantes des moteurs à carburant traditionnel.
La plupart des grands constructeurs automobiles se sont engagés dans la construction des véhicules électriques. Ce qui entraîne, par conséquent, une augmentation de l’utilisation des batteries lithium-ion ainsi que des matériaux nécessaires à leur fabrication dont fait partie le cobalt », fait comprendre Odon Kipepe.
L’essentiel des réserves du cobalt se trouve en RDC (50 %), en Australie (20 %) et à Cuba (14 %). Idelphonse Tshinyama Kadima, professeur à l’Université de Lubumbashi (UNILU), note que « le cobalt demeure l’un des éléments essentiels dans les technologies innovantes ». D’après lui, la concentration géographique de la production du cobalt dans le Haut-Katanga et le Lualaba révèle le caractère clé de la RDC en tant qu’État.
Sur le plan géostratégique, souligne-t-il, de par l’importance de ses gisements, la RDC est un « eldorado souterrain et/ou minier ». Il faut savoir gérer la ruée des entreprises qui vont se bousculer à la porte. En considérant les défis pour les autres États et les entreprises, il soulève des questions dont les réponses permettraient à la RDC de se doter d’une politique des minerais stratégiques, dont le cobalt.
Directeur de l’École de criminologie de l’UNILU, Idelphonse Tshinyama est persuadé que le cobalt va conditionner le développement futur de l’industrie civile et l’industrie de la défense, assurer la stabilité économique (fabrication de nombreux produits) et constituer l’élément clé de compétition industrielle technologique autour des produits innovants. Dans ce contexte, prévient-il, ce qui est normal c’est la guerre. Une guerre qui pourra être économique ou militaire, et qui demande qu’on réfléchisse sur les stratégies en vue des positionnements possibles et sur les stratégies de défense.
Quant à lui, le professeur Jean-Luc Kahamba, directeur général adjoint de COMMUS, fait remarquer que la RDC a déjà contribué à deux révolutions industrielles sans en tirer l’avantage économique conséquent. C’est d’abord la révolution de l’industrie automobile, avec le caoutchouc pour la fabrication des pneus. Ensuite, de la création du CIPEC en 1967, avec le cuivre de la Gécamines. En créant le cartel des pays producteurs et exportateurs de cuivre (50 % de la production mondiale) avec le Chili, la Zambie et le Pérou, la RDC a tenté vainement pendant deux décennies de maîtriser le marché du cuivre.
Saisir l’opportunité
Maintenant, laisse-t-il entendre, il ne faut pas rater l’opportunité qu’offre le cobalt, avant qu’il ne soit trop tard. « Que fait la RDC avec ses plus de 60 % de la production mondiale pour pérenniser son avantage concurrentiel ? Quelle stratégie mettre en place pour conforter son leadership mondial sur ce minerai stratégique ? Allons-nous assister aux jérémiades traditionnelles lorsque les cours mondiaux du cobalt vont se tasser ? », lance-t-il dans le débat.
Le constat est amer : la géostratégie du cobalt, souligne Jean-Luc Kahamba, est significative alors que la RDC abrite plus de la moitié des réserves de ce minerai stratégique et en exporte plus de 70 % de la production mondiale sans aucune transformation (usine de raffinage) ni valeur ajoutée. Le minerai voyage sous d’autres cieux avec un contenu approximatif de 47 % de métal. La RDC encaisse moins de 50 % des fantastiques cours LME du cobalt à près de 100 000 dollars la tonne. La plus-value se fait essentiellement en Chine, le leader mondial du cobalt raffiné.
Le constat devient plus amer : le lieu où sont installées les giga factoreries qui produisent les batteries au cobalt… Encore une fois, la RDC n’apparaît pas dans le paysage industriel de la fabrication des batteries au cobalt (lithium-ion) sans compter à cela les utilisations dans les super alliages, les alliages résistant à l’usure, le placage électrolytique, les alliages magnétiques ainsi que les usages catalytiques et physico-chimiques.
Le professeur Kahamba estime qu’il faut prendre des « mesures de sauvegarde » pour accompagner le code minier révisé. « Pourquoi la RDC ne peut pas lier les autorisations d’installation des entreprises minières d’exportation du cobalt à leur création d’usine de raffinage, comme la Gécamines qui a produit pendant des années du cobalt métallique, première étape de transformation au lieu de se limiter à une simple exportation de sels de cobalt ? », pose-t-il.
D’après lui, tant qu’elle exportera de la matière première brute, et qu’elle ne transformera pas les produits sur place, la RDC sera toujours une sorte de « poubelle de l’industrie mondiale ». « Nous devons réfléchir à la transformation du cobalt que nous produisons. Nous devons avoir des projets de fabrication des batteries pour les voitures électriques… », interpelle-t-il.
Jean-Luc Kahamba pense que ceux qui importent le cobalt de la RDC doivent accepter de venir installer leurs installations chez nous. Sinon, le gouvernement devrait envisager de diviser par deux les exportations de cobalt pour inciter les entreprises minières à la transformation locale. Ainsi, 50 % exportés et 50 % transformés sur place. L’enjeu, dit-il, est de taille. « Nous devons nous approprier ce métal sous toutes ses formes en mettant à contribution tous les secteurs de la société civile », exhorte-t-il.