L’ALTERNANCE au pouvoir d’État en République démocratique du Congo est effective. Lorsque le pays s’éveille le 10 janvier au matin, le jour de la proclamation des résultats des scrutins présidentiel et législatifs couplés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), il ressemble déjà à une marmite bouillonnante. Le quartier général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti dont Félix Tshisekedi déclaré vainqueur de l’élection présidentielle est le président national, 10è Rue Limete, est comme une ruche géante d’où se répandent les rumeurs les plus folles sur ce que sera la présidence de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo (FATSHI).
Dans un pays où tout, alors tout, se sait – des secrets d’alcôve aux secrets d’État les mieux gardés, rien n’échappe à « Radio-Trottoir » -, comment ne pas faire foi en la rumeur et comment ne pas croire à ce que dit l’homme de la rue ? Lors d’un meeting populaire à Kinkole, le président Mobutu Sese Seko, lui-même, a fait l’éloge de la « Radio-Trottoir », celle qui émet plus puissamment que la chaîne publique, à l’époque Office zaïrois de radio et de télévision (OZRT).
Dans les jours qui ont suivi l’élection de Fatshi, la question est sur toutes les lèvres : quelles seront ses premières décisions ? À Kinshasa, voire dans le pays tout entier, chacun y va de son commentaire. Les uns, surtout parmi ses partisans, souhaitent que son mandat démarre sur les chapeaux de roues. En réalité, ils veulent que le « Président de l’alternance » se pare d’un dispositif très dissuasif pour vider le pays des anti-valeurs comme la corruption, l’impunité, l’enrichissement illicite, les arrestations arbitraires, etc. D’autres soulignent sa détermination de préserver du naufrage la démocratie et d’améliorer les conditions de vie du peuple congolais.
« Il faut qu’on sente qu’il y a un pilote dans l’avion » : c’est par cette formule qu’un père de famille, fonctionnaire de son état, résume l’état actuel. « Le président ne doit plus être le même. Rigueur, travail et dignité : tels sont les trois mots qui devront guider son action à la tête du pays », estime une femme travailleuse. À peine est-il proclamé cinquième président de la RDC, Félix Tshisekedi prend peu à peu ses marques : non seulement agir vite mais aussi marquer les esprits en prenant des décisions (tape-à-l’œil) qui rencontrent directement les attentes de la population.
Les premiers jours de présidence
Trois jours après sa prestation de serment, Félix Tshisekedi est confronté à la grogne des étudiants de l’université de Lubumbashi qui manifestaient, dimanche 27 janvier, contre la coupure de l’eau et de l’électricité sur le campus ainsi que contre le réajustement des frais académiques. La police intervient. Bilan officiel : trois morts. Vital Kamerhe, son directeur de cabinet, annonce que Steve Mbikayi, le ministre en charge de l’Enseignement supérieur et universitaire, sera entendu sur ces événements et que la mesure sur le réajustement des frais académiques a été suspendue. Le président est applaudi à tout rompre ici et là.
Il le sera davantage par la population, mardi 29 janvier, quand il prend la mesure de suspendre le directeur général de la société (publique) de transports du Congo (TRANSCO). L’objectif était de contenir le mouvement de grève et l’ire des agents qui exigeaient le départ du DG pour « mauvaise gestion » et le paiement des arriérés de salaires. Pendant trois jours, le transport en commun a été paralysé à Kinshasa. Et comme un malheur ne vient jamais seul, postiers à Kinshasa et dockers au port de Matadi sont à leur tour entrés dans la danse des revendications salariales. Le DG de la Société congolaise des PTT (SCPT) et celui de la Société commerciale des transports et des ports (SCTP) sont donc sur le gril.
La nouvelle de révocation des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) du général Constantin Salumu Mbikila, le conseiller chargé du Génie à l’Inspectorat Général des FARDC pour « détournement de fonds destinés à la réhabilitation de bases militaires de Kamina et Kitona » est venu rajouter du baume au cœur.
Officiellement, après le passage de témoin (remise et reprise) avec son prédécesseur, vendredi 25 janvier, le nouveau président de la République a rappelé sa promesse de campagne électorale, la fermeture des cachots de fortune comme sa première mesure : « Ça sera fait. J’ai déjà programmé une réunion du Conseil supérieur de sécurité à laquelle je vais adjoindre les agences comme l’ANR (Agence nationale de renseignements) et l’une de mes premières décisions sera celle-là. Lorsqu’il y a des cas de ce genre, on les transfère simplement à la justice, les emprisonnés, on les emprisonne à Makala ou ailleurs mais pas dans des cachots de fortune. » Il a aussi promis d’instruire le ministre de la Justice de procéder à l’identification de tous les prisonniers politiques en vue de leur libération.
Baroud d’honneur !
Justement, c’est sur le terrain des droits et des libertés que Félix Tshisekedi est très attendu. Parmi les « dossiers brûlants » dont il hérite figurent évidemment celui de la restauration préalable de l’autorité de l’État, la lutte contre la corruption et son corollaire l’impunité, l’amélioration des conditions salariales des fonctionnaires, policiers et militaires, etc.
Un proche du président confie : « L’amour entre Félix Tshisekedi et le peuple congolais, c’est question de baroud d’honneur pour réduire la tension politique dans les rues et les cités du pays. » Le style, résolument convivial, du président Tshisekedi en séduit plus d’un : lorsqu’il s’adresse à ses proches lors d’une réunion de famille, Fatshi met en garde contre les « excès » et exige un comportement « exemplaire » de leur part. « Les Congolais ne sont pas vos esclaves », a-t-il lancé. Chaque jour, il se montre à l’écoute de la population, et renforce ainsi sa popularité. Est-ce une bonne chose de se soumettre à la pression populaire ? Difficile à dire. « Toujours est-il que le président de la République a tous les ressorts nécessaires pour décider dans l’intérêt supérieur de la Nation », nous explique un de ses proches au parti. On le vérifiera. Surtout que des ONG commencent à sortir des tiroirs des rapports.
C’est le cas de l’ONG britannique Global Witness qui a publié le 1ER février un rapport sur l’exploration pétrolière dans le parc national de la Salonga. Elle prie le nouveau président de « revoir un contrat pétrolier approuvé par son prédécesseur en février 2018, pour s’assurer qu’il est conforme à la loi congolaise et que le peuple congolais touche les bénéfices du secteur pétrolier ».
Il s’agit du Contrat de partage de production (CPP) conclu entre le ministère des Hydrocarbures et la Compagnie Minière du Congo (COMICO), approuvé par ordonnance présidentielle en février 2018, lui permettant de mener des prospections dans trois blocs de la Cuvette Centrale. L’un d’eux empiète sur le Parc national de la Salonga, inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO. Selon l’analyse juridique commandée par Global Witness, ce contrat qui remonte à 2007, serait contraire à la loi sur les Hydrocarbures de 2015 qui stipule que « tout contrat comprenant une clause qui contredit les normes fixées par la loi doit être considéré comme nul et non avenu ». À suivre.