N’EST-IL PAS alors assez réductif de limiter les informalités économiques aux activités traditionnelles jusque-là communément considérées comme relevant de ce qui est qualifié de « secteur informel » ? (1)
Quant à la République Démocratique du Congo, les origines du secteur informel remontent à la colonisation du fait que l’économie du CONGO-BELGE était extravertie et avait pour finalité le développement prioritaire de la métropole. Ainsi, les tissus économique et social étaient constitués par un monde restreint, comportant des salariés travaillant dans un système économique dont le fonctionnement était dominé par la logique et la rationalité capitalistes et un grand monde d’acteurs économiques œuvrant à leur propre compte constituant, à certains égards, sa réserve de main-d’œuvre.
Deux Chercheurs Belges d’Anvers, Messieurs Tom De Herdt et Stefaan Marysse, ont classifié les diverses couches sociales ou populations de la manière suivante : (2)
En 1955, 39 % de la population active urbaine, c’est-à-dire âgée de 15 à 59 ans, se trouvaient dans le secteur formel, et 61 % dans l’économie non structurée. En 1961, 29,1 % s’y trouvaient encore, pour 70,9 % dans le secteur informel. En 1990, 5 % seulement de la population active urbaine pouvaient encore compter sur le revenu du secteur formel. Selon eux, en 2000, après une transition tumultueuse, après les tristes pillages de 1991, 1993, après les guerres de 1997 et 1998, on ne pouvait plus compter raisonnablement que sur plus de 1 % dans le secteur structuré.
Ce qui paraissait comme conjoncturel depuis les années 50 à cause du phénomène colonial est devenu par son dynamisme, un phénomène économique structurel avec lequel il faudrait compter dans tout projet de développement ou de restructuration.
En outre, la zaïrianisation en 1973, les pillages en 1991 et 1993, les guerres successives entre 1996 et 2003, ont entraîné la détérioration du tissu économique congolais créant une misère et une pauvreté humaine sans précédent.
Évasion fiscale
Dans ce contexte, toutes les activités socio-économiques ont basculé vers le secteur informel. Si dans la pratique, l’économie informelle procure à ses bénéficiaires des gains faciles, l’ampleur des conséquences est importante pour la société, car l’évasion fiscale et le travail au noir pénalisent gravement ceux qui respectent les lois et supportent par conséquent un fardeau fiscal additionnel. Évidemment, cette situation pose avec acuité, le problème de la répartition des charges publiques.
Ensuite, la faiblesse du pouvoir d’achat des salariés exerçant dans le secteur formel incite ces derniers à rechercher des revenus complémentaires dans le secteur informel.
Enfin, la réduction des effectifs dans la Fonction publique et la déconfiture des entreprises publiques ont contribué à la dévalorisation du secteur public et ont provoqué logiquement le gonflement du nombre des personnes opérant dans le secteur informel.
Au fait, en République Démocratique du Congo, tout le monde est soit opérateur, soit bénéficiaire de biens et services fournis par ce secteur informel. En effet, le secteur informel congolais n’est pas marqué par une absence de relations avec le secteur formel. Son extension par ses interférences avec la composante privée et publique du secteur formel, se réalise par des phénomènes de débauchage, de pluriactivité et de collaboration. Le formel et l’informel sont par conséquent intimement liés ; ce dernier agissant à la fois comme soupape de sécurité et amortisseur de chocs sociaux.
L’économie informelle congolaise permet donc de satisfaire la quasi-totalité des besoins des couches sociales. On peut conjoncturer que l’ensemble de la population congolaise fonctionne bien plus de façon informelle que de manière formelle (3)
Le Professeur KALONJI-NTALAJA (4) l’a si bien démontré: « Plus un pays est sous-développé, plus importante est la part de l’économie informelle dans son PIB. »
Le sous-développement et l’extension de l’économie informelle ne refléteraient qu’une même réalité entretenue par la qualité managériale de l’État » et YOKA LYE MUDABA ( ) renchérissait dans son livre sur les perceptions congolaises du développement « l’informel au CONGO s’est imposé dans tous les domaines de la vie sociale et a induit de nouvelles solidarités et de nouveaux modes de partage de richesse, alliant ainsi l’absence de dimension (re)distributive affichée par les politiques nationales de développement ».
La faillite de l’État
Laissée pour compte par le secteur formel, la population congolaise est coincée depuis longtemps dans une grave crise, son besoin fondamental de survie et son aspiration légitime au bien-être, l’ont obligée à se réfugier dans l’informel.
Cette faillite ou abandon de l’État s’est traduite par une situation ambivalente. D’un côté, n’attendant rien d’en haut, c’est-à-dire du secteur formel et particulièrement de l’État pour résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés, les gens ont pris leur destin en main ; de l’autre, ils se sont obligés d’inventer des solutions « appropriées » aux problèmes que pose l’implosion de cet État.(5) Cette situation a fait qu’il n’est pas aisé de marquer une limitation exacte du secteur informel au Congo.
Certains Professeurs ont essayé d’éclairer ce marquage, notamment le Professeur BUABUA WA KAYEMBE qui a fait la comparaison entre le secteur formel et informel de la manière suivante : « Ce dernier étant toute activité économique entreprise en dehors des exigences légales et qui échappe aux mécanismes de contrôle de l’État tandis que le secteur formel peut être considéré comme celui fonctionnant conformément à la Loi.
De ce fait, les opérateurs formels sont répertoriés, s’acquittent de leurs obligations fiscales et leurs activités sont reprises dans les statistiques de la Nation » (6) tandis que le Professeur BAKANDEJA considère « qu’une économie formalisée est celle qui est régie par des normes (juridiques), c’est aussi celle qui est réglementée, celle qualifiée aujourd’hui d’économie régulée répondant à la fois à l’éthique des affaires et à la déontologie ».(7) Enfin, le Professeur NYABIRUNGU MWENE SONGA a parlé de la criminalisation de l’économie congolaise en ce sens qu’elle ne fonctionne plus selon les normes contenues dans nos Lois et que c’est la violation de ces Lois qui est la norme de la production, de la circulation, de l’échange, de la répartition et de la consommation de richesse. En l’espèce, l’économie informelle repose sur un compromis social, un consensus muet autour de la tolérance du non-respect de la Loi. (8)
Selon ce document de travail du DIAL, sur le secteur informel en milieu urbain en RDC, on pouvait dénombrer en 2005, environ 2,9 millions d’Unités de production informelles (UPI) dans l’ensemble des Centres urbains de la RDC. UPI étant une unité qui n’est pas enregistrée selon la réglementation industrielle ou commerciale en vigueur ou qui ne tient pas une comptabilité formelle et écrite.