LOIN du tintamarre strident de la classe politique dans son ensemble, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, 72 ans, tisse sa toile. Apparemment, ses premiers faits et gestes à la Primature montrent qu’il veut sortir de la scène politique en marquant l’histoire de notre pays, c’est-à-dire sortir avec honneur considéré comme le premier bien. Apparemment ! Depuis le 3 septembre, des aviseurs sur la vie politique en République démocratique du Congo analysent ses faits et gestes, les dissèquent et tentent de leur donner une réalité concrète.
« Il y a des héritages dont on se débarrasse difficilement, mais avec un peu de volonté on y arrive quand même.
C’est à cet exercice que le 1ER Ministre s’essaie », croit comprendre le politologue Jean Marie Kidinda. Avec des collègues professeurs vivant au Canada, ils suivent les premiers pas de Sylvestre Ilunga, investi 1ER Ministre le 6 septembre dernier par l’Assemblée nationale, à la manière des chasseurs qui pistent le gibier.
Ici même, dans les colonnes de l’édition n°237 de Business et Finances, du 26 août au 1er septembre 2019 (dont la rédaction recommande vivement la relecture), nous nous interrogions déjà à haute voix : « Ils sont nombreux, les Congolais qui s’interrogent sur la capacité du nouveau 1ER Ministre à insuffler un nouvel état d’esprit dans la relation des Congolais au pouvoir d’État, c’est-à-dire dans la gestion des affaires publiques. Ce n’est un secret pour personne, ses détracteurs lui reprochent surtout de n’avoir pas pu transformer la SNCC en une entreprise performante et viable tout au long de son mandat à la tête de cette entreprise publique en difficulté, malgré le financement de la Banque mondiale. Alors, sera-t-il vraiment à la hauteur de la tâche et du travail qu’on attend de lui, face aux défis de l’État pour sortir la population de la précarité ?
(…) la grande inconnue reste le programme du gouvernement pour le quinquennat. Ilunga Ilunkamba va-t-il s’aligner sur la vision de Félix Antoine Tshisekedi (350 mesures prioritaires dans le cadre de son programme de campagne) ou va-t-il chercher à imprimer sa marque, mieux, celle du FCC ? Et voilà la RDC plongée, à nouveau, dans l’une de ses tourmentes politiques spasmodiques qui jalonnent son existence. Et voilà tous les responsables politiques nationaux à la recherche de la formule magique qui permettrait de sauver l’alternance (?) sans humilier le peuple frondeur… »
Fierté et responsabilité
Presqu’à 100 premiers jours, que faut-il dire, à ce stade, des faits et gestes de Sylvestre Ilunga ? « J’ai bien l’impression que le chef de l’exécutif travaille avec finesse, loin des pressions des politiciens de tous bords. Pour bien l’appréhender, il ne serait pas inutile de se rappeler de ses premiers mots à l’Assemblée nationale, le 3 septembre, lorsqu’il s’y est rendu avec tout son cabinet pour solliciter la confiance des députés en vue de l’investiture de son gouvernement », recommande ce politologue congolais.
Pour lui, le temps fort aura été la présentation du plan d’action gouvernemental : « Premier discours, certes ; mais un discours qui était très attendu depuis des mois… Dans ce vaste pays où les défis à relever sont énormes et les attentes de la population Congolais immenses, comme il l’avait déclaré lui-même, le chef de l’exécutif sait et doit savoir qu’il est question de faire passer les intérêts du peuple avant tout autre intérêt. Ce qui n’était pas encore le cas dans un passé récent. »
La stratégie du Never Again
Est-ce que le chef de l’exécutif est vraiment dans cette optique ? Pour rappel, devant les élus au Palais du peuple, Sylvestre Ilunga déclarait le 3 septembre : « J’ai retenu entre autres dans son discours du 3 septembre un passage où il dit exactement : ‘C’est aussi pour moi l’occasion de vous (les élus, nldr) exprimer, à titre personnel, le double sentiment de fierté et de responsabilité que j’éprouve en ce grand moment de l’histoire de notre pays’. Et il a ajouté : ‘Fierté de vivre dans un pays béni, qui a toujours su, en dépit des faiblesses qui jalonnent son histoire, déjouer les pronostics apocalyptiques de tous genres jetés sur son sort et, en même temps, s’offrir des perspectives audacieuses de nature à redonner espoir et foi en l’avenir aux masses populaires de toutes les couches sociales, celles des plus faibles en tête. Responsabilité réelle parce qu’en tant que citoyen, je suis autant honoré de devoir conduire, en qualité de 1ER Ministre, le Gouvernement de la République au lendemain de joutes électorales à forte sensation à travers l’ensemble du territoire national…’ »
Est-ce que c’est fort de café ? « Je crois que Sylvestre Ilunga avait bien mesuré son propos. En tout cas, il s’est mis dans une situation de gnaque, quand il parle de fierté et de responsabilité. Pour un homme de son âge, et de surcroît professeur d’université, fierté et responsabilité réelle signifient, à mon avis, avoir le sens de l’honneur ou le sentiment d’une dignité morale estimée plus haut que tous les biens. C’est ce sentiment-là qui porte les hommes à des actions loyales, nobles et courageuses. C’est en cela que consiste la stratégie du never again. »
D’après Lucien Odimba, professeur d’histoire politique, fierté et responsabilité sont des valeurs qu’il ne faut pas prendre à la légère : « Surtout dans le contexte actuel de la RDC. Quand le 1ER Ministre dit qu’il sait que les Congolais le regardent, qu’ils ont hâte de le voir à l’œuvre, et qu’ils attendent beaucoup de lui, à quoi pense-t-il ? J’imagine bien au travail, sans lequel son gouvernement ne pourra pas mériter de la confiance de la population. Notre pays a plusieurs défis à relever à ce jour. »
Jean Marie Kidinda et Lucien Odimba animent un cercle de réflexion au Canada sur la RDC. « Nous attendons surtout le chef de l’exécutif sur le terrain de la gouvernance qui privilégie l’intérêt public et sanctionne l’impunité et les antivaleurs dans la gestion de l’État. Comme il l’a déclaré lui-même, le Congo a besoin d’actions cohérentes et de résultats palpables à tous les niveaux et en toutes matières. Qu’il est en quête d’acteurs imprégnés de valeurs fortes qu’ils sont à même de prôner et de mettre en pratique par conviction. Que le temps du bricolage et autres tactiques sinueuses est révolu… Son discours le place dans la perspective de la stratégie du plus jamais ça en RDC », explique Jean Marie Kidinda.
En clair, ajoute Lucien Odimba : « Il doit rompre avec les mauvaises habitudes du passé, aux antivaleurs, c’est-à-dire plus jamais de coulage (des recettes), plus jamais de mollesse dans l’administration, plus jamais de fraude fiscale, plus jamais de corruption, plus jamais de justice à la tête du client, plus jamais de trafic d’influence politique, etc. Les Congolais exigent de leurs dirigeants moins de discours mais plus d’actions concrètes. Ils exigent un développement économique réel du pays conduisant à l’amélioration de leur vécu quotidien. »
Jean Marie Kidinda et Lucien Odimba se félicitent des premières instructions et décisions courageuses du 1ER Ministre (interdiction de la rétrocession des frais d’études universitaires au cabinet du ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire, restriction des missions à l’étranger…). D’après eux, les innovations dans le projet de budget 2020 sont l’exemple parfait que Sylvestre Ilunga veut réellement remettre les choses qui étaient à l’envers à l’endroit.
Pour cela, pense Jean Marie Kidinda, il doit s’appuyer sur des équipes de collaborateurs costauds afin d’être à la hauteur de la charge qu’il porte : « Il semble que les équipes autour de lui sont compétentes. Quoi qu’il en soit, il a à parer que le budget soit exécuté stricto sensu et que les décisions courageuses contre les antivaleurs du passé soient appliquées sans faille… »