LA RÉPUBLIQUE démocratique du Congo est face au bras de fer entre l’Éthiopie, d’une part, et le Soudan et l’Égypte, d’autre part. Ce bras de fer vaut au président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo un réel prestige auprès de l’opinion africaine, pour deux raisons. D’abord, le poids politique de la RDC dans l’Initiative du Bassin du Nil (IBN) est déterminant pour faire basculer la balance d’un côté ou de l’autre dans la prise de décisions. Ensuite, la RDC assure la présidente tournante de l’Union africaine (UA) pour l’exercice 2021. Le vent tourne donc, et on se demande comment le président rd-congolais va aborder le différend.
Sur fond de tensions, les dernières discussions tripartites entre l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan concernant le Grand barrage de la Renaissance (Gerd) sous l’égide de l’UA sont dans l’impasse. Les trois pays s’étaient pourtant mis d’accord pour tenir de nouveaux pourparlers dans l’espoir de parvenir à un accord sur la gestion et le remplissage du réservoir du Gerd. Pour rappel, le projet lancé en 2011 par l’Éthiopie est destiné à devenir la plus grande installation hydroélectrique d’Afrique (avec une capacité installée de 6 000 MW). Cependant, il présente le risque majeur de réduire le débit de l’eau du Nil lorsqu’il atteint le Soudan et l’Égypte. Sur le plan international, on redoute fortement la guerre du Nil.
Une cause nationale
L’Égypte et le Soudan, en aval du fleuve Nil, souhaitent « un accord contraignant » sur la gestion du barrage et le remplissage du réservoir. Pour sa part, l’Éthiopie dont le barrage est essentiel à son développement, soutient que l’approvisionnement en eau de ces deux pays ne sera pas affecté. Et contre toute attente, elle a procédé en juillet 2020 au début de remplissage du barrage pour la première année.
L’UA qui offre son aide dans les discussions, a proposé aux trois pays de tenir des rencontres bilatérales avec les experts désignés par elle, suivies des rencontres tripartites. L’Éthiopie et l’Égypte ont accepté cette proposition, mais le Soudan l’a refusée. Les autorités éthiopiennes assurent avoir mis en place un mécanisme d’échange de données avec le Soudan pour « répondre aux inquiétudes du Soudan ». On n’a pas besoin d’un dessin pour comprendre que le Gerd suscite des tensions, en particulier avec l’Égypte, pays de plus de 100 millions d’habitants et qui dépend à 97 % du Nil pour son approvisionnement en eau, et qui craint que le débit de celui-ci ne soit réduit.
En 2020, les États-Unis se sont impliqués dans les négociations en tant que médiateur aux côtés de la Banque mondiale. En vain ! Le point d’achoppement ? C’est la vitesse de remplissage du réservoir du Gerd. L’Égypte et le Soudan exigent également un accord qui « inclut un mécanisme pour résoudre les disputes qui pourraient surgir » entre les trois pays. Mécanisme que refuse l’Éthiopie, considérant que le Gerd lui appartient. Récemment, l’Éthiopie a annoncé que le remplissage du réservoir du Gerd a atteint le niveau prévu pour la première année, grâce notamment aux eaux de de pluies pour pouvoir tester les deux premières turbines. Étape cruciale pour que le Gerd situé sur le Nil Bleu puisse, à terme, commencer à produire de l’énergie. « Nous avons accompli le remplissage du barrage sans causer de tort à qui que ce soit », a déclaré Abiy Ahmed, le 1ER Ministre éthiopien, dans un communiqué lu à la télévision d’État.
Égyptiens, Éthiopiens et Soudanais parlent, tous, d’une « cause nationale ». Mais ils sont de plus en plus conscients que la résolution du conflit a dépassé les bornes. Aujourd’hui, le dossier devient une affaire régionale, continentale, voire internationale. Dans ce conflit, de toutes les populations du Bassin du Nil, il n’y a que les Congolais qui ne réalisent pas encore l’importance de l’eau dans le bassin du Nil. Tellement qu’ils ont les ressources en eau en abondance, ils ne savent pas quoi en faire. Pourtant, pour les autres populations du Bassin du Nil, l’eau signifie développement.
Il faut voir avec quelle grande ferveur tous les Éthiopiens soutiennent le projet du Gerd, qui n’a bénéficié d’aucun financement extérieur. Une grande cause nationale qui a été notamment soutenue par une souscription populaire. Pareil pour les Égyptiens et les Soudanais qui revendiquent leur droit à la survie grâce aux eaux du Nil. D’où d’ailleurs la diplomatie tous azimuts que les trois pays mènent dans la région et à l’international.
Tenez : le 26 janvier 2021, Omar Gamar Aldin Ismaël, le ministre des Affaires étrangères du Soudan, débarque à Kinshasa pour être reçu par le président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Il était venu solliciter « l’implication » du président Tshisekedi en sa qualité de président entrant de l’UA dans le dossier du Gerd. D’après lui, le Soudan est favorable « au dialogue pour résoudre la crise » et que « le conflit des Africains doit être résolu par les Africains ». C’est dans ce cadre précis que le Soudan recourt à la médiation du président Tshisekedi.
Le 28 janvier 2021, c’était le tour de l’Éthiopie de dépêcher sa présidente à Kinshasa. Sahle-Work Zewde qui venait de la Tanzanie, a rencontré le président Tshisekedi pour « discuter des sujets d’intérêt commun, des questions bilatérales et régionales » en vue de « la recherche des solutions africaines aux problèmes des Africains ». C’est sa deuxième visite à Kinshasa après celle de mai 2019 au cours de laquelle elle avait déclaré faire de la RDC sa priorité dans la coopération économique.
Début février 2021, le président congolais effectue une visite officielle en Égypte. Lors de la conférence de presse conjointe sanctionnant la fin de la visite de travail, Abdel Fattah Al-Sissi, le président égyptien, est précis en évoquant le renforcement de la coopération existante dans le domaine des ressources en eau et de l’irrigation, et les efforts conjoints pour maximiser les bénéfices des ressources du Nil. « Nous avons souligné la vision de l’Égypte basée sur le Nil, en tant que source de coopération et de développement, sur une bouée de sauvetage commune pour les populations des pays du Bassin du Nil » a souligné le président égyptien.
Et d’insister : « Nous avons également passé en revue les derniers développements sur la question du barrage de la Renaissance et le processus des négociations en cours, en vue de parvenir à un accord juridiquement contraignant sur le remplissage et l’exploitation du barrage. » Dès lors, on comprend que l’avenir du conflit du Nil est entre les mains du président de la RDC, de surcroît président de l’UA. Quelle sera alors la posture de la RDC face aux revendications de plus en plus exigeantes des trois pays antagonistes dans le conflit du Nil ? Pourquoi les chefs d’État des pays membres de l’IBN se taisent ? Est-ce par souci d’efficacité ou de diplomatie tranquille pour ne pas braquer un peu plus les antagonistes ? Est-ce la seule raison de ce silence ?
Dans l’opinion publique africaine, on se demande si Félix Antoine Tshisekedi aura au moins la sagesse nécessaire pour parvenir à résoudre cette épineuse question. Jusque-là, estiment des observateurs, c’est l’Éthiopie qui semble bien tirer son épingle du jeu : les autres pays de la région ne voient rien à redire au projet du Gerd qui, du reste, est conforme à la convention des Nations Unies sur le partage des eaux du fleuve Nil. Cela dit, tout n’est pas figé dans le marbre. Au moins la RDC aura le mérite d’avoir tenté quelque chose.