Le Congo n’est pas facile à gouverner

Plusieurs personnalités politiques continuent à réagir à la nomination du directeur général de la GECAMINES au poste de 1ER Ministre. La plupart d’entre eux pensent que ce choix confirme « sans surprise » le cap du président de la République. L’intéressé, lui-même, a dit mesurer l’immensité de la tâche qui l’attend à la Primature. 

P.D.

MALGRÉ les « circonstances exceptionnelles » dans lesquelles se trouve la République démocratique du Congo, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge a quand même accepté le poste de 1ER Ministre. Il sait pertinemment bien que le Congo d’en bas ne veut plus d’un 1ER Ministre qui va à la Primature pour chercher la lumière. Les Congolais veulent et attendent des résultats. Le nouveau 1ER Ministre Sama Lukonde a dévoilé l’ébauche de ce que sera son programme d’action au cours de l’interview qu’il a accordée le lundi 15 février à la presse présidentielle à l’issue de son tête-à-tête avec Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le chef de l’État.

En succédant à Sylvestre Ilunga Ilunkamba, Sama Lukonde a sans doute mesuré l’honneur qui lui a été fait de diriger le gouvernement d’un des plus beaux pays du monde, en même temps, peut-être, pas le plus facile à gouverner. Question : que peut-il faire à la tête de l’exécutif ? Des gens qui le connaissent et font déjà sa promotion, assurent que Jean-Michel Sama Lukonde n’a jamais reculé quand il s’agit de s’engager pour son pays. Ils rappellent que le nouveau 1ER Ministre a déjà été député national, ministre, directeur général d’une grande entreprise publique, il a de très bons contacts au pays et à l’extérieur. 

Une partie importante de cette expérience va devoir se jouer sur les réformes essentielles qu’attendent les Congolais. Même si sa première préoccupation sera de faire ce que lui demandera le président de la République. L’une de ces réformes majeures est la réforme fiscale dont le cadre juridique et réglementaire actuel pose de sérieux problèmes quant à son application, et favorise l’évasion fiscale, la fraude et les autres abus qui sont à la base des manques à gagner énormes pour le Trésor public. 

On sait, par exemple, que le taux de 10 % d’imposition sur les véhicules importés n’est pas appliqué. L’ensemble de l’assiette fiscale en rapport avec les impôts réels sur les revenus locatifs (autour de (22 %) n’est pas pris en compte. Certaines entreprises assujetties aux différents impôts et taxes ne sont pas enregistrées. L’impôt minimum personnel n’est pas perçu. La réglementation sur les exonérations fiscales n’est pas respectée… Comble de tout, des pans entiers de l’économie nationale fonctionnent en informel et échappent donc au fisc. 

Le potentiel fiscal

Depuis plusieurs années, les institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale, BAD, etc.) incitent le gouvernement à assainir les finances publiques pour accroître les recettes de l’État. L’évolution des recettes fiscales de la RDC est loin de refléter le potentiel fiscal de son économie. Par exemple, en 2016, les recettes internes mobilisées ne représentaient que 9,6 % du produit intérieur brut (PIB), alors qu’une étude de la Banque mondiale estimait qu’avec la contribution du seul secteur extractif (minier), la RDC devrait réaliser des recettes annuelles de l’ordre de 22 % du PIB.

Cette faiblesse est principalement le fait de l’inefficacité des missions de contrôle, de l’absence de collaboration entre les différents services de l’État, et du manque de professionnalisme et d’éthique. À l’ère de la mondialisation, et donc de la dématérialisation des services publics grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, les États repensent leurs méthodes pour maximiser davantage de recettes publiques.

Sama Lukonde sera chargé d’appliquer le nouveau « cap » de Félix Antoine Tshisekedi, centré sur la paix, la justice, l’éducation, la santé, l’agriculture, les infrastructures, l’eau, l’électricité… Mais d’où viendra l’argent si ce n’est qu’à travers une réforme fiscale courageuse pour donner à l’État les moyens de sa politique. 

Trois maux caractérisent la perception des impôts, taxes et redevances en RDC : complexité, contrariété et petits intérêts personnels au détriment de l’État. Les pistes de solution de sortie de crise ont été portées à l’attention du gouvernement en septembre 2017 lors des assises du Forum national sur la réforme du système fiscal. Il faudra vraiment une bonne dose de volonté politique pour y parvenir. La volonté, tout court, suffit pour réformer, car, dit-on, qui veut peut. Pour cela, il faut oser pour réformer et commencer quelque part, avait conseillé N’Da Tigori, un des invités de marque du forum venu de la Côte d’Ivoire. 

Il a eu les mots justes : « La réforme a un coût. C’est le coût du changement, c’est-à-dire le changement de culture et de mentalité. » C’est avant tout un processus qui ne doit plus s’arrêter quand il est déclenché. Trois ans après, le pays n’a toujours pas un nouveau système fiscal. C’est dire que la volonté politique n’est que de l’affichage. 

À charge donc du nouveau 1ER Ministre de faire avancer le processus en faisant voter une nouvelle législation, illico presto, afin qu’elle contribue à la croissance économique et au développement de la RDC. Dans tous les cas, le succès de la réforme est fonction de l’engagement de chacun à assumer sa part de responsabilité. En effet, la fiscalité a toujours constitué une préoccupation, tant pour les assujettis et pour les contribuables qui la trouvent complexe, lourde et tracassière que pour l’État et ses services qui se plaignent de son faible rendement.

Frein au progrès

Le système fiscal congolais apparaît aujourd’hui comme un véritable frein au développement économique du pays, selon les conclusions de nombreuses études menées par des organisations, nationales comme internationales. Point n’est besoin de dire que les milieux d’affaires s’en plaignent. L’étroitesse de l’assiette fiscale qui fait peser le fardeau sur une petite catégorie de personnes ou d’entreprises seulement, rend le système fiscal « inique ». 

En 2017, sur une population estimée à plus de 80 millions d’habitants, la RDC ne comptait que quelque 170 000 assujettis au système fiscal possédant un numéro d’impôt. Les opérateurs économiques se plaignent également de la lourdeur et de la multiplicité des perceptions qui les asphyxient. En effet, outre la dizaine d’impôts perçus, il existe également près de 400 taxes à caractère légal et parfois illégal. Cela incite bon nombre d’assujettis à la fraude et à la corruption. 

Par ailleurs, la prolifération des exonérations provenant des régimes fiscaux d’exception, souvent à l’efficacité économique peu évidente, amenuise les recettes fiscales et entraîne un traitement discriminatoire des opérateurs économiques. Enfin, la multiplicité d’intervenants administratifs et la différenciation des procédures ne facilitent pas l’accomplissement des obligations fiscales et les relations entre assujettis et administrations.

Sans une réforme en profondeur du système fiscal pour le rendre moderne, il sera difficile d’améliorer le climat des affaires. En se projetant dans l’avenir, les solutions de l’ordre du possible sont la simplification du système fiscal par l’unification de l’imposition des revenus et de la réduction du nombre des taxes ; l’instauration d’une fiscalité plus souple ou moins écrasante par la réduction des taux jugés prohibitifs ; l’amélioration de la justice et l’équité fiscales par la suppression des diverses sources de distorsions fiscales ; ainsi que la rationalisation des régimes fiscaux d’exception et l’amélioration des mécanismes de lutte contre l’évasion fiscale internationale.

Les experts recommandent l’opérationnalisation des télé-procédures ; l’intensification des contrôle sur pièces et ponctuels ; la baisse du taux de pénalités de recouvrement de 4 à 2 % par mois de retard ; l’institution des sanctions positives et négatives pour les agents des régies financières ; le traitement du contentieux fiscal par un service autre que celui à la base du litige ; l’introduction de la pratique de cantonnement des fonds à la hauteur du montant réclamé en cas d’avis à tiers détenteurs ; la pratique de la saisie conservatoire conformément au droit OHADA …