Sama Lukonde : son challenge

Son nom circulait parmi d’autres pour reprendre le poste de Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Au terme de plusieurs semaines des tractations et d’attente, le suspense a été levé le lundi 15 février. Point de Modeste Bahati Lukwebo ni de Moïse Katumbi Chapwe, mais c’est bien Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge qui a été nommé à la surprise générale 1ER Ministre.

LE PRÉSIDENT de la République et le nouveau 1ER Ministre se sont entretenus en tête-à-tête au Palais de la Nation le lundi 15 février 2021 pendant environ une heure. Les deux hommes ont convenu de mettre en place un gouvernement qui doit se mettre vite au travail. Fini donc le gouvernement Ilunkamba, ce sera désormais le gouvernement Sama. Les choses devraient ainsi s’accélérer puisque l’investiture de la nouvelle équipe gouvernementale est prévue en mars prochain lors de la rentrée parlementaire au Palais du peuple, siège du Parlement, avec une nouvelle majorité parlementaire recomposée au sein de deux chambres : l’Union Sacrée de la Nation (USN). 

Entre les deux dates, celle de sa nomination et celle de son entrée en fonction, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge doit donc trancher sur la formation de son cabinet puis se pencher avec Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, sur le programme du gouvernement. Apparemment, l’entretien du lundi 15 février dernier a permis aux désormais deux têtes de l’exécutif de réfléchir sur les grandes directions pour la suite du quinquennat. On saura tout lors du discours d’investiture du nouveau 1ER Ministre à l’Assemblée nationale. 

Enquête de confiance

Jean-Michel Sama entre à la Primature avec plus ou moins 50 % de satisfaction, selon une rapide enquête de confiance réalisée par le Centre des recherches alternatives Alter de Kinshasa, commandée par Business et Finances. De nombreux Congolais saluent la nomination d’un « jeune » au poste de 1ER Ministre, pour améliorer leurs conditions de vie. La bonne gouvernance et le bien-être, c’est ce que la plupart des personnes interrogées.

Jean-Michel Sama Lukonde, né en 1977 à Paris, est diplômé en information technology en Afrique du Sud (2000) et où il a travaillé chez Multichoice Africa, une entreprise de distribution de télévision numérique. Détenteur d’un diplôme en chimie inorganique et métallurgie de l’Université de Lubumbashi (2006), il se lance en politique et est élu député national (2006-2011). Ingénieur de formation, Jean-Michel Sama a effectué plusieurs stages de formation à la Gécamines (Luilu, EMT Likasi, Shituru, usine de Lubumbashi et Nzilo). Un parcours qui l’a fortement lié à la Générale des carrières et des mines (GECAMINES).

À l’ombre de son père, Stéphane Lukonde Kyenge, figure bien connu dans le gotha katangais, ancien ministre du Plan, mais aussi des Petites et Moyennes Entreprises, ensuite, directeur général de la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC), et directeur de GECAMINES Développement, Jean-Michel Sama fourbissait ses premières armes en politique. Quand son père, grand défenseur des carrés miniers au Katanga, est tué en 2001, il se lance alors dans l’artisanat minier (Luisha, Kamwale, Kabwelela) comme négociant. En 2005, il devient directeur de production d’une usine de cuivre (SMS), puis consultant dans plusieurs sociétés du secteur minier privé de notoriété dans l’hinterland katangais. 

En 2006, il décide de marcher sur les traces politiques du père. Ainsi, il entre en politique active, élu député national à Likasi. En 2015, Jean-Michel Sama entre au gouvernement Matata II en tant que ministre de la Jeunesse, des Sport et des Loisirs. Neuf mois après, il a démissionné du gouvernement par solidarité à son parti exclu de la majorité présidentielle pour avoir soutenu la lutte pour l’alternance politique et le respect de la Constitution. 

Membre co-fondateur du parti politique Avenir du Congo (ACO), dont Dany Banza, actuellement l’un des ambassadeurs itinérants de Félix Antoine Tshisekedi, est le président, Jean-Michel Sama a milité au sein de l’opposition sous le leadership de Moïse Katumbi dans la coalition G7 qui a dit niet au 3è mandat pour le président Joseph Kabila Kabange. Ensuite, il a décidé de soutenir Félix Antoine Tshisekedi à l’élection présidentielle de 2018. Avant sa nomination après plusieurs semaines de négociations, Jean-Michel Sama Lukonde était directeur général de la GECAMINES depuis août 2019. « Il (le chef de l’État) a dû remarquer mon assiduité dans le travail, mes convictions, mon intégrité. Je pense que c’est cela qui a dû contribuer à porter son choix sur moi, en me nommant directeur général de la Gécamines », déclare-t-il.

Une lourde tâche

Sama Lukonde Kyenge va diriger le premier gouvernement de l’USN. Il aura la lourde tâche de traduire en actes les engagements de campagne électorale du président Félix Antoine Tshisekedi. La fonction de 1ER Ministre et chef du gouvernement est très prisée en République démocratique du Congo. Quoique « politiquement faible » face au président de la République qui l’a nommé (il ne lui fera pas de l’ombre), Jean-Michel Sama dont on dit « pondéré, raisonné et méthodique », semble être en position de force pour réussir sa mission. « Il faut lui donner seulement une chance, pourvu que le reste suive », réagit un Congolais de 72 ans d’habitude sceptique sur la politique de son pays.

Quel reste ? Face à la paralysie de l’opposition, le nouveau 1ER Ministre fait figure de « recours présidentiel » pour donner un contenu concret à l’alternative politique crédible. Apparemment, « on peut faire de ce jeune 1ER Ministre quelque chose de bon, il y a de l’étoffe », pense un vieux routier de la politique congolaise. Sans doute, il va mettre son passé à la GECAMINES à contribution dépouillée et décapitalisée sur les 25 dernières années, pour réussir son challenge. « Einstein a dit : ‘Avec la logique, on peut aller d’un point A à un point B, mais avec l’imagination et l’audace, on peut aller partout où on veut.’ », rassure Jean-Michel Sama.

Quand il est sorti de l’audience auprès du président Félix Antoine Tshisekedi, Sama Lukonde a esquissé les contours de son action gouvernementale. Ses priorités sont la lutte contre l’insécurité dans l’Est du pays et dans le Katanga, le social, la santé, la gratuité de l’enseignement, le développement, l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes en décembre 2023… Il doit aussi pousser aux réformes essentielles en veille au gouvernement et au Parlement, notamment sur la fiscalité, la loi électorale, la digitalisation du pays. 

Mais pour mener à bien l’action gouvernementale, Jean-Michel Sama aura besoin de moyens de sa politique. « Il faut pour cela accroître les recettes par la politique de la bonne gouvernance, la lutte contre la fraude et les antivaleurs », a-t-il déclaré. Et d’insister que « le gouvernement de l’Union Sacrée de la Nation sera au service du peuple ». Sama Lukonde est conscient que sans l’accompagnement de la population, il ne pourra réussir.

Accroître les recettes de l’État, le mot est lâché. On se demande que peut bien faire le nouveau 1ERMinistre avec un budget d’à peine 3 milliards de dollars en recettes propres. Certes, dans la vision du chef de l’État, il est question de doter le pays d’une loi de finances reflet de l’importance des ressources naturelles, humaines, matérielles et techniques dont regorge le pays. C’est depuis longtemps que la RDC mérite un budget à deux chiffres, au minimum 30 milliards de dollars l’an. 

Gagner la bataille de l’augmentation des recettes, c’est changer de paradigme, notamment dans les domaines économique et fiscal. Il faudra innover dans la conception et l’exécution des outils de collecte moderne des impôts, taxes et redevances. En RDC, les questions relatives à la fiscalité ainsi qu’aux exonérations sont consacrées dans le code général des impôts, le code des douanes, le code minier, le code des investissements, le décret relatif aux partenariats stratégiques, la loi de 2011 portant principes fondamentaux de l’agriculture et de la pêche, le régime fiscal des associations sans but lucratif ainsi que d’autres textes particuliers.