SANS EN AVERTIR Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, le gouvernement sortant de la coalition CASH-FCC, dirigé par Sylvestre Ilunga Ilunkamba, avait donné le feu vert au groupe émirati DP World pour prolonger le contrat sur le port de Banana. Une façon de torpiller les négociations du cabinet du chef de l’État avec DP World choisi pour la construction du premier port en eaux profondes de la République démocratique du Congo. Alors que les discussions avaient abouti, mi-mars 2020, à la signature d’un accord de principe jamais formalisé légalement avec DP World, l’opérateur portuaire émirati menait des négociations en parallèle avec Didier Mazengu Mukanzu (PALU/FCC), le ministre des Transports et des Voies de communication du gouvernement Ilunga, pour prolonger de 18 mois la date butoir de la levée des conditions suspensives du contrat de concession d’exploitation. En effet, il était prévu que le contrat initial, conclu le 23 mars 2018 devienne caduc deux ans plus tard, si aucun mandataire de l’État n’était nommé au sein de la société concessionnaire.
Cet avenant au contrat ne faisait nulle part allusion aux négociations conduites par la présidence de la République. DP World a obtenu ce contrat pour 30 années d’exploitation avec la possibilité de renouvellement de 20 ans. La réalisation du projet nécessite un investissement estimé à plus de 1 milliard de dollars et le groupe émirati s’est fixé 2 ans pour réaliser les travaux et livrer l’ouvrage.
Parfum de corruption
Critiquant sévèrement ce contrat qu’il jugeait en défaveur des intérêts de la RDC, le président Tshisekedi a profité de cette clause au contrat de nomination d’un mandataire public pour imposer la renégociation du contrat. DP World n’y avait pas trouvé d’inconvénient. Au moins 34 clauses du contrat étaient remises sur la table des discussions, notamment le périmètre de l’exclusivité sur une zone de 90 km que la présidence souhaite circonscrire à un terminal à containers, ainsi que la relocalisation à charge de l’État (environ 5 millions de dollars) de la base militaire stratégique de Banana à la frontière avec l’Angola à plus de 150 km.
Selon le contrat remis en cause, la société concessionnaire aura, pour la partie congolaise, des mandataires nommés par le président de la République, conformément à la loi n°08/010 du 7 juillet 2008 fixant les règles relatives à l’organisation et à la gestion du Portefeuille de l’État. Le ministre du Portefeuille couvrira, par sa procuration spéciale, la participation de l’État à l’Assemblée générale, instance où toutes les grandes décisions de la société seront prises à 70 % de vote, sachant que les 30 % de l’État sont non diluables. En ce qui concerne la gestion du port, l’État aura au moins deux postes, celui du président du conseil d’administration et du directeur général adjoint. Naturellement, les postes stratégiques du directeur général et du chargé des finances reviendront au groupe émirati DP World.
Une joint-venture, appelée lors des négociations « Port Autonome de Banana », sera créée entre une société étatique congolaise et DP World. Cette joint-venture devrait ensuite conclure un contrat de concession avec la RDC. La société étatique dans la joint-venture devrait logiquement être, soit la Société commerciale des transports et des ports (SCTP), soit l’OEBK. Ce serait une société anonyme de droit congolais appartenant à 30 % à l’État de RDC, ou du moins à la nouvelle entité à créer, et à 70 % à DP World. La RDC ne contribue pas financièrement au projet. Outre des facilités administratives et fiscales, sa contribution à hauteur de 30 % consiste surtout en l’octroi de terrains.
Le président Tshisekedi et Suhail Albanna, le directeur régional pour l’Afrique de DP World, ont échangé, le 5 mai 2021, avant que ce dernier et Guylain Nyembo, le directeur de cabinet du chef de l’État, ne signent un accord sur la révision du du contrat. Un nouveau contrat réaménagé sera signé dans les prochains jours pour permettre le début effectif des travaux du nouveau port de Banana. La version révisée reconsidère, dit-on, les intérêts de chaque partie au contrat et permet de rééquilibrer leurs avantages respectifs. Les deux parties s’attendent à ce que le projet puisse développer les capacités de la RDC en termes de commerce et de logistique tout en accompagnant la croissance du pays et en jouant un rôle capital dans l’intégration régionale.
Création de richesse et emplois
Comme son nom l’indique, le port en eaux profondes, naturelle ou artificielle, permet d’accueillir en permanence tous types de navires, y compris ceux qui disposent d’un important tirant d’eau. Le projet consiste en la construction et la gestion d’un port ainsi que d’une zone de libre-échange. La première phase prévue est l’aménagement d’un quai de 1 500 m sur la côte atlantique. DP World est présenté comme le 3è plus grand opérateur mondial des terminaux à containers dans le monde. Il gère plus de 60 terminaux dans le monde. Le terminal aura une capacité de 332 000 containers et plus de 1.3 million de tonnes traitées chaque année. Le projet pourra générer 2 000 emplois directs.
Vu sous cet angle, la construction de cette infrastructure est un enjeu majeur pour les originaires du Kongo-Central. D’après eux, le projet constituera un hinterland pouvant rapporter gros à la province. C’est pourquoi, ils exigent la construction du port de Banana avant le projet pont route-rail sur le fleuve Congo entre Kinshasa et Brazzaville. Ce projet soutenu par la Banque africaine de développement (BAD) s’inscrit dans le cadre de l’intégration économique du continent africain. Ce projet panafricain est redouté par les originaires du Kongo-Central, qui craignent l’asphyxie des ports de Boma et Matadi.
Pour le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), deux grands projets (le pont route-rail et Inga III) figurent parmi les 16 retenus pour transformer l’Afrique. Ces projets ciblent les secteurs de l’énergie, des transports, de l’eau et des technologies de l’information et de la communication. Le pont Brazzaville-Kinshasa a pour objectif la création d’une liaison ferroviaire entre l’Afrique centrale et l’Afrique du Sud à partir de la RDC. Le budget de son exécution se chiffre à 1,65 milliard de dollars.
Le projet de construction d’un port en eaux profondes à Banana est un vieux projet d’infrastructure qui date de 1929 mais qui n’est jamais sorti des tiroirs. C’est en 2015 que le dossier a été remis sur la table. Le gouvernement était à la recherche d’un opérateur pour la construction d’un quai flottant à Banana. Plusieurs sociétés auraient alors été approchées, dont l’entreprise française Necotrans. Le 23 mars 2016, Jean Phillipe Gouyet, le directeur général de cette société, et Suhail Al Banna, le même, adressent ainsi une lettre à l’Organisation pour l’équipement de Banana-Kinshasa (OEBK), l’autorité publique chargée du développement du corridor Banana-Kinshasa.
D’après des sources proches du dossier, la lettre manifeste l’intérêt du consortium DPW-Necotrans pour le projet de concession d’un quai flottant à Banana. C’est à la suite de cette lettre que le gouvernement est entré directement en négociation avec DP Wprld, sans Necotrans. Les mêmes sources précisent qu’aucun appel d’offres n’a été publié, comme l’exige la loi sur les marchés publics en RDC. À terme, le port de Banana est censé créer une structure des sociétés. Un expert explique : « Si le projet piétine, c’est parce que l’ensemble des négociations était entaché d’irrégularités et des soupçons de corruption. » Dans l’opinion, on a l’impression que le projet n’avance pas mais il danse.