L’ÉVÉNEMENT de cette année marquera le 20è anniversaire de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) et le 10è anniversaire de la Norme ITIE. C’est pour la première fois que cette rencontre aura lieu en Afrique. Les organisateurs expliquent qu’il s’agit d’« un événement de premier plan qui prendra acte des progrès accomplis et déterminera les priorités de l’organisation pour la décennie à venir ».
Mission et défis
En marge de la conférence mondiale, les représentants des pays membres de l’ITIE ou pays soutenant l’ITIE, des organisations de la société civile, du secteur industriel ainsi que les délégués des investisseurs institutionnels se réuniront en assemblée générale pour élire les membres du Conseil d’administration de l’ITIE pour la période 2023-2026. Pour rappel, l’ITIE considère que les ressources naturelles d’un pays appartiennent à ses citoyens. Vu sous cet angle, sa mission consiste à « promouvoir la compréhension de la gestion des ressources naturelles, à renforcer la gouvernance et la redevabilité publiques et des entreprises, et à fournir les données nécessaires à l’élaboration des politiques et au dialogue multipartite dans le secteur extractif ».
En devenant membres de l’ITIE, les pays s’engagent donc à divulguer les informations sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie extractive, allant des conditions d’octroi des droits d’extraction, à la manière dont les revenus parviennent au gouvernement et profitent à la population. À ce jour, plus de 50 pays, dont la République démocratique du Congo, ont adopté un ensemble des règles communes régissant ce qui doit être divulgué et quand. C’est ce qu’on appelle la « Norme ITIE ».
À l’heure de la transition énergétique qui aura, de toute évidence, « un impact transformateur sur les industries extractives et l’économie mondiale », la Norme ITIE peut et doit jouer un rôle majeur « dans la sensibilisation à la manière dont cette transition affectera les activités et les revenus du secteur extractif ». Cela va aussi de soi que la Norme ITIE va jouer un grand rôle « dans le soutien à la production responsable et transparente de minéraux essentiels à la garantie d’un avenir durable ».
Le rôle de l’ITIE s’affermit davantage dans les esprits des gens car elle fournit des données pouvant aider à identifier et à fermer des canaux de corruption, non seulement dans les secteurs minier, pétrolier et gazier, mais de plus en plus dans le secteur des énergies renouvelables. En effet, dans chacun État membre, un groupe multipartite, composé de représentants du gouvernement, des entreprises et de la société civile, apporte son soutien à la mise en œuvre de la Norme ITIE.
RDC sur le bon chemin
En octobre 2022, l’ITIE-RDC a annoncé avoir obtenu un score global élevé de 85,5 points dans la mise en œuvre de la Norme ITIE 2019. Un score qui a été attribué par le conseil d’administration de l’ITIE. C’est en fait la moyenne des scores dans les trois composantes, à savoir la transparence, l’impact dans la gestion des ressources naturelles et l’engagement des parties prenantes dans la mise en œuvre de l’ITIE.
« Je salue la RDC pour avoir maintenu une approche solide à la mise en œuvre de l’ITIE et pour avoir montré qu’elle utilise l’ITIE comme plateforme de réforme et de débat dans le secteur extractif », avait déclaré Helen Clark, la présidente du conseil d’administration de l’ITIE. Pour elle, « il est possible de mettre ces efforts à profit pour améliorer les systèmes du gouvernement, divulguer davantage de données sur les aspects stratégiques du secteur et combler les faiblesses en termes de gouvernance ».
Le processus de validation de la RDC à la Norme ITIE 2019 a commencé en janvier 2022. En vue d’harmoniser les chiffres (notamment sur les réserves cédées à la Sicomines, la production, lesfinances et les infrastructures), une commission avait été instituée. Elle regroupait d’autres institutions impliquées dans le suivi et la gestion de ce programme, comme la Présidence de la République, la
primature, la Gécamines, la Sicomines, le BSCPC, I’ITIE.
Au terme de ce processus, le pays a atteint un score global élevé dans la mise en œuvre de l’ITIE, grâce à une approche flexible du rapportage ITIE afin de concentrer les ressources sur les défis clés liés à la gestion du secteur extractif.
Toutefois, « le chemin à parcourir est ardu et nécessitera un travail intense pour réussir », souligne-t-on. Par exemple, il convient de donner « une
nouvelle impulsion », à la faveur de l’Agence de pilotage, de coordination et de
suivi des conventions de collaboration signées entre la RDC et les partenaires privés (APSC).
Afin de compléter son rapportage, l’ITI -RDC a mené six études thématiques, passant en revue les pratiques de gouvernance couvrant plusieurs domaines du secteur extractif, y compris la propriété effective, les contrats, l’octroi de licences, les entreprises d’État, les redevances et un accord entre la société publique Gécamines et la Chine. Cet accord porte sur les infrastructures. Ces rapports ont soutenu le débat national sur des questions d’intérêt public, telles que les avances fiscales de l’entreprise d’État GECAMINES.
L’ITIE constate une évolution malgré que le secteur extractif au pays soit encore principalement dominé par des activités minières. Cela est le fait de récentes découvertes du pétrole et du gaz qui ont attiré des investissements et généré de nouveaux flux de revenus, accroissant ainsi l’attention portée à la gouvernance de ces actifs. La demande en hausse de minerais stratégiques (cuivre et cobalt), transition énergétique oblige, en est aussi la raison. En effet, de nouvelles opportunités s’offrent aux acteurs nationaux et internationaux du secteur.
Questions critiques
L’ITIE note que la RDC a utilisé ces trois dernières années, sa déclaration pour permettre au public d’accéder à de nouvelles informations, notamment des données sur les octrois de licences, les contrats, les accords de troc, les relations financières avec les entreprises d’État et le partage des revenus avec les autorités infranationales. « Le pays a étendu l’accessibilité des données extractives en ligne, avec des bases de données concernant les entreprises d’État, les propriétaires des entreprises et les chiffres sur la production et les revenus. Le gouvernement a également renforcé ses cadastres minier et pétrolier, ce qui a promu une attention accrue sur un certain nombre de licences spécifiques. »
Le diagnostic de l’ITIE RDC sur les entreprises d’État est un bel exemple du débat public à la redevabilité. Il examinait les états financiers et les pratiques de neuf entreprises d’État dans la mise en œuvre de l’ITIE pour améliorer la gouvernance du secteur. L’ITIE se félicite que le gouvernement ait introduit des systèmes de déclaration et de certification en ligne, pour faciliter des examens réguliers et promouvoir une transparence accrue de la gestion des entreprises d’État, y compris les divulgations des dépenses quasi budgétaires.
« Le débat animé relativement aux modalités de gestion des actifs extractifs de la RDC indique que l’ITIE-RDC a également la possibilité d’étendre son travail sur des questions d’intérêt public, par exemple, sur la production des minéraux critiques à la transition énergétique (dont le cobalt et le cuivre), les impacts environnementaux des activités d’extraction, l’exploitation minière artisanale et le contenu local, ainsi que sur les scandales de corruption récents. »
Par ailleurs, le conseil d’administration de l’ITIE salue « l’engagement de haut niveau de la RDC visant à évaluer son système judiciaire et de considérer de potentielles réformes, tout en respectant l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Il se félicite également de la promulgation de la loi pour la protection des défenseurs des droits de l’homme et des lanceurs d’alerte.
Nécessité de réformes
L’ITIE-RDC a dans une étude examiné les états financiers de neuf entreprises publiques opérant dans le secteur extractif, afin de comprendre leur gouvernance, si elle est conforme à la réglementation nationale. Ce rapport indépendant fournit une analyse des comptes 2017 et 2018, formule des recommandations visant à améliorer le potentiel de production et la rentabilité des entreprises d’État comme base pour renforcer leur compétitivité et leurs contributions à l’économie nationale.
« L’étude a recensé plusieurs écarts entre les politiques et les pratiques en matière de transferts financiers des entreprises d’État vers l’État. Les rapports précédents de l’ITIE ont fait ressortir que les entreprises d’État sont tenues de transférer 50 % des paiements de pas-de-porte (similaires aux primes de signature) et de royalties au Trésor. » Or, « l’étude a révélé qu’il pouvait y avoir des exceptions à ces paiements, par exemple lorsque les entreprises d’État documentent elles-mêmes la valeur des réserves couvertes par des licences. »
En outre, certaines entreprises d’État vendent leurs actifs ou leurs participations dans des entreprises sans mener les processus d’appels d’offre ouverts requis. « L’étude a recommandé la prise de mesures visant à améliorer la mise en œuvre de la réglementation applicable. Elle a également formulé des propositions de réformes qui pourraient résoudre les ambiguïtés dans les législations actuelles afin que les entreprises d’État soient gérées conformément à leurs mandats. » Pour l’ITIE, les entreprises d’État font souvent état de pertes annuelles systématiques sur de longues périodes.
Ainsi, bien que ses pertes annuelles aient plus que quadruplé depuis 2016, Cominière a acquis une part de 30 % en 2018 dans au moins huit joint-ventures. La Gécamines a dû verser des avances aux administrations fiscales, alors qu’il n’existait aucune base réglementaire spécifique pour ces avances et aucune indication quant à la possibilité de les déduire des futures obligations fiscales. Par la suite, la Gécamines s’est appuyée sur des prêts importants accordés par des tiers.
Déficit d’audit
Selon l’étude, elle a accumulé plus de 376 millions de dollars de dettes liées à des prêts externes en 2018, et 214 millions de dollars supplémentaires de dettes liées à sa participation à des joint-ventures. Parmi les tiers accordant les prêts figuraient le négociant en matières premières, Trafigura, et l’entreprise de cuivre MMG Kinsevere. « Le rapport a également mis en lumière d’importantes lacunes en matière de pratiques d’audit et de déclaration par plusieurs entreprises d’État. Pour trois de ces entreprises, les auditeurs ont émis une opinion avec réserve sur les comptes annuels tant pour 2017 que pour 2018. »
« La simplification des divulgations sera essentielle pour faire plus de lumière sur la gouvernance des entreprises extractives d’État de la RDC… divulgations sont particulièrement importantes pour les transactions conclues avec des entreprises liées à des personnes exposées politiquement. »
Le décret relatif aux mesures d’application du Code minier révisé de 2018 impose à toutes les entreprises minières en activité de publier leurs comptes annuels. Cela devrait être réaffirmé par unengagement pris par plusieurs entreprises d’État lors d’un atelier de l’ITIE-RDC organisé en mai 2019. Cependant, « à l’heure actuelle, aucun des comptes annuels des entreprises d’État n’est accessible au public ».
En outre, « conformément aux encouragements en vertu des exigences de l’ITIE en matière de participation de l’État, les consultants ont demandé aux entreprises d’État des informations sur leurs passations de marchés, leurs contrats de sous-traitance et leur gouvernance d’entreprise ».
L’étude a ensuite repéré certaines faiblesses dans ces domaines, tenant, par exemple, au fait que le conseil d’administration de SAKIMA prenait des décisions sans quorum et que plusieurs entreprises publiques ne suivaient pas systématiquement les procédures de passation des marchés publics dans leurs activités de sous-traitance.
Tableau plus complet
Alors que l’étude a permis d’établir des divulgations pour la toute première fois, les comptes annuels des entreprises d’État n’apportent qu’une vue restreinte des problèmes de gouvernance. En règle générale, les états financiers ne deviennent disponibles que quelques mois après la période examinée. Bien souvent, ils ne contiennent pas les données de paiements exigées par la Norme ITIE, telles que des informations relatives aux dépenses quasi budgétaires.
« Certains groupes de la société civile locale ont identifié l’augmentation de la transparence autour de la négociation des contrats comme étant la prochaine étape dans le travail mené par la RDC sur la transparence des contrats. Les divulgations supplémentaires de l’ITIE et son étroite collaboration avec les institutions de supervision peuvent alimenter le débat autour du processus de négociation et de conclusion de contrats entre entreprises d’État et entreprises privées. »
Les divulgations de transactions au sein des groupes d’entreprises d’État sont également vitales pour la compréhension des relations financières entre les entreprises d’État et leurs filiales, joint-ventures et succursales, notamment les dividendes et paiements collectés, les conditions relatives aux changements de propriété et la vente des actifs des entreprises d’État. « De telles divulgations sont particulièrement importantes pour les transactions conclues avec des entreprises liées à des personnes exposées politiquement. Cela a été souligné dans des études récentes par le groupe de coalition Le Congo n’est pas à vendre, qui a examiné les pertes de recettes publiques résultant de la signature de contrats avec l’homme d’affaires Dan Getler. »
L’ITIE note que la simplification des divulgations sera essentielle pour donner suite aux recommandations de l’étude et faire plus de lumière sur la gouvernance des entreprises extractives d’État de la RDC. « L’étude a contribué à instaurer la confiance entre l’ITIE-RDC et certaines de ces entreprises d’État, et a facilité l’engagement avec leur équipe dirigeante. » La Gécamines a ensuite commencé à publier certains contrats régissant sa participation aux joint-ventures.
La prochaine validation devrait commencer le 1er janvier 2022. « Grâce au fort engagement des groupes de la société civile tels que la Coalition pour la gouvernance des entreprises publiques du secteur extractif, l’ITIE RDC donnera la priorité aux progrès dans l’amélioration de la gouvernance des entreprises d’État dans les mois à venir. »
En mars 2022, le Groupe multipartite a discuté d’un accord commercial sur le cobalt extrait de façon artisanale entre Entreprise Générale de Cobalt, filiale de la Gécamines, et Trafigura. « Le Groupe multipartite a conclu qu’il aurait à mener des consultations avec l’ensemble des parties prenantes sur les types d’accords qu’il convient de divulguer et sur l’éventuelle inclusion ou non d’accords commerciaux entre des parties privées dans les divulgations, afin qu’il soit possible de mieux comprendre leurs implications pour les revenus des entreprises d’État et du gouvernement. »
L’ITIE note en conclusion que Félix Antoine Tshisekedi, le président de la République, cherche à « accroître les revenus du secteur afin de financer les réformes du secteur public, notamment l’enseignement primaire gratuit et les mesures de lutte contre la corruption ». Pour cela, « le processus ITIE peut contribuer à la réalisation de ces objectifs nationaux, en profitant de la dynamique autour de la transparence de la propriété effective, des contrats et de l’imposition fiscale, ainsi que des demandes par les parties prenantes d’une plus grande redevabilité dans le secteur ».