Dans un rapport publié le 18 novembre, Human Rights Watch dénonce des actes de violation des droits humains qu’auraient commis la police congolaise et exige la suspension du général Célestin Kanyama, commandant en chef de l’opération Likofi, en attendant une enquête.
D’après Human Rights Watch, la police congolaise aurait commis 51 meurtres de jeunes hommes et de mineurs et à la base de 33 disparitions au cours de la campagne anti-criminalité lancée en novembre 2013, dénommée Opération Likofi. Intitulé « Opération Likofi : Meurtres et disparitions forcées aux mains de la police à Kinshasa », ce rapport de 71 pages documente les exactions commises par des policiers qui ont participé à ladite, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées ainsi que des menaces contre les membres des familles, les hommes des médias et d’autres témoins de ces exactions.
Cette opération aurait été menée sous la férule du général Célestin Kanyama pour endiguer l’insécurité causée par les gangs appelés Kuluna à Kinshasa. Ces derniers forment des groupes de petits bandits munis d’armes blanches, notamment de machettes, de couteaux, de tessons de bouteille ou encore de pierres, et qui sèment la terreur dans la capitale depuis 2006. Ils ont commis des vols, des viols, des meurtres… Le gouvernement s’était engagé à mettre fin à cette criminalité. C’est ainsi que Likofi a été lancée en novembre 2013. Prévue pour durer trois mois, elle a été suspendue en février 2014. Au cours de cette opération, des hommes en uniforme et aux visages cagoulés, auraient exécuté des jeunes gens présumés membres des gangs. Certains ont été enlevés pendant la nuit et auraient été exécutés. Tandis que d’autres sont portés disparus jusqu’à ce jour. « Nous dormions quand des inconnus ont frappé à notre porte. Ils sont directement entrés dans notre salon où notre fils dormait. Les policiers l’ont menotté et l’ont emmené. Nous avons beau chercher, il n’y a toujours aucune trace » déclare la mère d’un adolescent de 15 ans, victime d’une disparition forcée. A en croire Human Rights Watch, les personnes tuées ne représentaient aucune menace pour la population qui aurait justifié l’utilisation de la force létale de la police à leur endroit.
Selon l’enquête menée par Human Rights Watch auprès de 107 personnes, dont des familles de victimes, des policiers ayant participé à l’opération, les médias et d’autres témoins, il ressort que des innocents ont été tués. Un des policiers témoigne: «Quand nous sommes arrivés aux endroits indiqués, nous avons pris les jeunes, les avons arrêtés et, s’ils étaient têtus, nous les avons tués sur place. C’était une opération « commando », et si vous refusiez d’exécuter les ordres, alors vous étiez aussi considéré comme un kuluna et vous étiez tué. Dans le pick-up, nous étions six, si on ajoute le conducteur. L’officier est assis sur le siège du devant, et quatre policiers sont à l’arrière du pick-up. Parmi nous quatre, il y avait un tireur professionnel. Avant de tuer quelqu’un, nous devions appeler le général Kanyama lui-même. Il nous demandait où nous avions trouvé la personne puis il décidait s’il fallait l’envoyer en prison ou tuer la personne. Durant cette opération, beaucoup de personnes innocentes ont été tuées, plus même que les véritables kuluna ».
Les Nations unies et d’autres organisations locales de défense des droits humains n’ont pas manqué d’exprimer leurs inquiétudes par rapport à l’opération. Selon les policiers qui y ont participé et un rapport confidentiel rédigé par un gouvernement étranger, les policiers ne devaient plus exécuter publiquement les présumés bandits mais plutôt les arrêter et les assassiner clandestinement dans des lieux inconnus. Les corps étaient, par la suite, soit jetés dans le fleuve, soit déposés dans les morgues. Les employés de la morgue ne devaient en aucun cas parler des corps qui s’y accumulaient sous consigne que cela relevait « d’une affaire gouvernementale confidentielle ». Les familles des concernés n’avaient pas le droit de voir les corps de leur proches, encore moins d’organiser le deuil. Les journalistes ne devaient pas parler ni mener des enquêtes sur le sujet. Selon les recherches de l’ONU et de Human Rights Watch, le général Kanyama a des nombreux antécédents d’implication présumée dans des violations des droits humains, d’où son surnom d’ « esprit de mort ».
D’après Human Rights Watch, le départ de Scott Campbell, directeur du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme en RDC, est lié au rapport qu’il avait rédigé sur la même question et publié le 15 octobre. Parlant de l’opération Likofi, il documentait neuf exécutions et trente-deux disparitions durant l’opération. Le document demandait au gouvernement de mener des enquêtes promptes, indépendantes, crédibles et impartiales afin de traduire en justice tous les acteurs présumés de ces violations, quel que soit leur statut. Au lendemain de la publication du rapport, le ministre de l’Intérieur annonçait que Scott Campbell était désormais persona non grata. Le 16 octobre, l’ONU recevait une lettre officielle exigeant le rappel de l’intéressé.
Recommandations de HRW
Human Rights Watch appelle le gouvernement congolais à suspendre immédiatement le général Kanyama, commandant en chef de l’ « Opération Likofi » et à ouvrir une enquête judiciaire sur son rôle présumé dans les exactions commises. Le gouvernement congolais doit également mener une enquête et poursuivre tous les policiers responsables de meurtres, de disparitions forcées et d’arrestations arbitraires de personnes prises pour des Kuluna durant l’opération Likofi. Par ailleurs, l’ONG invite le gouvernement à fournir de toute urgence des informations aux familles sur le sort réservé à leurs parents et sur le lieu de détention de tous les présumés Kuluna qui sont portés disparus. Human Rights Watch suggère aux bailleurs de fonds internationaux qui soutiennent la réforme de la police en RD Congo de prendre des mesures afin de s’assurer que leurs fonds ne contribuent pas aux atteintes aux droits humains et de soutenir les efforts visant à prévenir de nouvelles violations commises par la police.
Dans un communiqué de presse, le 19 novembre, le ministre de l’Intérieur, Richard Muyej, a rejeté les accusations de Human Rights Watch contre les policiers ainsi que la demande de suspension du général Kanyama. « Au lieu que les présentateurs (sic) du présent rapport constituent des nouvelles preuves, ils ont plutôt confectionné des prétendues preuves avec des personnes qui n’ont pas de noms », a-t-il déclaré après avoir établi un rapprochement entre le rapport de Human Rights Watch et celui de l’ONU. Il a ensuite présenté deux détenus dont le rapport a annoncé la disparition. Muyej a affirmé qu’au nom de la souveraineté de l’Etat, il ne peut pas sanctionner le général Kanyama parce qu’une ONG ne peut bafouer la souveraineté d’un Etat et des institutions en biaisant sur la vérité.