L’Afrique subsaharienne est sans doute le seul endroit au monde où les niveaux de vie n’ont eu de cesse de stagner, voire se détériorer tout au long des années 1980 et 1990. Ces deux décennies de développement perdues ont valu au continent sa réputation d’être un lieu géométrique combiné de la guerre, la famine, la corruption et la pauvreté irrémédiable. Les données ont changé.
Les perspectives économiques de l’Afrique ont connu un revirement radical à partir de la fin des années 1990, lorsque la croissance du continent a atteint les 5 %, en moyenne annuelle, sur une durée de quinze ans. Ce redressement spectaculaire s’explique principalement par trois facteurs : un boom des matières premières, l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants africains champions de la bonne gouvernance politique et économique dans leurs pays, et une classe moyenne grandissante.
Dans le même temps, l’Afrique a également enregistré des avancées dans des domaines tels que l’éducation primaire, la mortalité infantile, la réduction de la propagation du VIH/sida ou encore le nombre de femmes dans les institutions parlementaires.
Ces tendances sont certes très encourageantes, mais elles n’augurent pas encore d’une transformation structurelle des économies africaines, ni d’un développement humain harmonieux et équilibré. À titre illustratif, avec seulement 5 % de croissance économique annuelle, il faudra encore une douzaine d’années à l’Afrique pour réduire de moitié son taux de pauvreté à l’échelle de l’ensemble du continent.
Les quinze prochaines années, couvrant l’Agenda de développement post-2015, peuvent bien consacrer l’avènement des « Trente glorieuses » de l’Afrique, mais il faudra impérativement engager, et d’urgence, cinq dynamiques essentielles, pour consolider et porter à grande échelle, les acquis des quinze dernières années.
Premièrement, l’Afrique doit réduire, voire éliminer l’écart genre. Le continent perd, en moyenne, 73 milliards de dollars US, soit 4 % de son PIB tous les ans, en raison de l’insuffisante inclusion des femmes dans le processus de développement et de participation politique. Ceci leur permettrait de contribuer plus activement à l’économie et à en tirer profit.
Deuxièmement, l’Afrique perd en moyenne annuelle 60 milliards de dollars dans les flux financiers illicites, représentant 3,5 % du PIB et dépassant de loin le montant de l’aide publique au développement qui lui a été allouée en 2014. La fuite des capitaux ponctionne les ressources indispensables au développement et attise l’inégalité. Ce problème ne pourra être abordé de manière judicieuse sans un état de droit solide et une coopération internationale renforcée.
Troisièmement, l’Afrique doit mobiliser plus de ressources internes pour financer son développement. Dans bon nombre d’États de la région, les revenus fiscaux représentent moins de 17 % du PIB, ce qui est inférieur au seuil minimum de 20 % requis, selon beaucoup d’experts, pour déclencher un processus de financement endogène de la croissance économique. Par conséquent, il est essentiel de renforcer la capacité de l’Afrique à percevoir des impôts afin de permettre aux gouvernements africains de développer leur espace fiscal, condition sine qua non pour exercer les fonctions régaliennes, impulser l’économie et fournir des services publics de qualité aux citoyens.
Quatrièmement, la part de l’Afrique ne représentait que 3,5 % des exportations mondiales de marchandises en 2012. Cette position commerciale est stratégiquement fragile. Le continent ne pourra effectivement jouer sa partition dans la gouvernance économique mondiale, et amplifier son propre processus de développement, que s’il contribue de façon plus significative à la production mondiale. Cet effort implique une plus grande diversification et une interconnexion sectorielle des économies, un investissement conséquent dans les secteurs plus productifs, une montée en aval dans la chaîne des valeurs, le renforcement des compétences, la création d’emplois, l’innovation, l’acquisition de nouvelles technologies, et une plus grande intégration régionale.
Enfin, soutenir la croissance et le développement serait une mission impossible sans l’anticipation des chocs et la résilience face aux incertitudes. L’épidémie d’Ebola, en est l’illustration. Les investissements consentis dès à présent dans l’effort de prévention et de préparation destiné à faire face à toutes sortes d’aléas contribuent à minimiser les risques et les coûts futurs. On ne peut donc pas faire l’économie d’un investissement massif dans la résilience des communautés et des institutions.
La « Déclaration du Millénaire », marquant le lancement des « Objectifs du Millénaire » pour le développement avait sonné un appel de clairon pour relancer le développement, et l’Afrique y a répondu. L’Agenda de développement post-2015, offre l’opportunité d’un second souffle pour faire tomber, à jamais, la pauvreté, l’exclusion et les inégalités. L’Afrique le peut. Et 2030 pourrait bien être la célébration de ses « Trente glorieuses ». Il incombe à tous les citoyens et toutes les citoyennes d’Afrique de s’y investir pour faire de ce projet une réalité.
source : Le Monde.fr