ANNE MBUGUJE, Directrice générale des sociétés SK Global Investment et United Power Africa : « C’est à cause des préjugés que les femmes ne sont pas valorisées à leur juste titre. »

Anne Mbuguje a un CV en béton armé. Elle est une référence recommandable en République démocratique du Congo dans le domaine des affaires, où elle s’est illustrée comme l’une des rares femmes congolaises à avoir dirigé une banque, la Banque Internationale pour l’Afrique au Congo (BIAC) mais également comme la première femme à occuper les fonctions de directeur de cabinet d’un ministère d’État, en l’occurrence le ministère du Budget. Les sociétés SK Global Investment et United Power Africa qu’elle dirige aujourd’hui, opèrent respectivement dans les secteurs des mines, du BTP, du digital ainsi que dans celui de l’Énergie. Femme entrepreneure, Business et Finances l’a approchée, en tant que modèle, référent social pour nombre de femmes, afin de faire le point sur la situation des femmes congolaises dans le cadre du mois de mars, le mois dédié à la femme dans le monde.

Anne Mbuguje, Directrice générale des sociétés SK Global Investment et United Power Africa.

Business et Finances : Nous venons de clôturer le mois de mars, mois dédié à la célébration de la femme. Qu’en avez-vous retenu ? Et à cette occasion, quelle réflexion faites-vous de la célébration du mois de la femme et de l’évolution de la femme congolaise ?  

Anne Mbuguje : J’ai tendance à dire que les femmes doivent être célébrées tout au long de l’année et pas seulement le 8 mars ou encore durant le mois de mars ! Mais, j’admets que la Journée internationale des droits de la femme, qui est en fait un mois de commémoration, doit être rappelée. C’est important de se remémorer ce que les femmes ont accompli, les combats qu’elles ont gagnés. Cela nous permet de nous remettre en question et de voir les défis à relever dans les années à venir. 

BEF : Le thème de cette année était : « l’égalité des sexes aujourd’hui pour un avenir durable ». Vous-même avez pris part à la campagne : « Brisons les préjugés ». Quelle importance revêtent ces thématiques et pourquoi avez-vous pris part à la campagne « Brisons les préjugés » ? 

AM : Les thématiques sont importantes car elles donnent une orientation sur ce sur quoi nous allons mettre l’accent. J’ai accepté de prendre part à la campagne : « Brisons les préjugés » car c’est à cause des préjugés que les femmes ne sont pas valorisées à leur juste titre. En participant à les briser, chaque femme fait œuvre utile. 

Mais la participation ne s’arrête pas à un cliché sur une affiche, ça c’est pour le symbole, mais chaque jour nous les Femmes, chacune dans son domaine, brisons les préjugés en occupant des fonctions de décision, en pilotant des avions, en conduisant des camions, en opérant à cœur ouvert, etc. Briser les préjugés, c’est prendre en considération et respecter l’autre sans idées reçues ; c’est intégrer l’égalité, et donc construire une meilleure société plus forte qui durera plus longtemps. 

BEF : Avec l’arrivée au pouvoir du Président Tshisekedi, on note un changement notable dans la valorisation des femmes congolaises. Qu’en pensez-vous ? 

AM : Il est vrai que le chef de l’État a une volonté réelle de promouvoir la femme. Il n’y a qu’à voir combien de femmes ont été nommées au gouvernement depuis son arrivée. Quand on sait, par exemple, qu’en 2015, on comptait seulement 7 femmes ministres sur 47 portefeuilles ministériels, 2 femmes nommées à la tête des 26 nouvelles provinces et un peu moins de 10 % des femmes à l’Assemblée Nationale qui compte 500 députés, on mesure alors le bond qui a été fait avec le Président Tshisekedi pour atteindre le pourcentage de 27 % des femmes dans le gouvernement ! Même si ce n’est pas encore le taux de 30 % recommandé par l’Union Africaine (UA), cela reste une prouesse qu’il faut saluer. Et je ne doute pas que nous aurons, cette fois-ci, au moins 10 % des femmes gouverneures de province. J’y crois ! 

BEF : D’après-vous, comment a évolué la situation de la femme congolaise ? 

AM : De manière générale, je dirai que la situation de la femme en République démocratique du Congo a beaucoup évolué depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, nous avons des droits que nous n’avions pas, il y a 10 ans, comme le droit d’accéder à la propriété et à des acquisitions immobilières. Notre société a grandement avancé, et moi-même je suis un exemple de ses avancées ! J’ai été la deuxième femme à diriger une banque, la première femme à être directrice de cabinet dans un ministère, et qui plus est un ministère d’État. Donc, c’est pour vous dire que notre pays a bien évolué. Mais il reste encore beaucoup à faire.

BEF : Comme quoi, par exemple ? 

AM : Il reste encore beaucoup à faire pour la promotion de la femme congolaise ! C’est vrai que nous avons la chance d’avoir à la tête de notre pays un chef d’État pour qui la question de la valorisation et de la promotion du genre est une question importante, et qu’il s’y implique beaucoup. C’est une très bonne chose. Mais ce n’est pas suffisant. 

Comme je le dis toujours, la première chose à faire, c’est d’investir dans l’éducation, l’instruction, la formation des jeunes filles qui sont des femmes en devenir. Le chef de l’État l’a très bien compris en imposant la gratuité de l’enseignement au niveau de l’école primaire. La gratuité, c’est une chose mais encore faut-il que l’on veille à ce qu’il y ait égalité d’accès à l’éducation entre les filles et les garçons.  

Aujourd’hui, nous avons aussi la chance d’avoir une Première Dame, Maman Denise Nyakeru, qui, à travers plusieurs projets et sa fondation, accompagne la jeune fille dans ses études. Il n’y a pas de développement sans un accès à l’enseignement, sans des études supérieures, sans renforcement en capacités et en leadership. Cela nous permettra d’être présentes dans les différents secteurs économiques mais aussi en politique pour pouvoir prendre part aux décisions au niveau national.

BEF : L’éducation, oui, mais il y a aussi l’autonomisation des femmes… 

AM : Comme beaucoup d’autres pays sur le continent, la RDC ne peut pas ne pas investir dans des actions ou des programmes en faveur de l’autonomisation des femmes. Surtout qu’il a été démontré que plus les femmes sont autonomes, plus cela profite à la société. En effet, elles investissent dans la santé et l’éducation de leurs familles et de leur entourage. Cependant, quand les femmes sont opprimées et freinées, c’est tout le développement de la société qui se trouve mis à mal. 

Plus particulièrement, nous devons soutenir les femmes qui entreprennent. Nous devons les aider à monter des projets, à les développer, à trouver des financements et à gérer leur entreprise. Elles ont besoin d’accompagnement, par exemple pour leur accès au crédit. Je sais que certaines banques le font déjà ; la Rawbank, par exemple, accompagne les femmes créatrices de PME. Les pouvoirs publics devraient aussi avoir des politiques d’accompagnement spécifiques pour soutenir les projets d’entreprenariat féminin. 

BEF : Vous faites bien de parler de l’accompagnement des pouvoirs publiques. Mais est-ce que les femmes ne devraient-elles pas d’abord compter sur elles-mêmes ? 

AM : Les femmes se prennent déjà en charge ! Et Dieu merci qu’elles n’ont pas attendu les pouvoirs publics pour agir sur le terrain et mettre en place des structures non-gouvernementales, des associations pour apporter leur pierre à l’édifice du leadership féminin congolais. Ces structures et autres associations sont une réelle source d’inspiration à l’instar de « Rien Sans les Femmes » qui réunit des activistes agissant pour la parité et la représentation égalitaire hommes-femmes dans les instances de prise de décision à tous les niveaux. Cette structure agit concrètement pour faire bouger les lignes. 

BEF : Vous êtes la directrice générale de deux grandes entreprises, avez-vous adopté des politiques spécifiques en faveur des femmes ? 

AM : Nous avons une politique de valorisation des compétences. Effectivement, à diplômes et compétences égales, nous avons tendance à privilégier les femmes et les jeunes, que ce soit au niveau du management qu’à celui de la conduite des engins, par exemple. Il y a beaucoup de femmes dans les sociétés que je dirige, c’est un choix de gestion.