« Aucun investisseur sérieux ne s’aventura en RDC tant que la corruption y étendra ses tentacules »

La RDC et les Nations Unies ont adopté le 3 février 2002 un programme conjoint dont l’un des aspects est la lutte anticorruption. Ce programme vise notamment à accompagner les progrès dans le renforcement de l’État de droit ainsi que les réformes en matière de gouvernance et de lutte contre l’impunité. Les Congolais demandent à voir.

La question de l’indépendance de la justice reste posée. Les entrepreneurs font très peu confiance au système judiciaire.

ROSE Mutombo, la ministre d’État, ministre de la Justice et Garde des sceaux, jure la main sur le cœur : « Lorsque l’engagement politique est associé à un appui technique, il y a moyen de faire triompher la justice et d’établir des institutions fortes pour une paix durable, ce dont la République démocratique du Congo a besoin. » Voilà ce qui est bien dit. Et de rappeler que Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, a placé la lutte contre la corruption au centre de son mandat. D’où des « mesures urgentes, essentielles et plus efficaces » doivent être prises pour juguler ce fléau qui gangrène la société congolaise.

Par ailleurs, le gouvernement de Sama Lukonde a inscrit la lutte contre la corruption et les crimes économiques comme l’un des piliers de son programme d’actions, convaincu qu’aucun effort de développement n’est possible dans un environnement corrompu. Pour lier l’acte à la parole, la ministre de la Justice et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) avaient signé, en juillet 2021, pour une période de 4 ans, le projet d’appui à la lutte contre la corruption. 

C’est un programme exécuté par le ministère de la Justice en collaboration avec le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le Parlement, la Cour des comptes, le Conseil économique et social, l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC), la Cellule nationale des renseignements financiers (CENAREF), l’Observatoire de surveillance de la corruption et de l’éthique professionnelle (OCEP) et des organisations de la société civile.

Se félicitant de la validation de ce programme conjoint avec les Nations Unies, Rose Mutombo insiste, cependant, sur « la nécessité d’une collaboration transparente ainsi que d’une coordination structurée » des activités des structures nationales de lutte anticorruption (CENAREF, APLC, OCEP). Pour cette dame issue du mouvement associatif de défense des droits des femmes, « il est indispensable que toutes les parties prenantes travaillent en synergie ».

Pour la majorité des Congolais, tout cela ne relève que de discours politique. Le travail à faire est immense et aucun esprit sensé dans le pays ne voie une lueur pointée à l’horizon. Des propos recueillis par ci et par là dénotent strictement une absence de réelle volonté politique et le discours politique, en particulier, il est connoté au sens de la propagande politique, et donc ne vaut que pour l’affichage.

Dans le peloton de queue

Pour preuve, le pays demeure dans le rang des 27 pays ayant enregistré des scores « historiquement bas » sur la dernière décennie selon l’indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency international. La RDC est 169è sur 180 pays les plus corrompus au monde dans le classement 2021 publié le 25 janvier dernier par l’ONG internationale.

Même si l’APLC, un service technique rattaché à la présidence de la République, se réjouit que la RDC gagne une place de plus, avec un score de 19 sur 100, contre 18 sur 100 l’année d’avant, des ONG, comme la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (LICOCO), sont plutôt inquiètent de la situation. Pourquoi ? D’après eux, la position de la RDC sur ce classement a un effet réel sur la démocratie, le respect des droits de l’homme, le climat des affaires ainsi que sur les investissements étrangers en RDC. 

La RDC se trouve parmi les 131 pays qui n’ont pas réalisé des progrès significatifs dans la lutte contre la corruption au cours de la dernière décennie d’après Transparency International. En décembre 2021, l’APLC a fait valider la stratégie nationale de lutte anticorruption et des mesures anticorruption à différents niveaux.  Le constat est que les mesures efficaces pour juguler la corruption en RDC font défaut. Et c’est l’image du pays qui en pâtit.

Très souvent, la lutte contre la pieuvre s’apparente à une politique spectacle, dont l’effet demeure souvent de surface. Sans réelle volonté politique, difficile de venir à bout de mauvaises pratiques qui gangrènent l’administration et la justice. Il y a un problème. 

Phénomène multiforme, la corruption est un problème majeur dans le pays, surtout pour les entrepreneurs. En 2008, le gouvernement avait lancé la campagne baptisée « Tolérance zéro », puis relancée en 2010. Force est de constater que dans ses deux versions, cette campagne n’a pas atteint ses objectifs, alors qu’elle avait pourtant suscité pas mal d’espoirs dans la population, notamment dans sa première phase avec des sanctions présidentielles de révocation et/ou suspension contre les mandataires dans les entreprises publiques et les fonctionnaires accusés de corruption.  

Dans le cadre de cette opération « manu pulite », le procureur général de la République avait demandé la levée de l’immunité parlementaire en vue de poursuites contre douze députés soupçonnés d’avoir été corrompus alors qu’ils enquêtaient sur un « scandale financier » à la Direction générale des impôts (DGI). Des patrons des entreprises privées qui avaient bénéficié de marchés publics, notamment pour la réhabilitation des routes, étaient également sur la sellette.

Malgré les différents mécanismes de lutte et les « bonnes intentions » au sommet de l’État, la corruption se développe comme une hydre, c’est-à-dire un mal qu’on ne peut pas maîtriser. Elle est même devenue un « sport national » par manque de « volonté politique » pour l’éradiquer sinon réduire son impact sur la société. En 2010, le gouvernement avait décidé de mettre en œuvre pas moins de 45 mesures pour lutter contre la corruption (codes minier et forestier, processus de Kimberley…). Pour la majorité des investisseurs, les processus d’attribution des marchés publics, par exemple, demeurent encore trop peu transparents et sont encore un terrain propice pour le développement de la corruption et du trafic d’influence.

Arrêter la corruption ?

Des rapports des ONG sur la corruption en RDC ne laissent entrevoir aucun progrès en matière de lutte anticorruption. Au contraire, ils dénoncent le dysfonctionnement du secteur judiciaire qui a fait que même les gens qui sont attrapés la main dans le sac peuvent s’en tirer à très peu de frais. Pourtant, la justice a une fonction de régulation économique essentielle et constitue, de ce fait, un vecteur capital de développement économique et social. 

Or, la justice est le parent pauvre de trois pouvoirs constitutionnels sur lesquels reposent l’État et la démocratie en RDC. Elle se caractérise par des dysfonctionnements importants. Par exemple, le nombre réduit de tribunaux de commerce et une corruption omniprésente rendent l’accès à la justice problématique pour les investisseurs, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME) qui constituent de loin la majorité des entreprises nationales.

La question de l’indépendance de la justice reste posée. La population en général et les entrepreneurs en particulier font très peu confiance au système judiciaire. Il y a quelques années, les sociétés, tout comme l’État lui-même, étaient systématiquement condamnés à des lourdes amendes à chaque fois qu’elles étaient en procès contre les tiers devant les cours et tribunaux. À l’époque, bien des sociétés ont été forcées de fermer, dépitées par des décisions de justice. En son temps, la FEC avait dénoncé cet « acharnement » des juges sur les sociétés, qui avait l’air de tout sauf de l’indépendance de la justice. Certains chefs d’entreprises sont allés jusqu’à accuser des juges de corruption et de complicité avec les avocats.