« Kinshasa Zéro trou » : autopsie d’un projet en panne de financement

Lancés mi-octobre 2021, les travaux de colmatage des artères de la capitale congolaise, mués en projet de gouvernement, piétinent. Le faible décaissement des fonds ainsi qu’un conflit de compétence en seraient à l’origine du désagrément. Décryptage.

L’état des routes à Kinshasa est un vrai casse-tête.

LE CONSEIL des ministres a pris acte du rapport présenté sur la problématique des embouteillages dans la ville de Kinshasa, lors de sa 39è réunion le vendredi 4 février 2022. Il a été décidé de l’accélération du Projet « Kinshasa Zéro trou ». D’autres mesures, notamment « une forte campagne d’éducation civique des conducteurs et la mise en circulation d’un nouveau permis de conduire », seront prises et annoncées incessamment au public.

Il ressort de ce rapport, présenté par François Rubota Masumbuko, le ministre d’État, ministre du Développement Rural, intervenant au nom d’Alexis Gisaro Muvuni, le ministre d’État, ministre des Infrastructures et Travaux Publics en mission, que l’état d’avancement des projets spéciaux « Kinshasa Zéro trou », « Tshilejelu » et d’autres travaux exécutés notamment par les sociétés Moderne Construction et ABC, tirent en longueur. Réalisés sur financement du Trésor public, en mode partenariat public-privé et avec l’appui des bailleurs de fonds, ces travaux de réhabilitation et de construction des voiries dans la ville de Kinshasa interpellent les autorités nationales et urbaines.

Élucubration ?

En ce qui concerne « Kinshasa Zéro trou », faisant suite aux instructions du président de la République, le Conseil des ministres avait chargé le ministre d’État, ministre des Infrastructures et des Travaux publics, de présenter à chaque
réunion l’état d’avancement de ce projet. Ce projet vise la réhabilitation de 86 km des chaussées ciblées présentant des fortes dégradations dans différentes sections sur l’ensemble des quatre districts de la ville de Kinshasa. 

Le programme couvre 49 artères dont 24 sont prises en charge dans la première phase en cours. Le coût global des travaux est évalué à 32 millions de dollars. La phase générique de ce projet consiste à réhabiliter 39 km avec 19 artères. La seconde phase portera sur 47 km, dont 43 km avec 27 artères. L’objectif final de ce projet vise à améliorer les conditions de circulation automobile à Kinshasa. Plus de trois mois après son lancement, la mise en œuvre de ce projet est jugée
« satisfaisante » par le gouvernement, car, il évolue en conformité avec la mise à disposition des ressources financières.

C’est en octobre 2021 que Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, le 1ER ministre, casque de sécurité vissé sur la tête, a lancé les travaux de ce projet, au croisement des avenues Victoire et Université dans la commune de Kalamu. Les travaux devaient être réalisés dans un « bref délai », selon Alexis Gisaro Muvuni. Seulement voilà ! Depuis leur lancement, ces travaux piétinent. Par exemple, sur l’avenue Nguma, dans la commune de Ngaliema, plusieurs nids de poule sont encore visibles alors que le projet devait aussi passer par là. 

Dans certains coins de la ville, les travaux sont à l’arrêt et dans d’autres, ils tournent au ralenti. La cause ? Un faible décaissement de fonds alloués pour ce projet. Sur un montant d’environ 32 millions de dollars prévus, seuls 5 millions ont été décaissés avant le début de l’année 2022. « Nous avons reçu de la part du ministère des Finances, un premier décaissement de 5 millions de dollars sur un coût global évalué à plus ou moins 38 millions de dollars », avait confirmé Alexis Gisaro en mi-décembre dernier.  

Lors d’un conseil des ministres, début décembre, le président de la République, Félix Tshisekedi, avait appelé à une accélération dans l’exécution des travaux de ce projet. Il avait fait remarquer que les artères de la capitale congolaise présentent encore des trous, donnant ainsi l’impression que rien de consistant n’était encore fait. Visiblement, le chef de l’État ne s’était pas fait d’illusion. Puisque plusieurs artères à ce jour présentent toujours des nids de poule.  Les travaux devaient être exécutés entre 3 et 6 mois. Mais près de 4 mois après, la ville ne montre pas encore un autre visage d’elle.     

Un conflit de compétence 

Ce projet qui englobe plusieurs routes relevant de la compétence de l’Hôtel de ville de Kinshasa est toujours géré par le gouvernement central. Ce qui ne plaît pas à la ville. « L’opération Kinshasa Zéro trou piétine pour des raisons que je ne veux pas évoquer ici étant donné que nous le faisons avec le gouvernement central », s’est contenté de dire Godé Mpoy, le président l’Assemblée provinciale de Kinshasa. « Mais il y a un conflit de compétence dans l’exécution de ce projet », avoue par contre un autre responsable provincial qi a requis l’anonymat. 

Sur la fiche technique du projet, les responsabilités dévolues aux autorités de la ville ne sont quasiment pas perceptibles. Par exemple, c’est le ministère national des Infrastructures et des Travaux publics qui est le maître d’ouvrage, et le maître d’ouvrage délégué, c’est l’Office des voiries et drainage (OVD). Pourtant, la nature des travaux qui doivent être réalisés relève de la compétence des autorités urbaines. C’est clair : la réhabilitation partielle des routes, notamment secondaires et des sections qui sont abîmées, et le bétonnage qui va se faire dans certaines sections, le curage, la réparation et la construction des caniveaux sont de la compétence de la province, en l’occurrence la ville de Kinshasa. 

Un projet à polémique ? Lors de son lancement, plusieurs Kinois étaient intrigués par le fait qu’un travail sensé être de routine en devienne un projet. Ce qui a créé une polémique autour de ce projet. Autre motif de scepticisme, c’est l’absence de grande réussite dans des projets similaires. « Un autre projet Tshilejelu, lancé à grandes pompes il y a plus de 5 mois, traîne encore le pas et le niveau de son exécution demeure discutable par rapport à la hauteur des financements », fait observer un analyste. 

Il en est de même du projet « Kinshasa Bopeto » lancé par le chef de l’État, lui-même, le 19 octobre 2019. Depuis, l’on ne perçoit pas un travail d’assainissement qui puisse rester de façon pérenne. Par contre, c’est parfois des individus regroupés, souvent dans des ONG, qui assurent tant bien que mal la salubrité dans la ville de Kinshasa. Un service attitré relevant de l’Hôtel de ville faisant toujours défaut. Là encore le problème de financement en est une des causes.