CE QUI SE PASSE, pour le moment, à la Banque centrale du Congo (BCC) a l’air de tout un drame qui pourrait s’intituler : « La médaille et son revers ». De tous temps, dans l’histoire de l’humanité, la médaille (pièce de métal) est tout simplement frappée ou fondue, soit en l’honneur d’une personne illustre, soit pour conserver le souvenir d’une action mémorable, d’un événement, etc. Cependant, toute médaille a son revers ou son mauvais côté caché.
Quand le Fonds monétaire international (FMI) décide, en 1978, de dépêcher à Kinshasa le banquier allemand Erwin Blumenthal, comme le chef de son équipe-pays, puis comme le directeur (intérimaire) de la Banque nationale du Zaïre (BNZ), c’est-à-dire en charge de la politique monétaire, il ne pouvait pas s’imaginer que son séjour allait être plus court (1978-1979) que voulu. Homme d’expérience (14 ans passés à la tête du département des affaires étrangères de la Bundesbank, la Banque centrale de la RFA, à l’époque des faits), Erwin Blumenthal incarnait la compétence et la responsabilité. En plus, il connaissait bien le Congo pour y avoir travaillé, au début des années 1960, comme conseiller personnel de Moïse Tshombe Kapend, alors 1ER Ministre.
Un chaos indescriptible
Un bémol tout de même : ça n’était plus la même situation en 1978. Quand il débarque à Kinshasa, Erwin Blumenthal redécouvre un pays qui baignait déjà dans un chaos financier indescriptible. D’un côté, le Zaïre d’en-haut caractérisé par la frénésie du luxe et les pratiques mafieuses de la minorité au pouvoir, et, de l’autre côté, le Zaïre d’en bas symbolisé par la misère croissante de la grande majorité de la population. Mû par la volonté de bien faire les choses, l’expert de choc du Fonds ne put malheureusement aller au bout de sa mission. Le régime dictatorial de Mobutu Sese Seko a fini par l’avoir à l’usure et l’obligea à un départ précipité en juillet 1979, après avoir subi des pressions politiques, des déboires personnels et même des menaces de mort, surtout de la part des généraux de l’armée. En effet, la méthode de cet « expert pointilleux et revêche » pour redresser les finances publiques faisait peur aux dignitaires du régime.
Pourtant, la situation économique du pays était accablante, comme il l’a décrite lui-même dans un rapport estampillé « confidentiel ». Dans ce document, Erwin Blumenthal soulignait : « Ce rapport montre d’une manière flagrante à quel point le système de corruption en vigueur au Zaïre, sous ses aspects les plus sordides et malfaisants, l’impossibilité de contrôle des fraudes, anéantissent toutes tentatives des institutions internationales, des pays amis ou des banques commerciales qui persistent à croire à un redressement de l’économie zaïroise. »
Et de poursuivre : « Il y aura certainement de nouvelles promesses de Mobutu et des membres de son gouvernement, et la dette extérieure qui ne cesse d’augmenter, obtiendra de nouveaux délais. Mais il n’y a aucune, je répète, aucune chance à l’horizon pour que les nombreux créanciers du Zaïre récupèrent leurs fonds. On pourrait bien sûr me faire remarquer que j’ai quitté le Zaïre, il y a presque trois ans, et que les événements et les faits mentionnés dans ce rapport sont quelque peu dépassés. Se pourrait-il qu’entre-temps l’attitude du Président (Mobutu) et la manière d’agir de ceux qui l’entourent aient changé ? Même si on voulait se persuader qu’un chat peut cesser un jour de s’intéresser aux souris, dans le cas présent, cela ne s’est vraiment pas produit. »
Prémonitoire ? Hélas ! Les mêmes causes produisant les mêmes effets, plus de quatre décennies après, des observateurs sont à peu près d’accord qu’en dépit de toutes les promesses, « les hommes au pouvoir et leurs proches tiennent toujours fermement les cordons de la bourse, pillent et détournent sans scrupules des ressources indispensables au renflouement du pays ». Pour Erwin Blumenthal, l’ampleur et la diversité des moyens de pillage que Mobutu a mis en place rendaient vraisemblables de tels ordres de grandeur. Par exemple, l’ancien président de la République faisait imprimer jusqu’à trois fois les mêmes billets de banque. Les deux tiers de la masse monétaire ainsi injectée allaient directement dans sa cassette personnelle. Conséquence : l’inflation atteint 8 000 %. « Ce vrai faux-monnayage » était orchestré par le Libanais Khannafer. »
« Blumenthal incarnait la compétence et la responsabilité pour redresser les finances publiques. En plus, il connaissait bien le Congo pour y avoir travaillé, au début des années 1960, comme conseiller personnel de Moïse Tshombe… Mais le régime de Mobutu l’a eu à l’usure et l’obligea à fuir après avoir subi des pressions politiques, des déboires personnels et même des menaces de mort. »
Ce n’est pas tout : « La fraude douanière sur les exportations d’or et de diamant fit perdre au pays plus de 6 milliards de FF par an. Le PNB apparent (hors exportations clandestines et économie de subsistance) chuta de 38 % en 5 ans, à 150 dollars par habitant (moins qu’en Somalie !). » Dans ce rapport, un véritable pavé dans la mare, destiné aux banques allemandes, Blumenthal dénonçait la corruption du régime politique de Mobutu, érigée en « système caractéristique du Zaïre », et suggérait de ne plus prêter l’argent à l’État zaïrois parce qu’il ne rembourserait jamais.
Décrire la façon dont les membres du clan Mobutu puisaient dans les caisses de l’État pour alimenter leurs « comptes spéciaux » dans des banques étrangères, et des firmes étrangères participaient au pillage du Zaïre, ça n’était pas une révélation. En effet, les principaux bailleurs de fonds du pays, très liés au FMI, étaient au parfum des pratiques frauduleuses du régime au pouvoir et aussi du risque qu’ils encouraient en continuant à lui prêter de l’argent. Selon Jean Ziegler, le système des pots de vin dont a bénéficié Mobutu nécessitait « une ingénierie financière qu’aucun pays du Sud et qu’aucun de leurs gouvernements ne possédaient. D’après lui, sans l’assistance technique des puissances financières occidentales (banques, intermédiaires financiers, etc.), cela ne pouvait pas fonctionner.
L’hypocrisie des bailleurs
« Quand le FMI et la Banque mondiale prêtaient de l’argent à Mobutu, ils savaient que ces sommes, pour l’essentiel, ne serviraient pas à aider les pauvres de ce pays mais à enrichir Mobutu pour des raisons idéologiques évidentes. Est-ce qu’aujourd’hui, la donne a changé ? Pourquoi le FMI tient quand même à apporter son soutien financier à la RDC malgré ce constat d’échec ? », s’interroge un observateur. Sans surprise, le conseil d’administration du FMI a approuvé le jeudi 15 juillet 2021la signature d’un programme avec la République démocratique du Congo. Le pays devait encore régler quelques détails pour obtenir ce programme de financement de 1,5 milliard de dollars sur trois ans pour lequel un accord préliminaire avait été signé en mai 2021. Ce programme que l’exécutif attendait avec impatience, est censé ouvrir la voie à d’autres financements extérieurs. Mais la conclusion de ce programme est encore soumise à des préalables. L’un de ces préalables qui restent à remplir en vue d’une décision favorable du conseil d’administration du FMI, est l’application effective de la loi de 2018 relative à l’indépendance de la banque des banques. (Suite en page 3).