À l’indépendance en 1960, il y avait un contentieux entre la Belgique et le Congo autour de la détermination du patrimoine économique hérité de la colonisation. C’est ainsi que le portefeuille de l’État a été créé, et le Conseil supérieur du portefeuille (CSP), organe-conseil du gouvernement, est chargé de l’encadrement des entreprises publiques. Avant la réforme de 2009, le portefeuille de l’État comportait 51 entreprises ayant pour objectif la création de richesses et d’emplois, l’offre de services sociaux de meilleure qualité et l’apport au budget de l’État. Malgré ce poids numérique important, soit 80 % du tissu économique du pays, les entreprises publiques affichent un tableau sombre : faible productivité, personnel pléthorique et vieillissant, insuffisance de matériels et équipement nécessaire à l’exploitation ; surendettement et mauvaise gestion des ressources…
Intellectuels et politiciens aux affaires
Dans les années qui suivirent l’indépendance, les Congolais manifestaient leur empressement de prendre la direction des affaires. Dans un élan de nationalisme immodéré, le président Mobutu confiait la gestion des entreprises publiques aux cadres universitaires et aux politiciens. Sous le régime du Mouvement populaire de la révolution (MPR), parti-État, les entreprises publiques ont été gérées comme des biens privés ou sans maître. Les mandataires n’avaient des comptes à rendre qu’au seul Président-Fondateur (PF) qui détenait le pouvoir de nommer et de révoquer comme il l’entendait. Les entreprises publiques fonctionnaient alors selon des pratiques contraires aux règles de bonne gestion. Des années durant, rares étaient celles qui tenaient une comptabilité ou qui produisaient annuellement un bilan. Ce n’est pas parce que les mandataires étaient incompétents que les entreprises se sont retrouvées dans une situation de quasi-faillite. C’est bien l’incurie, la prévarication et le clientélisme qui seraient à l’origine de leur descente aux enfers.
Des anecdotes
Il semble que, sous le long règne de Mobutu, pour demeurer longtemps aux affaires et avoir accès à la cour présidentielle, la recette était toute simple : servir les intérêts du PF et se servir. Autrement dit, il fallait satisfaire à toutes les demandes d’argent ou autres sollicitations du PF ou de ses proches, ses collaborateurs et des ministres de tutelle. Ancien P-dg de la REGIDESO pendant une trentaine d’années, Tshiongo Tshibi Nkubula wa Ntumba nous confia un jour qu’il était parfois amené à recourir à des relations personnelles pour faire face aux difficultés de gestion, notamment pour renouveler les stocks de produits d’épuration d’eau, pendant que les finances de l’entreprise étaient pompées à tout va. D’ailleurs, les mammouths qu’étaient la REGIDESO, la Société nationale d’électricité (SNEL), la Société nationale d’assurances (SONAS), l’Office national des transports (ONATRA), la Générale des carrières et des mines (GECAMINES) étaient des vaches à lait des dignitaires du parti-État. Rien d’étonnant que les charges domestiques, les voyages et séjours à l’étranger, l’acquisition des maisons et véhicules, ainsi que diverses dépenses personnelles aient été souvent orientés vers les entreprises publiques pour payer les notes. De même, des frais de mission pour les officiels et le personnel politique des institutions, les dépenses d’organisation de certaines manifestations du MPR étaient supportés par ces mêmes entreprises. Pour la célébration des 20 ans d’existence du MPR en 1987 à Nsele, le régime mit les petits plats dans les grands. La grande partie des frais d’organisation des manifestations grandioses, chiffrée à des centaines de millions de dollars fut supportée par les entreprises publiques. Même les sociétés privées n’étaient épargnées pas…
Un ancien commissaire d’État aux Finances nous rapporta qu’il lui avait été demandé un matin par le Premier commissaire d’État de réunir cinq millions de dollars pour le compte du PF. Il devait lui apporter le cash à Nsele en début d’après-midi. Pour cela, la REGIDESO et la SNEL étaient les sources indiquées. Peu avant midi, il était déjà en possession de la somme et prit la route de la Nsele avec l’attaché-case rempli de petits billets verts. Lorsqu’il fut en face du « Grand Léopard », ce dernier lui fit signe de remettre la mallette à quidam vêtu d’un boubou avec des tongues aux pieds. En se renseignant plus tard sur cet homme, on lui apprit que c’était un marabout béninois. Authentique ! Dans les années de la transition démocratique (1990-1997), Mobutu plaça un de ses proches collaborateurs devenu son fils adoptif à la tête de l’Office des douanes et accises (OFIDA). C’était pour s’occuper des « besoins » de la famille présidentielle mais aussi de l’opposition politique alimentaire. Des exemples des pratiques de ce genre ont été légion, et continuent encore à défrayer la chronique.
Des cas de bonne gestion
Dans cet environnement mû uniquement par le clientélisme, les cas de bonne gestion n’ont pas manqué. Cependant, les mandataires qui osaient s’opposer aux pratiques à la mode par des méthodes de gestion saine ont été vite mis à l’écart et humiliés. Ceux qui ont vécu au pays dans les années 1980, à l’époque où la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) appliquaient les Programmes d’ajustement structurel (PAS) pour sortir l’économie du pays de la récession, se souviennent du Belge Pallincks. Les agents de l’ONATRA et de la GECAMINES se rappellent encore de son travail de redressement à la tête de ces deux entreprises publiques. Appelé à la rescousse pour redresser l’Office congolais du café (OZACAF), Bonaventure Mesa Kiboba, alors représentant congolais à l’Organisation internationale du café (OIC), en a pris pour son grade. Il eut tort de s’opposer à Victor Nendaka Bika, membre du Comité central du MPR, qui voulait davantage de quotas pour l’exportation de sa production de café. Son refus lui valut la révocation le 31 décembre 1987, dont l’ordonnance fut lue au cours du journal des 20 heures de la télévision nationale, alors qu’il s’apprêtait à passer le réveillon de la Saint Sylvestre en famille. D’autres mandataires ont connu le même sort. Malgré leur réforme sanctionnée par des lois nouvelles, les entreprises du portefeuille de l’État sont encore gérées sous le modèle de l’ancien régime. Tout dépend du ministre de tutelle.