«Un énorme progrès pour les Cubains même s’ils ont toujours 20 ans de retard en matière de communication », estime un sociologue.
Après les neuf jours de deuil qui ont suivi la mort de Fidel Castro, la vie a repris ses droits à La Havane. Dans la moiteur de la rue Obispo, colonne vertébrale touristique de la Vieja Habana, des centaines de touristes déambulent toute la journée, se laissant porter par la musique cubaine et s’imprégnant de l’ambiance chaleureuse. Arrivés devant l’hôtel chic d’Ambos Mundos, les promeneurs entrent dans un autre monde : des dizaines de Cubains et d’étrangers sont attroupés dans la rue regard et mains fixées à leur smartphone. Dans cette zone Wi-Fi accessible via l’hôtel, chacun part en quête d’un coin d’ombre avant de se poser. Adossé au mur, Jorge, un étudiant de 23 ans, fait défiler sur son téléphone son fil d’informations via l’application Twitter. « Je viens de chater avec mon cousin et mon oncle qui vivent aux États-Unis. Ils vont bien, je suis content », se réjouit-il. Aramis, taxi de profession, parle d’un véritable progrès pour les Cubains. « Avant, on parlait par téléphone et la connexion était très mauvaise. On avait l’impression de parler avec un talkie-walkie ». Pour communiquer avec une partie de sa famille installée aux États-Unis, il préfère se rendre dans une autre zone wifi, le parc central Santiego de la Vega, près de l’aéroport. « Il y a moins de monde et la connexion passe mieux », ajoute-t-il.
Cuba, zone blanche
Depuis un an, les Cubains ont la possibilité d’avoir accès à Internet dans 65 lieux répartis sur tout le territoire, précise Larry Press, professeur en système informatique à l’université de Californie. « Cuba est quasiment une zone blanche, sans couverture réseau, explique-t-il. On parle pourtant du deuxième pays d’Amérique latine le plus évolué en terme de développement humain, derrière le Chili, mais c’est le dernier au niveau de la couverture réseau, loin derrière Haïti ». Cette absence de réseau est principalement imputable au manque d’infrastructures. La connexion est aujourd’hui possible grâce à un câble qui rejoint le Venezuela à l’est de l’île, via l’océan. « Avant, le trafic Internet était essentiellement géré par les satellites, ajoute Larry Press. Ce système est donc un gros pas en avant pour les Cubains même s’ils sont toujours vingt ans de retard. Actuellement, six projets sont à l’étude pour installer un nouveau câble réseau entre la Floride et Cuba afin d’améliorer le débit. « Mais aucun n’émane d’une entreprise américaine », précise l’universitaire. Dans le parc de la 15è et la 18è rue, qui attire les Internautes à toute heure du jour et de la nuit, Vilma y vient chaque semaine appeler son mari parti en Floride trouver un travail. « On discute par Messenger, mais on ne reste pas très longtemps car je n’ai qu’une heure de connexion », explique la Cubaine. Des cartes sont en vente pour permettre d’accéder au réseau wifi : 1 heure pour 3 pesos convertible ou CUC (environ 3 euros) ou 5 heures pour 10 pesos convertibles (environ 10 euros) alors que le salaire moyen sur l’île avoisine les 22 CUC.
Cartes de connexion en rupture de stock
Ces précieux sésames qui permettent de s’ouvrir au monde extérieur sont en vente dans les nombreuses boutiques Telecom Etecsa de la ville. Mais elles sont rapidement en rupture de stock. « En deux heures, nous avons écoulé nos 139 cartes reçues ce matin », explique la responsable d’un des points de vente qui préfère garder l’anonymat. Un chiffre plutôt bas, commente-t-elle. Si son stock varie d’un jour à l’autre, elle se rappelle avoir déjà « vendu jusqu’à 800 cartes en une journée ».
Face à ce manque criant, un marché secondaire s’est inévitablement développé dans la capitale. « Bienvenue dans la rue du Wi-Fi », lance un revendeur pour interpeller des touristes. « Une heure ou cinq heures ? », demande-t-il en restant discret pour éviter d’être repéré par la police. « Nous savons très bien qu’ils viennent acheter des cartes plusieurs fois par jour dans nos boutiques, poursuit la responsable. C’est pour cela que nous limitons l’achat à trois par personne et nous restons vigilants sur les acheteurs qui viennent trop régulièrement ».
Ce business devrait encore fleurir puisque le réseau wifi couvrira très prochainement les 7 kilomètres du Malecon, cette grande avenue du front de mer à La Havane. « Cela va permettre de désengorger les attroupements le long des routes, comme c’est le cas sur la 23è rue, commente la responsable Etecsa. C’est pas très beau de voir tous ces gens affalés par terre ». Mais la prochaine étape consiste surtout à proposer l’accès au wifi chez les particuliers. « Nous travaillons sur un programme pilote pour vendre ce service », précise-t-elle.