Chronique d’un désastre annoncé : l’enfermement criminel des réfugiés en Grèce

La situation des demandeurs d’asile retenus dans les îles grecques est catastrophique d’un point de vue sanitaire. On n’ose à peine imaginer ce qu’il pourrait s’y passer si l’épidémie de Covid-19 s’y déclarait.

Par ces temps si troubles, où l’immunité grégaire obtenue par la vaccination généralisée est détournée en immunisation de troupeau résultante de l’exposition de tous et toutes au Covid-19 – ce qui ne manquera pas d’entraîner l’élimination des plus vulnérables –, par ces temps de détresse où les médecins en Italie, en Espagne et même en France sont sommés de faire le tri entre ceux à qui ils donneront une chance d’être sauvés et les autres qu’on laissera mourir,

par ces temps si obscurs où les demandeurs d’asile aux frontières de l’Europe sont traités comme des ennemis à repousser et, si besoin, à abattre, tandis que ceux qui réussissent à passer en Grèce sont traités comme des criminels de droit commun, étant condamnés à des peines de prison ferme, il y a une partie de la population qui est condamnée à la contagion généralisée : en premier lieu, les réfugiés et les migrants vivant partout en Europe et surtout en Grèce dans des conditions sanitaires déplorables dans des «hotspots», ou bien détenus dans de centres de rétention administrative (CRA), puis les sans-abri et enfin les personnes incarcérées. Pour l’instant, aucune mesure de vraie protection sanitaire n’est prévue pour ces trois catégories. Les plus exposés parmi eux sont les réfugiés vivant dans les hotspots, centres dits de réception et d’identification, à Lesbos, Samos, Chios, Cos et Leros. Ces camps fonctionnent actuellement cinq, sept voire onze fois au-dessus de leur capacité d’accueil. Dans les îles grecques, 37 000 personnes sont actuellement enfermées dans des conditions abjectes dans des hotspots prévus pour accueillir 6 000 personnes au grand maximum. Les demandeurs d’asile sont obligés d’y vivre dans une très grande promiscuité et dans des conditions sanitaires qui suscitaient déjà l’effroi bien avant l’épidémie de coronavirus. 

Conditions sordides

Dans la jungle de l’oliveraie, extension «hors les murs» du hotspot de Moria, à Lesbos, il y a des quartiers où il n’existe qu’un seul robinet d’eau pour 1 500 personnes, ce qui rend le respect de règles d’hygiène absolument impossible.

Or la seule réponse envisagée par le gouvernement grec est de transformer Moria en un centre fermé, en restreignant drastiquement les déplacements de réfugiés. Les rares fois où un effort est fait pour la «décongestion» du camp, celle-ci est effectuée au compte-gouttes. Mise à part l’installation d’un conteneur médical par les autorités régionales à l’entrée du camp, aucun renforcement du dispositif sanitaire avec des effectifs médicaux suffisant pour traiter les 20 000 habitants actuels de Moria n’est prévu. Au contraire, le gouvernement Mitsotákis mise sur la peur d’une épidémie dans les camps pour imposer aux sociétés locales la création de centres fermés, censés garantir la sécurité, non pas tant de leurs résidents mais des riverains. Ou bien le coronavirus, ou bien les centres fermés de détention, avait déclaré sans détours il y a une dizaine de jours le ministre de la Migration, Notis Mitarachi. Quant à ceux qui sont arrivés après le 1er mars, lorsqu’ils ne sont pas condamnés à des peines de quatre ans de prison ferme pour entrée illégale dans le territoire ils sont détenus dans des conditions sordides en vue d’une expulsion plus qu’improbable vers leur pays d’origine ou d’un renvoi forcé vers la Turquie, «Etat tiers supposé sûr». Pendant une dizaine de jours, 450 nouveaux arrivants ont été séquestrés dans des conditions inimaginables dans un navire militaire, où ils ont été obligés de vivre littéralement les uns sur les autres, sans même qu’on ne leur fournisse du savon pour se laver les mains.

Scénario terrifiant

Une telle exposition à des conditions insalubres de personnes fragilisées par des voyages longs et éprouvants pourrait-elle être mise sur le compte de la simple impréparation ? Ces conditions sont presque aussi inhumaines dans les centres fermés de Malakassa et de Serrès, où les nouveaux arrivants sont détenus. Pour les 1 300 détenus de Malakassa, en Attique, l’accès à l’eau courante se limite à quelques heures par jour, tandis que la dernière distribution de produits d’hygiène remonte à deux semaines. A Serrès, l’accès à l’eau se limite à deux heures par jour, tandis que la seule visite médicale a été faite par un médecin qui n’a examiné que quelques enfants.

De telles conditions de détention ne laissent pas de doute sur la stratégie du gouvernement : cette population ne doit pas être protégée mais exposée. La stratégie d’enfermement et de refoulement qui a été jusqu’alors la politique migratoire de l’Europe se révèle à présent être une véritable «thanato-politique». Aux refoulements illégaux et de plus en plus violents à la frontière (voir ici et ici) s’est ajoutée par temps de pandémie l’exposition des populations entières à des conditions si insalubres qu’elles mettent en danger leur santé et ne manquerons pas de conduire inévitablement à l’élimination physique d’une partie considérable d’entre eux. Sommes-nous face à un scénario terrifiant d’élimination de populations superflues ? Cette question ne saurait être contournée.

Pourrions-nous fermer les yeux devant ces crimes de masses qui se préparent en silence et dont les conditions sont mises en place déjà à Moria (Lesbos), à Vathy (Samos), à Malakassa en Attique, au centre fermé, à Klidi ? Ce dernier, destiné à ceux qui sont arrivés en Grèce après le 1er mars (date de la suspension de la procédure d’asile) est un véritable camp de concentration, «un camp quasi militaire», écrit à juste titre Maria Malagardis. Les réfugiés et les migrants seront détenus dans ce camp pour un temps indéterminé, en attente d’un renvoi vers la Turquie, plus qu’improbable dans les conditions actuelles. Le choix de cet endroit désolé et à haut risque d’inondation, la très grande promiscuité obligatoire, ainsi que l’absence de toute prise en charge médicale, ont suscité de réactions, y compris au sein de la police locale et des sapeurs-pompiers. On n’ose à peine imaginer ce qu’il pourrait s’y passer si l’épidémie Covid-19 s’y déclarait.

Et que se passera-t-il si l’épidémie se déclare dans des endroits si surpeuplés et si dépourvus d’infrastructures sanitaires que sont les hotspots des îles ? «En cas d’épidémie, une quarantaine qui enfermerait des dizaines de milliers de personnes en bonne santé ainsi que des personnes infectées par Covid-19 dans les camps surpeuplés, accompagnée d’un manque de préparation et de réponse médicale adéquate et appropriée, entraînerait presque certainement la mort inévitable de nombreuses personnes», ont déclaré 21 organisations qui ont lancé un appel pour l’évacuation immédiate des hotspots.

Désastre sanitaire imminent

Aux multiples appels (1) à évacuer immédiatement les camps surpeuplés, et même aux exhortations venant des instances européennes, le gouvernement grec continue à faire la sourde oreille, prétendant que l’enfermement des demandeurs d’asile dans des lieux comme le hotspot de Mória assure leur propre sécurité ! Le ministre de la Migration ne cesse de brandir comme solution miracle la création des centres fermés dans les îles. Entre-temps, les nouveaux arrivants, y compris les femmes enceintes et les enfants, restent bloqués à l’endroit même où ils débarquent, pour un supposé «confinement en plein air», sous des abris de fortunes ou même sans aucun abri, pendant au moins une période de quatorze jours ! Les appels répétés (voir ici et ici) de la commissaire Ylva Johansson de transférer les réfugiés des hotspots, ainsi que les exhortations de la commissaire Dunja Mijatović de libérer les migrants détenus en CRA, résonnent comme de simples protestations pour la forme. Dans la mesure où elles ne sont pas suivies de mesures concrètes, elles ne servent qu’à dédouaner la Commission européenne de toute responsabilité d’un désastre sanitaire imminent.

Un tel désastre ne saurait toucher uniquement les réfugiés, mais l’ensemble de la population des îles. L’Union européenne, si elle veut vraiment agir pour mettre les demandeurs d’asile en sécurité, doit à la fois exercer des pressions réelles sur le gouvernement grec et prendre de mesures concrètes pour l’aider à évacuer les réfugiés et les migrants et à les installer dans un confinement sécurisé à domicile.