EN MATIÈRE d’entrepreneuriat, le gouvernement congolais a ouvert un vaste chantier depuis quelques années. Il entreprend des réformes dont la plupart sont encore à l’étape de la légifération. Selon Eustache Muhanzi Mubembe, le ministre d’État chargé de l’Entrepreneuriat, des Petites et moyennes entreprises et de l’Artisanat, les conditions pour entreprendre en République démocratique du Congo sont désormais en train d’être réunies.
Il est actuellement en campagne de vulgarisation en provinces de la loi n°17/001 du 8 février 2017 sur la sous-traitance dans le secteur privé. L’application effective de cette loi pose encore problème, surtout au Katanga où est concentrée l’activité minière dans le pays. Des PME à capitaux majoritairement congolais éprouvent des difficultés pour accéder aux différents marchés. Pour cause ? Les mesures d’application approuvées par décrets en mai 2018 sont remises en cause par la Fédération des entreprises du Congo (FEC) et la délégation de l’Union européenne.
Par ailleurs, des textes de loi attendent d’être adoptés par le gouvernement avant leur transmission au Parlement. D’autres réformes envisagées font partie des arriérés législatifs. Entretemps, des programmes et des projets soutenus par des bailleurs de fonds ou partenaires techniques et financiers du gouvernement sont mis en œuvre.
L’État a mis également en place des mécanismes d’accompagnement des entrepreneurs. Par exemple, l’Office de promotion des PME congolaises (OPEC) qui s’est mué en Agence nationale du développement de l’entrepreneuriat au Congo (ANADEC) afin d’élargir ses missions. Il y a aussi le Fonds de garantie de l’entrepreneuriat au Congo (FOGEC) destiné à garantir l’accès aux financements et le partage des risques avec les banques. Le FOGEC fera du financement participatif dans lequel l’État apporte des ressources dans le capital des PME n’ayant pas de financement. Il fera également subventionner des projets par l’État. Il est prévu que le FOGEC mobilise d’ici 2024 environ 40 millions de dollars. À proprement parler, il n’y a pas encore de loi spécifique à l’entrepreneuriat, aux startups et à l’artisanat en RDC.
Structurer et développer
Eustache Muhanzi se veut convaincant. Il déclare partout à ceux qui veulent l’entendre que le gouvernement poursuit un objectif noble : « susciter la culture entrepreneuriale pour faciliter l’émergence d’une classe moyenne congolaise à travers un accompagnement particulier ». Pour cela, selon lui, il faut « un cadre juridique moderne et dynamique pour la promotion de l’entrepreneuriat et l’appui à l’artisanat afin de mieux se structurer et se développer ».
L’économie nationale est fortement dominée par les PME qui représentent près de 90 % du total des entreprises en RDC. Il ne s’agit en fait que des entrepreneurs informels dont la contribution au produit intérieur brut (PIB) est d’environ 20 %.
Les défis pour le gouvernement, c’est de mettre en place un accompagnement adéquat à la fois institutionnel, législatif et réglementaire afin de lutter contre le chômage. Pour bon nombre d’analystes interrogés, ce dont la RDC a besoin pour sortir son économie de sa situation précaire, c’est une vision claire, un modèle économique affinée par l’intelligence économique.
D’après eux, le pays manque de culture entrepreneuriale. Ils pensent que le premier défi à relever, c’est celui du changement du paradigme de la formation classique. Le deuxième défi, c’est celui du mentorat (mentoring ou coaching). Par exemple, il n’y a plus de modèles de self-made men devenus capitaines d’industrie pour les jeunes en RDC. Le troisième défi, il est politique : il faut rompre avec le discours politique qui consiste à parler des entrepreneurs sans vraiment parler avec les entrepreneurs.
Ces analystes sont à peu près d’accord que l’entrepreneuriat présuppose fondamentalement trois choses : l’organisation de la société, la réalisation d’une activité génératrice de revenu et la prise de risque. Vu sous cet angle, l’entrepreneuriat est une culture qu’il faut désormais inculquer surtout aux jeunes. Et la culture, c’est l’éducation, l’enseignement.
Aujourd’hui, estime Ludovic Malonga, jeune entrepreneur congo-brazzavillois, il faut changer la donne : « L’école ou l’université doit désormais former des créateurs d’emplois dans tous les secteurs de l’économie : primaire, secondaire, tertiaire et quartenaire ou l’économie numérique. » L’économie numérique est encore inexistante dans beaucoup de pays africains, notamment en RDC. « Pourtant, c’est l’économie du futur, c’est-à-dire d’aujourd’hui et de demain ! », râle Ludovic Malonga.
« Dans le monde, les entreprises qui sont restées dynamiques et florissantes pendant cette période de la pandémie de coronavirus, ce sont les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) », fait-il remarquer. Donc, certains pays, comme la RDC, doivent faire le leapfrog (saute-mouton), entendu en économie comme le fait de transformer son handicap en atout, c’est-à-dire faire un saut qualitatif vers le développement en brûlant les étapes.
Vision stratégique
« Quand l’entrepreneur local n’est pas écouté, on ne créera jamais la valeur ou la richesse », pose un entrepreneur. Les chefs d’entreprise nationaux que nous rencontrons, disent, tous, la même chose sur la problématique de l’entrepreneuriat en RDC : tant qu’il n’y aura pas de volonté politique et le sentiment de donner la chance aux fils du pays pour évoluer dans les affaires, rien ne marchera.
En effet, le constat est que l’économie du pays est entre les mains des entrepreneurs étrangers, dans tous les domaines : banques, commerce, alimentaire, BTP, industrie, télécoms, etc. « Il faut des réformes intégrées qui rapprochent la formation de l’entreprise si l’on veut relancer l’économie, sinon on formera davantage de chômeurs dans le pays. Il faut que les banques deviennent les alliés des entrepreneurs locaux. Il faut que les entreprises publiques aient pour principales clients et/ou fournisseurs les PME du pays. Il faut que les assurances travaillent avec les PME… », martèle un chef d’entreprise dans le BTP.
Mais il faut aussi s’inspirer des autres expériences venues d’ailleurs, notamment des pays de l’Afrique anglophone. Aujourd’hui, la RDC est « un nain économique », déclare Jean Tsholola, professeur d’économie à la retraite. « L’économie est un thème de vérité. C’est pourquoi, la plupart du temps, les intellectuels (économistes) et les milieux d’affaires considèrent qu’ils doivent de dire aux politiques ce qu’ils ont à faire. Naturellement, cela agace les politiques et, malheureusement, les conseils leur prodigués par les économistes sont rarement suivis d’effet et, en fin de compte, inutiles », poursuit-il.
Et plus tranchant, il ajoute : « Tant que la RDC ne se dotera pas d’un plan stratégique de l’économie, l’État ne sera pas fiable ». Lorsque l’on veut développer quelque chose, explique Jean Tsholola, ça doit être quelque chose de volontaire et non quelque chose que l’on subit. Pour illustrer son propos, à sens d’ailleurs, il cite quelques pays africains qui montent en puissance. Comme le Rwanda, le Kenya et la Tanzanie. « C’est le fait de leur volonté de faire quelque chose, de manière particulière, en faveur d’une communauté particulière, avec des résultats particuliers », souligne-t-il. Ce n’est pas encore le cas en RDC, pense Tsholola.