LES BANQUES du pays ont un problème de gouvernance. Aujourd’hui, la Banque Commerciale Du Congo (BCDC) peut se targuer d’être non seulement « une banque sérieuse » en République démocratique du Congo mais aussi « une banque solide » en matière de couverture des risques, de gestion de la liquidité, de préservation des fonds propres et de résultat positif (les chiffres clés de 2018 ont été publiés dans l’édition n°249 de Business et Finances, datée du 18 au 24 novembre). Dans un contexte économique à la fois tendu et incertain, la banque a tout de même atteint tous ses objectifs ces dernières années.
Rappelons que dans les années 1990, le pays était quasiment en faillite et le secteur bancaire mal en point, du fait de la guerre de l’AFDL contre le régime de Mobutu (1996-1997). Au sortir de la crise politique en 2003, après la signature de l’Accord (politique) de Sun City entre les rébellions (RCD/Goma, RCD/KML et MLC) et le pouvoir en place issu de l’AFDL, le secteur bancaire congolais a bénéficié d’une protection juridique pendant quelques années. Ce qui lui a permis de se restructurer. En 2005, on comptait les banques au bout des doigts : 7 à 9 banques actives dans un pays de près de 65 millions d’habitants, avec un total bilan de moins de 250 millions de dollars. Rien du tout par rapport à certaines grandes banques, comme Paribas qui pèse environ 2 mille milliards d’euros, presque l’équivalent du produit intérieur brut (PIB) de la France.
Grâce à l’accalmie sur le plan politique et à cette protection juridique, le nombre des banques commerciales était de 22 établissements bancaires en 2012. Malheureusement, la gouvernance n’y a pas été présente.
C’est pourquoi, on compte aujourd’hui 15 banques commerciales en activité. Et l’une d’elles envisage d’ailleurs de quitter le giron pour se muer en institution de microfinance (IMF). Et probablement demain, d’autres vont disparaître, qui sait ?
La BCC et les accords de Bâle
Ce n’est donc pas simple d’exercer le métier de banquier en RDC. Il y a là un vrai problème de gestion, reconnaissent tous les acteurs dans le secteur, étant donné le renchérissement des mesures prudentielles qui risque à tout moment de perturber l’exercice. Les risques d’une banque sont nombreux. Et depuis la crise financière de 2007-2008, ils sont encore plus contrôlés qu’auparavant.
Par exemple, la Banque centrale du Congo (BCC) a sorti l’Instruction n°22 qui consacre la planification de la gestion de l’ensemble des risques. Elle demande au secteur bancaire de mettre en place une cartographie des risques. Il y a aussi la modification n°6 de l’Instruction n°14 relative aux normes prudentielles de gestion et entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Le but est de faire converger la réglementation locale avec les pratiques internationales de gestion prudentielle des institutions financières, notamment en introduisant les recommandations des accords de Bâle II signés en 2004 et celles des accords de Bâle III signés en 2010. Mais aussi d’utiliser la politique prudentielle comme instrument de politique monétaire afin d’accélérer la dé-dollarisation de l’économie nationale. On se souviendra que toutes les mesures prudentielles prévues ont été reportées. Simplement parce que toutes les banques n’auraient pu répondre immédiatement aux nouvelles exigences quand bien même elles sont justifiées. Il s’agit notamment de la norme du capital minimum de 30 millions de dollars (qui devait entrer en vigueur le 31 octobre 2017 mais a été reportée au 1er janvier 2019). Il s’agit aussi de la norme de 50 millions de dollars de capital minimum (la date à laquelle elle devra entrer en vigueur ne pourra être fixée qu’après 2020)…
Les accords de Bâle III prévoient principalement une définition plus restrictive des capitaux propres, la création d’un ratio de liquidité et d’un ratio d’effet de levier maximum puisque les capitaux propres doivent représenter au moins 3 % du total de l’actif d’une banque. Leur mise en œuvre s’étend jusqu’en 2019. Dans cette optique, prévient un expert, l’application de Bâle III (extension de la notion de risques bancaires aux risques opérationnels et de marché, renforcement de l’exigence en fonds propres avec notamment le relèvement du montant du capital minimum ainsi que l’introduction des coussins) pourrait poser des difficultés. « Dans la mesure où la solvabilité correspondant au rapport entre fonds propres prudentiels et risques devrait passer de 7 % à 14 %, si l’on y intègre l’ensemble des risques. Dans ces conditions, le maintien de la profitabilité des banques est de plus en plus tendu », explique cet expert.
Le mur de défis
En d’autres termes, les banques commerciales en RDC se trouvent pour le moment devant trois importants défis, qui sont, du reste, liés. Le premier défi est celui de la technologie ou de la digitalisation : il recouvre l’e-banking, la banque digitale, la monétique, les nouveaux instruments de paiement, les nouveaux acteurs que sont les télécoms… « C’est quasiment un défi de société et de civilisation », insiste Yves Cuypers.
Qui ajoute : « Il faut absolument relever ce défi de la technologie en s’y adaptant. Dans un contexte mondialisé hautement concurrentiel, il est fondamental d’approfondir la réflexion en posant la question de l’offre bancaire d’ici cinq ans dans un monde de plus en plus dématérialisé. L’enjeu est celui de l’adaptation au sens darwinien du terme. Celui qui ne s’adapte pas disparaît. »
Le deuxième défi est celui du renforcement de la capacité d’une banque de couvrir et d’absorber les risques. Aujourd’hui, le développement d’une banque doit aussi être envisagé dans la perspective d’une intégration (au moins partielle) dans un groupe international de qualité, tout en conservant un ancrage local et national. C’est pourquoi, il est demandé aux banques commerciales de renforcer significativement leur solvabilité (ce que l’on appelle « l’enjeu des critères de base ») sur le modèle des banques dans la zone OCDE.
Cela veut dire que les banques congolaises et leurs actionnaires vont devoir fournir d’importants efforts pour rencontrer ces critères pour, d’un côté, augmenter la protection des épargnants, réduire et éviter davantage les risques de gestion aventureuse ; et de l’autre côté, renforcer la notoriété des établissements, protéger davantage le système financier congolais.
Enfin, le troisième défi est celui de la gouvernance (et aussi de la transparence) et de la mondialisation du système bancaire. « Sans ces deux fondements nécessaires et indispensables, un secteur bancaire ne peut prétendre être mature et crédible ». Il est évident que dans l’ère de la globalisation financière que ce sont les États-Unis qui mènent la danse. Or, pour respecter ces exigences et procéder aux mises à niveau coûteuses qu’elles nécessitent, les banques commerciales sont astreintes d’investir dans la gouvernance et la mondialisation.
La gouvernance n’est rien d’autre que « le respect des règles de gestion, universellement acceptées et qui passent aussi par l’application des règles de conformité stricte de contrôle ». Tandis que la transparence est « la volonté des banques de communiquer de manière crédible sur leurs comptes, leurs réalisations, leurs objectifs et sur les moyens qu’elles mettent en œuvre pour les atteindre ». Ce dernier défi est à lui seul un vaste chantier. « Ce sera probablement le défi le plus difficile à relever, même si en apparence il paraît simple, car il est la clé de bonnes relations que le secteur bancaire va entretenir avec les banques correspondantes, particulièrement celles qui opèrent en dollar américain. »