FÉLIX Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, a tranché. En raison des enjeux liés aux changements climatiques, à la lutte contre la pauvreté, il est urgent, voire impérieux pour le gouvernement d’organiser les états généraux de la forêt, avec l’accompagnement de ses partenaires techniques et financiers. Le but de ces assises générales sera d’examiner et évaluer la mise en œuvre du moratoire de 2002 ; définir et adopter une nouvelle feuille de route concertée et consensuelle ; et lever les options fondamentales susceptibles d’insuffler une nouvelle dynamique, car le secteur du bois ne contribue pas assez au budget de l’État. Ainsi, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre, a été chargé d’examiner avec les ministères sectoriels les modalités de convocation de ces états généraux d’ici décembre.
Prime au pillage
L’idée de l’organisation de telles assises n’a pas malheureusement un grand retentissement auprès des parties prenantes dans la gestion durable des forêts et la bonne gouvernance forestière en République démocratique du Congo. Des défenseurs des droits de forêts craignent que les états généraux de la forêt ainsi envisagés n’aboutissent à la levée du moratoire sous la pression des exploitants forestiers. « La tentation a toujours été grande, d’où les différentes violations que nous avons eu à dénoncer », explique Léon Sokolo, altermondialiste congolais résident en France.
L’administration forestière estime que les conditions sont aujourd’hui réunies pour lever ledit moratoire. Les préalables : publication de nouvelles règles d’adjudication en matière d’octroi des allocations forestières ; publication des résultats définitifs du processus de conversion ; résiliation effective des titres non convertis ; adoption sur base d’un processus consultatif d’une programmation géographique de futures allocations forestières (zonage forestier).
Les exploitants industriels du bois argumentent que depuis plus de 20 ans, le volume de bois produit en RDC est largement en deçà de ses potentialités, soit plus de 145 millions d’ha de forêts. D’après eux, la forêt est une source de revenus importants pour l’État et citent en exemple la gouvernance forestière en République du Congo et au Gabon. Au Congo Brazzaville, l’exploitation forestière touche 12,8 millions d’ha. Au Gabon, la forêt est la deuxième source de revenu de l’État. C’est aussi le deuxième employeur avec 16,10 % des actifs, après la Fonction publique. La forêt au Gabon, c’est 500 millions de m3 de réserves en bois exploitable.
Quant à la RDC, elle n’a produit que 148 032 m3 de bois, au premier semestre 2019, dont 125 274 m3 de grumes et 22 758 m3 de bois sciés. Les estimations pour 2019 étaient de plus de 200 000 tonnes. En 2018, la production a été de moins de 200 000 tonnes, contre 134 850 tonnes en 2017 en dépit de la présence dans le pays d’une soixantaine d’exploitants forestiers industriels. De l’avis de la société civile, la production, officiellement déclarée, est largement en dessous du volume réellement coupé, à cause de la fraude dans le secteur.
Selon des ONG environnementalistes, hormis les exploitants officiels, il y a des gros braconniers, des raseurs de forêts qui échappent à tout contrôle ou, plutôt, qui jouissent de la protection et de la complicité quasiment à tous les niveaux de l’appareil de l’État. Selon l’Initiative pour la forêt en Afrique centrale (CAFI), 3 à 4 millions de m3 de bois d’œuvre sont extraits chaque année en RDC. Ce bois est, en pratique, constitué de grumes destinées au sciage, déroulage, tranchage et à autres usages nobles de la filière.
Des sociétés européennes s’approvisionnent en bois auprès de l’IFCO (Industrie forestière du Congo), une entreprise qui foule au pied le code forestier et des lois connexes de la RDC. D’après une enquête de Global Witness, IFCO représente non seulement un danger pour les forêts humides de la RDC, mais aussi un manque à gagner pour le fisc. Les entreprises européennes qui collaborent avec IFCO dans les exportations illégales du bois congolais sont la belge Exott, l’italienne Tim Trade, les françaises Edwood, Angot Bois, France Noyer, Timbearth et Carbon Market Timber, la polonaise JAF Polska, la portugaise Interarrod, etc.
Pour sa part, l’OIA, une agence internationale spécialisée dans l’environnement, accuse plutôt les entreprises chinoises de dévaster le bassin du Congo en complicité avec des autorités et des entreprises locales, en tête desquelles la SICOFOR (Sino-congolaise des forêts) active au Congo Brazzaville.
Code forestier
Dix-huit ans après son instauration, le moratoire a été maintes fois violé. En 2002, la RDC avait adopté un code forestier et décrété un moratoire dans l’attribution de nouvelles licences d’exploitation forestière industrielle, de quoi mettre de l’ordre dans le secteur. En décembre 2018, des délégués venus de l’administration forestière (ministère de l’Environnement et du Développement durable, Institut congolais pour la conservation de nature, Fonds forestier national, etc.), du secteur privé (exploitants forestiers industriels et artisanaux), du BNCF, de la société civile environnementale (ONG intervenant dans la gouvernance forestière), des communautés locales et autochtones, des cadres scientifiques et techniques, des organisations féminines environnementales et des jeunes, se sont réunis à Kinshasa. Tous avaient réaffirmé leur soutien aux « stratégies pertinentes » de gestion durable des forêts en RDC.
Pour ces parties prenantes, il y a encore « beaucoup de barrières » à lever avant qu’un vrai projet de gestion durable des forêts et de bonne gouvernance forestière ne devienne réalité en RDC. D’après les ONG, « si les coupes forestières se poursuivent au rythme actuel, le pays risque de perdre 40 % de ses forêts dans les 40 prochaines années ». L’exploitation a des répercussions environnementales, notamment dans la zone des tourbières (145 000 km²), qui ne peuvent rendre service à l’environnement que quand elles sont gardées humides et intactes.
Les forêts de la RDC constituent l’un des poumons de notre planète encore relativement intact avec une très grande dépendance en moyens de substance et d’existence pour les populations locales et les peuples autochtones. À ce jour, on estime, en effet, que les forêts peuvent jouer un rôle économique, environnemental, social, culturel majeur si des mesures d’assainissement efficaces (courageuses, inclusives et méthodiques) du secteur forestier sont mises en œuvre.
La loi n°011/2002 du 29 août 2002 éprouve des difficultés dans sa mise en œuvre.
Des observateurs avertis en appellent à sa révision pour la mettre en phase avec l’évolution des circonstances et des thématiques émergentes ayant une incidence réelle sur les forêts. Les mêmes observateurs soulignent la nécessité d’une politique forestière qui aurait pu se mettre en place avant même l’adoption du code forestier. Claude Nyamugabo, le ministre de l’Environnement et du Développement durable, s’est engagé à doter le pays de cet instrument national de gouvernance forestière.
Par ailleurs, en échange de l’interdiction d’octroi de nouvelles concessions forestières, la RDC n’a guère reçu les millions de dollars promis par la communauté internationale. La RDC n’a pas signé en avril 2018 à Brazzaville le protocole instituant la commission Climat du bassin du Congo et le Fonds bleu. Sur le papier, le moratoire sur l’octroi de nouveaux titres forestiers court jusqu’à l’adoption d’une politique forestière nationale. La RDC est dépositaire de 47 % des forêts d’Afrique, ce qui lui confère une responsabilité majeure face aux enjeux de survie de la planète. La RDC abrite plus de 60 % des forêts denses du bassin du Congo, deuxième massif forestier tropical de la planète après l’Amazonie. Le pays possède ainsi la deuxième forêt tropicale primaire de la planète (86 millions d’ha).