En 2012, certains ont voulu voir dans le soutien franc des électeurs d’ascendance maghrébine et africaine à François Hollande le 1,5 point qui fit basculer l’élection en sa faveur. Très peu scrutée durant la campagne cinq ans plus tard, cette frange de la population qui représente 6 % du corps électoral apparaît très divisée entre l’extrême gauche et le centre.
Comment ces électeurs se sont-ils comportés dans cette élection inédite ?
Cet électorat, dont une bonne partie réside dans des quartiers populaires, s’est tout d’abord davantage abstenu. Sa participation est plus de 10 points en dessous de la moyenne nationale. S’il y a toujours une prime très importante à la gauche, c’est Jean-Luc Mélenchon qui en a le plus profité puisqu’il fait 37 % parmi les électeurs déclarant une ascendance maghrébine (on rappellera qu’en 2007 et 2012, ces électeurs s’étaient massivement prononcés en faveur de Ségolène Royal, puis François Hollande pour le PS, au premier comme au second tour à chacune de ces élections). Ensuite, viennent Emmanuel Macron à 28,5 % et Benoît Hamon à 11 %. De manière plus marginale, Marine Le Pen fait 9 % et François Fillon 8,5 %.
Historiquement marqué à gauche, cet électorat apparaît aujourd’hui très éclaté…
En 2007 et 2012, si l’ampleur des scores du PS dans cette frange des électeurs avait frappé les esprits – dans certaines villes de Seine-Saint-Denis, le résultat du PS au premier tour ressemblait très fortement à des résultats de second tour, oscillant entre 70 % et 80 % -, ce phénomène n’était pas totalement nouveau. On peut faire l’hypothèse que ces résultats ont été la traduction civique des émeutes de 2005 dans les banlieues et la réaction à un durcissement du discours de la droite envers les immigrés, notamment de la part Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Plus de trente ans après la Marche des beurs de 1983, cet électorat a décidé d’investir la sphère politique. Certains sont passés de l’associatif à l’engagement politique, quand d’autres, beaucoup moins impliqués politiquement, se sont tout simplement inscrits sur les listes électorales en vue de la présidentielle. En 2012, le quinquennat de Sarkozy, très dur en matière d’immigration, a renforcé cette dynamique. Ensuite, cette tendance favorable aux socialistes s’est très largement érodée à partir des élections municipales de 2014 jusqu’à aujourd’hui. Cette dégradation de la relation à la gauche a débouché sur une abstention massive dans ces quartiers. La principale explication de ce phénomène tient sûrement au fait que beaucoup de ces électeurs ont peut-être cru plus que d’autres au changement incarné par Hollande. Depuis cette expérience douloureuse, l’idée de voter en rangs serrés pour le PS ne va plus du tout de soi.
Le score d’Emmanuel Macron au premier tour n’est pas anecdotique. Peut-on dire pour autant que son projet a séduit une partie de cette population ?
Incontestablement, son projet a raisonné dans une fraction de cet électorat. Certes, Macron a globalement bénéficié d’un argument massue, celui d’être le rempart à Le Pen – chez les électeurs d’origine maghrébine ou africaine, il obtient 89 % des votes contre 11 % pour Le Pen au second tour. Mais il ne faut pas oublier que si cette frange de la population penche à gauche, elle se compose aussi de modérés qui ont tendance à se tourner vers les candidatures centristes. Cet électorat est aussi réceptif aux discours sur la méritocratie et l’ascension sociale par le travail, voire à une vision conservatrice de la famille. Tous n’ont pas fatalement vocation à voter à gauche et certains sont séduits par d’autres courants humanistes. En réalité, on revient à une tendance qui a déjà existé par le passé et que le rejet en bloc de la candidature de Sarkozy, très marquée à droite en 2012, avait contribué à masquer. A l’époque, François Bayrou avait appelé à voter pour François Hollande au second tour, mais rappelons qu’en 2007, le candidat de l’UDF a fait un score non négligeable chez les immigrés. Jacques Chirac non plus n’y faisait pas que des mauvais résultats.
Par-delà les quartiers populaires, Emmanuel Macron séduit-il chez les autres couches sociales de cet électorat ?
Oui, si une partie importante de la population d’origine maghrébine et africaine vit dans ces quartiers défavorisés, il faut aussi prendre en compte qu’une autre frange de celle-ci, qui connaît une ascension sociale, a pu voter pour Macron. On peut aussi émettre l’hypothèse que les propos qu’il a tenus sur la colonisation en Algérie ont certainement joué en sa faveur. Si on zoome sur le vote des Français installés en Algérie ou Franco-Algériens, on observe très clairement un survote en faveur du candidat d’En Marche par rapport aux résultats au Maroc et en Tunisie : dès le premier tour Macron obtient 51,6 % à Alger, 54 % à Annaba et 50,4 % à Oran, tandis qu’il fait 27,2 % à Tanger, 27,5 % à Marrakech, 33,4 % à Casablanca et 36,8 % à Tunis