YOO MYUNG-HEE, la ministre sud-coréenne du Commerce, a consulté les États-Unis qui étaient son principal soutien, et d’autres capitales. Puis, elle a « décidé de renoncer à sa candidature », a précisé le ministère sud-coréen du Commerce dans un communiqué le vendredi 5 février. Soulignant dans le même communiqué que « la Corée du Sud continuera de faire des contributions diverses pour rebâtir et développer le système commercial multilatéral ». Selon des analystes, il s’agit d’un retournement de situation deux semaines après l’investiture de Joe Biden, le nouveau président américain. En effet, les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, avaient jeté leur dévolu sur Yoo Myung-hee, première femme à avoir été ministre du Commerce dans son pays.
Alors que le comité chargé de la succession avait annoncé le 28 octobre 2020 que la candidate la mieux placée pour faire l’objet d’un consensus était la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, qui se fait appeler Dr Ngozi. Le processus de désignation d’un successeur au Brésilien Roberto Azevedo, qui avait annoncé le 31 août 2020 qu’il se retirerait, un an avant la fin de son mandat, pour des raisons familiales, était donc dans l’impasse, à la suite du veto de l’administration Trump.
Les soutiens à Ngozi
Pour rappel, le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est normalement choisi par consensus. Le choix de Ngozi Okonjo-Iweala était aussi contrarié par l’annonce de la candidature d’Amina Mohamed du Kenya, qui risque de fracturer le bloc africain à l’OMC. Cette candidature a été confirmée par le Kenya le mercredi 3 février 2020. Amina Mohamed est une avocate de formation, diplomate de carrière, ancienne ministre de l’Éducation et actuelle ministre des Sports et de l’héritage culturel sous le président Uhuru Kenyatta. Âgée de 58 ans, elle connaît bien l’OMC. De 2000 à 2006, elle a occupé le poste de représentante permanente du Kenya au siège de l’organisation, à Genève, en Suisse. Tout comme Ngozi Okonjo-Iweala, Amina Mohamed est une ancienne ministre des Affaires étrangères qui s’est hissée aux plus hauts niveaux de la diplomatie internationale.
Elle a en effet occupé les fonctions de secrétaire générale adjointe des Nations Unies et de directrice adjointe de l’Agence de protection de l’environnement de l’ONU entre 2011 et 2013. En 2017, elle s’était présentée au poste de président de la Commission de l’Union africaine, mais au final c’est le Tchadien Moussa Faki Mahamat qui a fini par l’emporter. « J’ai les compétences requises pour diriger l’OMC à ce moment critique », a-t-elle twitté.
Il n’empêche, les États-Unis ont déclaré le vendredi 5 février qu’ils soutiennent la candidature de Ngozi Okonjo-Iweala à la tête de l’OMC après le retrait de sa rivale sud-coréenne. Cette annonce a été faite par le bureau du représentant au Commerce américain au nom de l’administration Biden. Elle peut aussi compter sur le soutien de l’Union européenne, dont les États membres sont finalement arrivés lundi 1er février 2021 à un consensus sur sa candidature. Le soutien de l’UE est « un signal clair à l’égard de l’Afrique et un signe de confiance mutuelle » avec l’UE.
Ngozi Okonjo-Iweala qui a obtenu en octobre dernier le soutien des 164 États membres, ne crie pas encore victoire. Elle a indiqué attendre la fin du processus de sélection soulignant que « l’OMC doit tourner son attention vers la pandémie de Covid-19 et la reprise économique mondiale ». Que retenir de Ngozi Okonjo-Iweala ? Sinon c’est une économiste de renom qui a été tour à tour ministre des Affaires étrangères, de l’Économie, et des Finances sous les mandats des présidents Olusegun Obasanjo et Goodluck Jonathan. Elle a aussi occupé les fonctions de directrice générale (n°2) de la Banque mondiale et avait même été pressentie comme la première femme à prendre les rênes de l’institution basée à Washington. Au final, le Conseil d’administration a plutôt choisi la Bulgare Kristalina Georgieva.
À 66 ans, la Nigériane a déclaré avoir hâte d’être nommée et de pouvoir commencer à travailler à des réformes. « C’est un travail indispensable qui nous attend », a-t-elle déclaré dans un communiqué. Le départ du Brésilien Roberto Azevedo est survenu en plein marasme économique mondial, laissant l’OMC en crise. Le prochain chef de l’institution devra affronter la crise économique mais aussi la crise de confiance dans le multilatéralisme et dans le bien-fondé de la libéralisation du commerce mondial, le tout sur fond de guerre commerciale entre les deux premières puissances économiques mondiales, la Chine et les États-Unis.
Ngozi Okonjo-Iweala devra affronter la crise économique mais aussi la crise de confiance dans le multilatéralisme et dans le bien-fondé de la libéralisation du commerce mondial, le tout sur fond de guerre commerciale entre les deux premières puissances économiques mondiales, la Chine et les États-Unis.
Les priorités
À la mi-octobre, Ngozi Okonjo-Iweala avait indiqué vouloir se donner deux priorités pour montrer que l’OMC est indispensable. Elle souhaite pouvoir présenter à la prochaine Conférence ministérielle de l’organisation un accord sur les subventions à la pêche – qui est pour l’heure au point mort- pour démontrer que l’OMC peut encore produire des avancées multilatérales. L’autre priorité c’est de rebâtir l’organe de règlement des différends – le tribunal de l’OMC – qui a été torpillé par l’administration Trump et est en état de mort cérébrale. « Je suis la candidate de la réforme », avait-elle alors affirmé.
C’est dire que Ngozi Okonjo-Iweala aura les coudées franches. En effet, l’île Maurice portera la voix du continent africain au sein de l’OMC cette année. Le petit pays de l’Océan Indien a été nommé coordinateur du groupe africain, composé de 43 pays, pour une meilleure participation au système commercial multilatéral de l’OMC. En tant que coordinateur, Maurice devra assurer la synergie entre les experts, ambassadeurs et ministres africains jusqu’à la 12è conférence ministérielle de l’OMC (MC12) qui devrait se tenir en décembre 2021.
Dans le contexte de l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), cette position permettra à Port-Louis d’accroître son engagement envers d’autres pays africains, en ce qui concerne leurs intérêts commerciaux communs. Selon Nandcoomar Bodha, le ministre mauricien des Affaires étrangères, le groupe africain se focalisera en priorité sur l’approfondissement du traitement spécial et différencié pour les pays en développement, les négociations sur la pêche et l’agriculture, et un accès équitable aux vaccins contre le Covid-19.
Par ailleurs, le Tchad a été reconduit à la tête du Groupe des pays les moins avancés (PMA) à l’OMC par les États membres de ce groupe. Le Tchad occupe ce poste depuis avril 2019 en tant que coordonnateur. À ce titre, le Tchad représente et accompagne pleinement les PMA dans leurs interactions et négociations avec les partenaires commerciaux et ce, dans toutes les configurations : multilatérales ou bilatérales. L’objectif est d’obtenir des résultats concrets en faveur des PMA et de leur meilleure intégration dans le système commercial multilatéral.
Le Tchad s’engage à défendre les intérêts et les priorités des PMA et réitère surtout sa détermination à poursuivre la dynamique tendant à asseoir un système commercial et multilatéral juste et inclusif. Enfin, il appelle les membres du Groupe PMA à davantage de cohésion, d’unité et de solidarité entre eux, avec en prime, le renforcement de la position des PMA dans les négociations internationales et la défense de leurs intérêts. Il est alors question de relever les défis auxquels les PMA sont confrontés, et en particulier, la situation d’urgence créée par la crise sanitaire mondiale actuelle.