« Il m’est arrivé de prendre un médicament contre les maux de ventre que je m’étais procuré directement à la pharmacie. Quand la situation a empiré, j’ai décidé de consulter un médecin. Et le diagnostic a relevé que c’était la gonococcie (blennorragie). Un traitement conséquent a été nécessaire pour me guérir », témoigne Germain Lukozi. Qui voulait se soigner seul pour éviter le coût d’une consultation. Mais en définitive, il a vu décupler les frais de santé.
À Kinshasa, l’automédication est une pratique courante. Elle pénalise des milliers de personnes. Les autorités sanitaires essaient de renforcer la lutte contre l’automédication. Mais en vain ! Selon une enquête réalisée à Kinshasa par ONGD Salisa, une structure indépendante, 7 Kinois sur 10 ne consultent pas préalablement un médecin en cas de malaise de santé. Au contraire, ils s’administrent eux-mêmes des médicaments. Les personnes interrogées ont indiqué que les consultations, les examens et soins médicaux coûtent cher, et ne sont pas toujours à la portée de toutes les bourses. L’enquête de l’ONGD Salisa souligne par ailleurs la défaillance de l’État, qui ne fait rien pour le respect des normes.
Ignorants…
En janvier 2016, l’Inspection provinciale de la Santé publique lançait à Kinshasa une campagne qui avait pour slogan : « Une consultation avant toute prise de médicament peut vous sauver ». Beaucoup de gens ignorent en effet que prendre un médicament sans l’avis d’un médecin avisé peut engendrer des problèmes de santé majeurs, comme le confirme Dr Paul Mutshipay des Cliniques universitaires de Kinshasa. « Tous les médicaments ont des effets secondaires. Même le paracétamol que certaines personnes jugent inoffensif peut causer des ennuis quand il est utilisé à forte dose. », fait-il remarquer. L’automédication a plusieurs conséquences, à moyen et long termes, poursuit-il. « La prise de certains médicaments diminue les symptômes et la souffrance, mais provoque aussi à long terme la résistance de la maladie à un traitement. »
Au Programme national du Fonds mondial de lutte contre le sida, on explique que les mauvais traitements contre la tuberculose et le paludisme développent des résistances aux médicaments et aggravent la maladie. Certains patients commencent à en prendre conscience et se rendent directement dans les centres hospitaliers où l’on trouve des soins appropriés et des pharmacies fiables. « Un infirmier d’un petit centre de santé m’avait diagnostiqué la syphilis, témoigne un homme sous l’anonymat. J’ai demandé conseil à un pharmacien qui m’a prescrit de l’ampicilline (un antibiotique à large spectre). Après quelques jours, les symptômes avaient disparu et je me croyais guéri. Mais plus tard, un chancre s’est développé sur ma lèvre. Or, une syphilis mal soignée peut à long terme avoir des conséquences graves sur la santé. Un antibiotique spécifique prescrit aurait pu la guérir. »
Les pharmaciens ou les vendeurs ambulants qui offrent illégalement les médicaments sont responsables d’une grande partie de ces problèmes. C’est ainsi que les autorités sanitaires prennent des sanctions contre ceux qui vendent des antibiotiques et autres médicaments sans en exiger l’ordonnance médicale. Chaque année, des dizaines d’officines (pharmacies) sont fermées pour non-conformité des documents techniques et du personnel. L’inspection provinciale en charge du secteur pharmaceutique déplore que la plupart des officines soient tenues par des personnes qui ne sont pas des pharmaciens ou encore par des « pharmaciens dont le seul objectif est de gagner de l’argent ». Les normes pharmaceutiques et hospitalières sont connues par tout le corps médical. C’est à la justice désormais de faire son travail et de mettre de l’ordre, martèle un médecin.
Depuis que l’inspection sanitaire de Kinshasa veille strictement à la réglementation, certains pharmaciens ont pris l’habitude d’exiger l’ordonnance médicale avant toute vente de médicament. «La loi est dure, mais c’est la loi. Je ne peux pas perdre ma pharmacie pour un rien», confie l’un d’eux. Thomas Kabongo rappelle que la vente de médicaments sans prescription médicale expose à la fermeture de l’officine, mais aussi à des peines pour le propriétaire de l’officine. Jean Didace Diama, un habitant de Kinshasa, estime que «l’hôpital reste l’endroit le plus sûr pour se soigner dans de bonnes conditions». Et conseille de se méfier des pharmaciens apprentis sorciers.
L’une des principales causes de l’automédication demeure la pauvreté qui ne permet pas aux malades de consulter un médecin. Cependant, constate Jean Didace Diama, «mieux vaut consulter un médecin une fois et dépenser moins pour être guéri que s’y rendre trop tard et dépenser plus».
L’automédication est devenue courante en R-dCongo. Mais les gens ignorent les conséquences dangereuses de cette pratique, surtout quand il s’agit des médicaments contrefaits ou périmés. Les médecins dans le Bas-Congo tirent la sonnette d’alarme : à Matadi, les faux médicaments ont déjà causé 116 morts cette année.
En 2008, le nombre de décès dus à la prise de faux médicaments était de 261. Cette année, à moins d’un semestre, ce nombre est de 116. L’inspection médicale provinciale du Bas-Congo dénonce par conséquent la circulation de faux médicaments dans cette province. En effet, selon les statistiques de la division provinciale de la Santé, depuis janvier 2009, on a enregistré 116 cas de femmes décédées dans le Bas-Congo à la suite de la prise de faux médicaments. En 2008, elle avait enregistré 261 cas de décès.
Denis Lemba, médecin épidémiologiste, explique que ces décès sont dus à la circulation et la consommation de faux médicaments, notamment la quinine et la métargine. Il lance un SOS aux autorités provinciales pour que des mesures urgentes soient prises. Il recommande aussi plus de prudence à la population. «La mortalité due au paludisme a tellement augmenté que nous avons décidé de mettre fin à cette situation dans notre province. Nous demandons à la population du Bas-Congo de suivre les instructions qui seront données par les autorités politiques et administratives en matière de la consommation de médicaments», déclare-t-il.