Au hit-parade des actuelles revendications des Français, le pouvoir d’achat semble avoir atteint des sommets. Il est vrai, qu’à force de publicités destinées à faire croire aux gens que «le bonheur c’est d’avoir de l’avoir plein nos armoires», ils ont fini par le croire. Ainsi notre société, à mesure qu’elle s’éloignait de la transcendance, s’est peu à peu convertie au culte des objets et, en conséquence, de l’argent, le moyen le plus répandu de se les approprier.
Dans cette société consumériste, la consommation s’impose non seulement comme un mode d’absorption de la production industrielle nécessaire à la croissance, mais encore comme un mode de relation aux autres et à soi-même.
Nous voulons plus. Et plus d’argent pour y parvenir. Car c’est la clé de notre bonheur selon les normes et codes qui règnent en maître dans notre modernité, étant devenus étrangers à notre être profond qui lui a, de toute éternité, d’autres besoins. Devenus superficiels, narcissiques, individualisés, agités, nous n’aspirons cependant qu’à la sérénité, à la joie et à ce que l’on nomme de nos jours, sans trop savoir ce qu’il y a derrière, «l’émotionnel».
Un émotionnel devenu très tendance et cependant à contre-courant de notre modernité comme nous le rappelle Michel Maffesoli : «Émotionnel, ne se verbalisant pas aisément, mais rappelant une irréfragable énergie, d’essence un peu mystique et exprimant que la solidarité humaine prime toutes choses et en particulier l’économie qui est l’alpha et l’oméga de la bien-pensance moderne.» (1)
Ainsi, coupée à la fois de ses racines et de toute spiritualité, emprisonnée dans son rapport existentiel à la consommation et à l’argent, notre société est devenue «hors sol» et dysfonctionnelle. Son corps est en souffrance, empêché, bloqué, frustré. Les mouvements sociaux qui viennent secouer régulièrement notre pays et les revendications qu’ils portent sont la conséquence directe d’une incapacité à conscientiser nos véritables besoins en tant qu’individus et donc en tant que collectif.
Un rapport singulier à la possession
Dans notre culture, l’image de la richesse est celle d’un trésor fini et enfermé dans un coffre. Ainsi, ceux qui ont les clés du coffre et se servent en premier priveront les autres car «il n’y en aura pas pour tout le monde !». Une vision parfaitement exprimée par le principe de répartition des richesses : ces dernières étant par essence limitées, la justice sociale en impose une équitable répartition. C’est cette logique de limitation, à l’origine de toute politique malthusienne, qui a poussé notre pays à faire le choix des 35 heures considérant qu’il n’y avait plus assez de travail pour tous et qu’il fallait donc le partager. Avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui à la fois sur la production de richesse en France et ses services publics.
A force de confondre abondance et richesse, plénitude et possession, bonheur et pouvoir d’achat, l’homme moderne navigue entre la crainte de perdre et la peur de manquer. Une peur redoutable décrite par Paul Valéry comme le «spectre du manque de pognon». Une peur suscitée par la perte de confiance en soi mais aussi, toujours selon Valéry, en l’architecture fiduciaire de notre société qui nous fait que nous croyons en «la valeur de notre monnaie, de la Bourse, de nos lois, de nos engagements et de nos traditions» (2).
Ainsi, la montée de la défiance face à ce qu’il convient d’appeler nos institutions, s’accompagne immanquablement de la montée d’un climat de peur, propice à la crispation quand ce n’est pas la violence. Bloqué dans son système de pensées et sclérosé par la peur des lendemains qui déchantent, notre pays ne peut plus accueillir le sentiment d’abondance qui seul libère et conduit à la plénitude.
(1) Michel Maffesoli et Hélène Strohl, «Le printemps des peuples», 2019.
(2) Régis Debray, «Un été avec Paul Valéry», (Ed : Equateur parallèles, 2019).