L’ANNÉE 2019, ainsi, ne sera sans doute pas aussi mauvaise qu’on pouvait le craindre. Mais cela ne tarira probablement pas le flot des prédictions alarmistes et catastrophistes, quant à l’effondrement prochain des banques et de l’économie avec elles, qui se multiplient depuis des mois. Pour autant, la situation des banques européennes n’a rien de très rassurant. Et, si l’on prend un peu de recul, il est particulièrement frappant de constater à cet égard l’écart sans cesse croissant entre les banques européennes et américaines depuis des années.
Pourtant, si cet écart saute aux yeux, on s’intéresse finalement très peu aux raisons qui peuvent l’expliquer.
Malgré la pression exercée sur leurs marges par la faiblesse des taux, les vingt principales banques européennes ont connu une amélioration assez surprenante de leurs résultats au deuxième trimestre 2019.
Miser sur les crédits
Leurs revenus nets d’intérêts sont passés de -2 % en glissement annuel au premier semestre 2018 à +2 % au premier semestre 2019. Dans ces conditions et avec une baisse – encore assez limitée (-2%) – des charges d’exploitation, les principales banques européennes ont maintenu leurs résultats nets (48 milliards d’euros). Leur rentabilité des capitaux propres (ROE) moyen, bien qu’en baisse de 1 %, atteint quand même 8 %. Rien d’alarmant donc mais rien non plus d’enthousiasmant. Pour compenser la faiblesse des marges, les banques ont fait croître leurs volumes de crédit (+4 % sur un an). Dans la zone euro, la croissance des prêts au secteur privé a atteint son niveau le plus élevé depuis 2011, particulièrement pour les entreprises. Toutefois, dans un contexte de ralentissement économique, une telle stratégie a ses limites : les provisions pour pertes sur prêts ont augmenté de 20 %. Et il est inquiétant de constater que, dans un contexte défavorable de taux qui pourrait être durable, les résultats sont essentiellement tirés par l’activité de crédit ! Ainsi que par des variables exogènes, comme la baisse du taux de change moyen de l’euro par rapport au dollar, qui a augmenté la valeur des bénéfices générés aux États-Unis et dans certaines régions d’Asie.
Pour le reste, avec la conjoncture moins favorable des marchés financiers au deuxième trimestre, les revenus de trading ont été stables sur l’ensemble du premier semestre 2019. Quant aux commissions nettes, elles continuent à se contracter. Or, même si cette contraction s’est ralentie, elle demeure particulièrement préoccupante : les banques européennes peinent à maintenir leurs revenus les plus stables, aussi bien qu’à en générer de nouveaux. Dans ces conditions, leur coefficient d’exploitation moyen, marquant le poids des charges d’exploitation sur les revenus, demeure élevé (62 %). D’autant que, très disparate d’un établissement européen à l’autre, il peut être beaucoup plus considérable chez certaines grandes banques. Au total, pour protéger une situation assez fragile, les banques européennes n’ont donc pas d’autre choix aujourd’hui que de réduire, bien plus drastiquement qu’elles ne l’ont fait jusqu’à présent, leurs coûts de distribution et, notamment, leurs réseaux d’agences avec leurs personnels (les effectifs des back offices ont été eux d’ores et déjà significativement réduits).
Très « chères » commissions
Pour rendre compte de cette situation, on invoque le plus souvent – non sans une certaine jubilation catastrophiste parfois – le contexte des taux et la concurrence des nouveaux acteurs de la fintech (ce qu’aucun chiffre, pourtant, ne valide). Mais les écarts de taux entre l’Europe et les États-Unis (où la concurrence de nouveaux acteurs, si elle doit être prise en compte, n’est certainement pas moindre, au contraire) peuvent-ils expliquer que, par rapport aux banques européennes, les américaines affichent une toute autre santé ? Leurs bénéfices après impôts ont progressé de 6 % en glissement annuel pour atteindre 123 milliards de dollars, ce qui constitue un nouveau record. Avec un ROE moyen de 12 %, les principales banques américaines ont encore creusé l’écart avec les européennes. Or cela n’est pas conjoncturel : cet écart n’a cessé de se creuser depuis une décennie. Sur quoi repose-t-il ? Essentiellement, sur l’importance des commissions qu’engrangent les banques américaines. Depuis 2008, en effet, le produit net bancaire des banques européennes se distribue de la façon suivante : les marges nettes d’intérêt représentent plus de la moitié du PNB, les commissions environ 30 % (30,4 % pour l’ensemble des groupes bancaires français) et les activités de marché moins de 20 %. Réciproquement, aux États-Unis, commissions et intérêts représentent chacun à quasi égalité entre 40 % et la moitié du PNB et les activités de marché, comme en Europe, moins de 20 %.
En France, si l’on considère l’ensemble des banques, la part la plus élevée dans le PNB qu’atteignent les commissions chez certains grands groupes ne dépasse pas 43 %. Si l’on prend la seule banque de détail, les pourcentages sont un peu plus importants : 38 % de part moyenne des commissions dans le PNB, tandis qu’une poignée d’établissements atteignent 50 %. Cependant, depuis une décennie, ces pourcentages n’ont pratiquement pas évolué – notamment la part des commissions clientèle nettes dans les commissions nettes totales (37,5 % en 2007 et 37,6 % en 2018). Pourtant, dans l’intervalle, une révolution digitale, synonyme de nouveaux services, a eu lieu.