Les conflits fonciers qui gangrènent la RDC

Si le chef de l’État a rappelé la nécessité de mettre fin au litige empêchant la Regideso d’exploiter son site de Maluku, expliquant durant le Conseil des ministres du 4 mars dernier que cette situation empiète sur la qualité des services de ladite compagnie, celle-ci n’est pas la seule à être victime de spoliateurs. Enquête sur le projet immobilier « Les Jardins de Kinsuka », premier volet de nos investigations sur les conflits fonciers qui empoisonnent la paix sociale et le climat des affaires.

Vue aérienne du site ex-CPA

VIVEMENT le règlement définitif des litiges ! Les instructions données par Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, lors du Conseil des ministres le 4 mars dernier sont sans équivoque. Ces directives concernent la propriété du site de Maluku de la Regideso pour laquelle la compagnie nationale voit les titres se superposer au détriment de la bonne réalisation de sa mission et du développement de son offre. 

Reste que l’injonction à exécuter « toutes affaires cessantes », reprenons les propos du Président, rend « dubitatif » dans les plus hautes sphères de l’État confie un de ses proches. Ce dernier attend de voir comment les ministres des Affaires foncières, de la Justice et Garde des Sceaux ainsi que des Ressources hydrauliques et de l’Électricité respecteront les ordres qui leur ont été donnés le 4 mars dernier. « Si l’État ne saisit pas cette occasion pour nettoyer au karcher toutes les saletés du foncier, de l’habitat et de l’urbanisme, secteurs caractérisés par l’illégalité dans la légalité, quel crédit la population peut-elle encore lui accorder ? Il n’y aurait que les naïfs pour lui faire confiance ».

Un discours nécessairement sévère pour rendre compte de l’urgence de la situation. Le cas évoqué de la Regideso ne serait en réalité « que l’arbre qui cache la forêt », laisse entendre ce même proche parlant du fait que la spoliation est un mal qui ronge tant les entreprises publiques que privées en République démocratique du Congo. Et particulièrement à Kinshasa où tous les moyens, disons plutôt les coups (lire l’encadré ci-bas) sont permis.  

En témoignent les attaques dont est victime Immotex, filiale du groupe Texaf, sur son site de Kinsuka. « Nombreux sont celles et ceux qui sont choqués d’assister à des actes et des scènes de spoliation et de destruction méchante d’une concession clôturée et protégée », regrette un chef d’entreprise, ébahi par le caractère répétitif et frénétique des actes observés. 

Ces derniers, comme le révèleront les investigations menées par Business & Finances, sont dénués de fondements juridiques mais bénéficient du soutien direct ou indirect d’individus, qualifiés « d’intouchables ». Nos témoins nomment, preuves à l’appui, aussi bien des membres de l’entourage du président de la République, des ministres, des hauts magistrats que des officiers supérieurs de l’armée et de la police.   

Promesses de campagne

Un état de fait regrettable car, à l’approche de l’échéance électorale, il n’est pas bon que ceux qui sont autour du Président s’évertuent à gêner, « sciemment ou non » l’exécution de ses promesses de campagne, fait remarquer un autre proche de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, préférant leur donner l’opportunité de « réparer leurs fautes ».  Tout en rappelant qu’offrir des habitats sociaux modernes aux Congolais par l’État et/ou avec l’accompagnement des investisseurs privés est, bel et bien, l’un des engagements forts du Premier Congolais à la Nation. 

C’est la raison pour laquelle le projet d’Immotex dénommé « Les Jardins de Kinsuka » n’avait pas manqué de séduire le chef de l’État quand celui-ci lui avait été présenté au point de marquer son accord de principe sur son portage politique.

 « L’État n’ayant pas la capacité de tout faire, le président de la République de manière éclairée a toujours assuré son soutien à toute initiative privée s’inscrivant dans sa vision politique qui met l’individu au centre de son action », souligne un autre proche de la Présidence. 

Ce projet immobilier est d’ailleurs près de conclure des accords avec des partenaires stratégiques en termes techniques et financiers, apprenons-nous, mais ceux-ci sont hésitants en raison de nombreuses entraves au climat des affaires. Sa mise en exécution rapide serait pourtant une aubaine pour tous. D’autant plus que le groupe Texaf, constitué en 1925, est un investisseur historique et bien connu dans le pays. Active aujourd’hui dans l’immobilier, l’industrie et le numérique, elle est l’unique société d’investissement au monde cotée en Bourse, ayant toutes ses activités en RDC. 

Son ADN 100 % congolais, sa cotation boursière ainsi que les obligations de bonne gouvernance et de transparence qui en découlent font de Texaf un partenaire de premier choix pour la promotion du secteur formel en RDC. « Il est donc anormal que des projets comme Les Jardins de Kinsuka soient freinés par des prédateurs fonciers », regrette un chef d’entreprise. Défendant que ces agissements sont totalement contradictoires à ceux du Président, lui, qui ne ménage aucun effort pour « mettre en valeur les opportunités d’investissements viables et durables » en RDC. 

Tentatives d’expropriation

Mais qu’est-ce qui bloque la réalisation de ce projet in fine ? Le journal Business & Finances a enquêté sur les tenants et les aboutissants de la polémique qui entoure le site où sera érigé l’écoquartier. Ces discussions apparaissent vaines et sans objet. 

Le groupe Texaf dispose à travers sa filiale Immotex de la concession qui abritait jadis les installations de l’usine CPA, bien connue de tous les Congolais pour le tissu wax qu’elle a produit pendant des décennies avant d’être contrainte d’arrêter ses activités à cause des pillages de 1991. Sur ce site, à l’instar de la concession Utexafrica dont elle est propriétaire, Texaf ambitionne de développer près de 2 000 logements avec les infrastructures associées (éducatives, commerciales, sportives et de loisirs) dans une dynamique de promotion-vente.

Ce projet, expliquent les promoteurs, « répondra à de hautes exigences de développement immobilier durable, qualitatif et responsable, s’inscrivant dans la volonté politique des autorités du pays de promouvoir l’accès à la propriété privée à un plus grand nombre de Congolais ». Lorsque le président de la République s’était rendu en juillet 2021 sur le site CPA pour inaugurer la sous-station (poste à haute tension + équipements associés) alimenté par la centrale hydroélectrique de Zongo II de la SNEL, dans le cadre de son programme des 100 Jours en 2019, il avait apporté son soutien à ces promoteurs, considérant qu’il s’agissait d’un accompagnement à la mise en œuvre de cette promesse de campagne présidentielle.

En attendant la pose de la première pierre, il serait tout bonnement impensable de considérer que la volonté des spoliateurs ait raison de celle du Président. Néanmoins, les implications de ceux qu’on appelle les « intouchables » tendent à rendre, au fil du temps, irréductible la bande organisée de spoliateurs. 

De quoi interpeller, tout comme les résultats de notre enquête. Ceux-ci révèlent que le premier certificat d’enregistrement sur cette parcelle convoitée a été émis en faveur de la société CPA en 1970. Il s’agissait à l’époque d’une parcelle entièrement clôturée d’un peu plus de 114 ha qui avait pour limite naturelle sur une partie de son périmètre le fleuve Congo. Aucune action en justice n’a été menée par quiconque pour remettre en cause la qualité, les dimensions et la localisation du site qui en 2005, sera apporté par la société CPA (groupe CHA) dans l’augmentation du capital d’Immotex. Un nouveau certificat d’enregistrement a donc été établi en faveur de celle-ci. 

Profitant d’un changement de concessionnaire, plusieurs collectifs vont ainsi multiplier les actions contre l’entreprise et ses dirigeants en vue de s’approprier tout ou partie de cette concession privée. Le premier noyau dur est formé depuis 2005 autour d’un certain Ricky Bahambula ; et le second s’est organisé depuis 2019 autour d’une certaine Anne Ayunza. Nos enquêteurs ont cherché à les joindre par l’intermédiaire de leurs avocats pour savoir pourquoi ils s’opposent à la réalisation du projet « Les Jardins de Kinsuka » tout en revendiquant des terrains sur la même concession. En vain.