L’ex-Zaïre a un sérieux problème. Comment sortir du cercle vicieux de pays « potentiellement riche » pour entrer dans celui de pays « véritablement riche ». Pour l’anecdote : en 1993, nous recevions deux amis journalistes éthiopiens venus d’Addis-Abeba. Ce fut leur premier et unique séjour dans l’ex-Zaïre de l’époque. Du 7è étage de l’ancienne tour de l’ex-Intercontinental, un après-midi de dimanche, nous étions attablés au restaurant L’Étoile autour de vichy-fraise et de vittel-cassis, innocents breuvage qui jouissent d’une rassurante vertu, laissant le cerveau lucide quand on se voit obligé de boire souvent et qu’on ne veut pas courir le risque de s’enivrer. Contemplant avec émerveillement le majestueux fleuve Congo, soudain nos hôtes nous posèrent cette rapide question : « que faites-vous de ce fleuve ? »
Là ils nous posaient vraiment une colle tant la question nous parut fort embarrassante. « Que voulez-vous qu’on en fasse ? Il coule », m’empressais-je de répondre, sans me rendre compte que je venais de donner la pire des réponses. « Chez nous, si on a un tel fleuve, c’est fini, nous devenons un pays riche », me fit remarquer l’un d’eux. En fait, le confrère éthiopien avait voulu tout simplement me faire comprendre que dans notre pays, contrairement à eux, la gestion de l’eau n’est pas élevée au niveau de stratégie de développement durable national et régional.
En fait, de par sa position géographique au cœur du continent africain et ses ressources naturelles, l’ex-Zaïre – redevenu la République démocratique du Congo – « n’est pas un pays comme les autres », aimait à dire le président Mobutu Sese Seko. Tout est enjeu en RDC et qui dit enjeu, pense stratégie. La stratégie, c’est « la partie de l’art militaire qui consiste à préparer, à diriger l’ensemble des opérations d’une guerre ». La stratégie, c’est aussi « l’art de faire la guerre intelligemment » ou d’« utiliser les informations qui surviennent dans l’action, de les intégrer, de formuler soudain des schémas d’action et d’être apte à rassembler le maximum de certitudes pour affronter l’incertain ». Enfin, la stratégie, c’est enfin « un système d’expédients ». Elle est plus qu’une science car elle est la transmission du savoir dans la vie pratique, le perfectionnement de la pensée capable de modifier l’idée directrice primitive conformément aux situations sans cesse modifiées, c’est l’art d’agir sous la pression des circonstances les plus difficiles.
Avec 9 voisins, avec d’immenses ressources naturelles, avec une démographie galopante, avec…, avec… la RDC a vocation d’être une puissance régionale d’abord, puis continentale. Une puissance militaire pour se protéger contre les convoitises des voisins et des autres, il va de soi que le pays se doit de se doter d’une armée bien formée et équipée capable de représenter une force de dissuasion. Dans les années 1960-1970, le pays avait une armée considérée comme l’une des plus redoutables du continent. Les cadres militaires étaient formés dans les meilleures académies militaires du monde.
Une puissance économique sur le plan des échanges commerciaux, particulièrement avec les pays voisins. Une puissance culturelle pour étendre son influence. À l’époque, des ressortissants d’autres pays venaient se former dans les universités congolaises, se soigner dans les hôpitaux de chez nous. Des professeurs congolais enseignaient dans les universités du monde entier… C’est cela qui nous manque et c’est bien dommage pour l’avenir.
L’enjeu de l’eau
On dit que l’eau sera l’enjeu géopolitique majeur de ce siècle. Cette assertion émanant de certains spécialistes, paraît difficile de démontrer, voire inacceptable, pour d’autres. Cependant, force est de constater que la raréfaction de la ressource, ici, et sa disponibilité, là, sont conflictogènes. Dans le cas particulier du continent africain, comme le dit Christian Bouquet (in « Conflits et risques de conflits liés à l’eau en Afrique), les grands bassins versants du Nil, du Niger et du Tchad, partagés entre de nombreux États de puissance inégale, sont le théâtre d’une hydro-diplomatie peu efficace, voire inquiétante. D’après lui, le projet de transfert massif d’eau du bassin du Congo à celui du Tchad induit des conséquences socio-économiques et environnementales qui portent les germes de crises graves.
Quant à la marchandisation de l’eau potable, décidée en 1992, elle pourrait être le déclencheur, dans le contexte d’extrême pauvreté que connaît l’Afrique, de conflits sociaux susceptibles de dégénérer en guerres civiles si les inégalités perdurent. Cependant, les conflits en rapport avec l’eau sont considérés comme des conflits latents lorsqu’il ne s’agit que de divergences et vues, et comme manifestes quand apparaissent les menaces verbales. Au-delà, on passe des affrontements sporadiques, aux affrontements répétés, puis à la guerre avec violences continues, destructions massives et de longue durée. Ndjamena et Abuja qui forment la tête de pont de ce projet préparent déjà leurs opinons nationales respectives à travers les médias et certaines publications scientifiques à la guerre de l’eau. Qu’on présente comme « inévitable » pour renflouer le lac Tchad en proie à la sécheresse. Beaucoup de spécialistes comme le géographe américain Aaron Wolf (Université de l’Oregon) ne sont pas de cet avis. Aron Wolf précise qu’on ne s’est battu pour l’eau que 37 fois en 50 ans, dont 27 fois entre Israël et la Syrie. Selon lui, « la menace de pénurie d’eau conduit plutôt les États à coopérer qu’à s’affronter ».
Un projet qui fait jaser
Dès 1964 avait été créée la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), autour d’un bassin conventionnel dont le tracé a d’abord été fantaisiste, puis élargi à la Centrafrique, ce qui était la moindre des choses puisque le fleuve Chari, principal tributaire du lac, y prend sa source. Basée à Ndjamena, la CBLT est longtemps restée une coquille vide. Elle veillait davantage à ce qu’on ne touche pas aux agissements du Nigeria sur la rive occidentale qu’elle ne travaillait vraiment à une « vision commune ». Il a fallu plusieurs campagnes de presse appuyées sur les photographies satellitaires pour que l’opinion publique internationale s’émeuve et s’attelle à rechercher des solutions.
Ainsi est apparu, à la fin des années 1980, le premier projet Transaqua qui fait jaser aujourd’hui. Un projet « pharaonique » consistant à aller prendre l’eau dans le fleuve Congo… Surréaliste, l’idée et une version « soft » a ensuite été élaborée récemment. Plus généralement, le partage de l’eau constitue un risque de conflit qu’on ne saurait négliger, même si une guerre de l’eau ne se transformera pas en une confrontation militaire. Pour l’essentiel, il y a davantage de risques que de conflits ouverts. Mais le contexte actuel affiche des tendances aggravantes car la croissance démographique et les besoins économiques mal maîtrisés, notamment en Afrique subsaharienne, où la pression à la fois sur la terre et sur l’eau, crée des tensions intercommunautaires de nature à dégénérer. Par ailleurs, le règlement des crises liées au contrôle des bassins versants relève des États, et ceux-ci ne regardent