DANS un contexte aujourd’hui marqué par des incertitudes sur l’issue de la guerre commerciale avec les États-Unis, la Chine ne cède pas aux frémissements. Au contraire, elle continue de consolider ses bases, notamment en Afrique. Mais cette performance ne devrait pas conduire à conclure que la conjoncture du commerce international n’impacte pas la relation commerciale entre les deux blocs de partenaires.
Déjà on note que derrière ce chiffre global, la part des exportations des pays africains vers le Chine a reculé de 1,5 % sur la même période. La Chine est la grande gagnante, car elle a vendu 6,5 % de plus de produits en Afrique. Aussi, on remarque des chiffres que seuls les pays pétroliers ou miniers affichent des excédents commerciaux dans leurs relations avec la Chine. Trois d’entre eux seulement ont un surplus commercial qui dépasse le milliard de dollars, dont 5,6 milliards et 2,3 milliards pour l’Angola et l’Afrique du Sud respectivement, qui sont des exceptions. Les moteurs économiques régionaux (Nigeria, Algérie) et sous-régionaux (Maroc, Egypte, Kenya) figurent dans le top dix des déficits commerciaux avec l’Empire du milieu.
Difficile de savoir si la Chine atteindra encore les 5,6 milliards de dollars d’excédents qu’elle a réalisés sur l’Afrique en 2018. Les faibles importations chinoises impactent négativement les revenus des pays de la région et se traduit par une baisse des dépenses de consommation ou d’investissement au sein de leurs économies. Mais avec un volume des échanges qui représente seulement 5 % de son commerce international, pas sûr que Pékin soit pressé de régler le problème de ses consommateurs africains.
Consolider son influence
Premier partenaire économique de l’Afrique, la Chine a encore mis la main à la poche : 60 milliards de dollars lors du dernier sommet Chine-Afrique de Beijing en 2018. C’est un financement supplémentaire pour le développement économique des pays africains, consenti comme « aide gouvernementale, investissements et financements d’établissements financiers et d’entreprises chinoises ». Les priorités sont : la promotion industrielle, la connectivité des infrastructures, la facilitation du commerce et le développement écologique. Les entreprises chinoises sont également « encouragées » à investir au moins 10 milliards de dollars en Afrique d’ici 2020.
Sur les 60 milliards de dollars, 15 milliards seront accordés comme « aide gratuite et prêts sans intérêts » aux pays africains les moins développés, lourdement endettés et pauvres. Tout aussi aux petits pays insulaires et enclavés en voie de développement qui ont des relations diplomatiques avec la Chine. Côté cour, le thème du sommet a été : « Chine et Afrique : vers une communauté de destin encore plus solide via une coopération gagnant-gagnant ».
La Chine est pour le moment très active en Afrique dans les secteurs des mines, du pétrole et du bois, à travers des contrats mines contre infrastructures, pétrole contre infrastructures…
Déjà des interrogations sont perceptibles sur l’octroi de ces 60 milliards de dollars à toute l’Afrique. Faute de projets véritablement bancables, des experts pensent que cette « manne » profitera plutôt aux « géants économiques » que sont l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya et les pays bien cotés en matière de « bonne gouvernance économique » comme le Rwanda, le Botswana, Ile Maurice… Les mêmes experts rappellent que l’aide financière n’est pas « désintéressée », au contraire elle est calculée en fonction de ses énormes besoins en ressources naturelles de l’Afrique.
D’après eux, à travers son geste financier, la Chine veut consolider son influence économique, mais aussi politique en Afrique. Pour les pays africains, la priorité reste la dette chinoise. Tenez : le volume des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique a atteint 170 milliards de dollars en 2017. Selon le rapport McKinsey Africa publié en juin 2017, il y aurait déjà plus de 10 000 entreprises chinoises implantées en Afrique. Les sociétés chinoises sont présentes dans de nombreux secteurs de l’économie, dont près du tiers dans la production, un quart dans les services et environ un cinquième dans le commerce, la construction et l’immobilier.
« Dans un contexte de guerre commerciale globale, l’économie chinoise doit d’urgence se diversifier et conquérir des marchés dans des pays encore peu explorés. L’Afrique est un immense marché potentiel. Le pouvoir d’achat est faible, mais massif. Les produits très bon marché chinois s’y écoulent par milliards », explique Jean-Joseph Boillot, conseiller au Club du CEPII pour les pays émergents. L’auteur de « Chindiafrique » (éditions Odile Jacob) ajoute que c’est « un partenariat gagnant-gagnant entre l’Afrique et la Chine ».
Selon le rapport McKinsey, les investissements chinois sont aussi créateurs d’emplois. L’étude révèle que près de 300 000 emplois ont été créés par les sociétés chinoises. Près de 90 % des emplois pourvus l’ont été par des Africains. Mais le revers de la médaille est que ces emplois concernent surtout des ouvriers à faible qualification. Ainsi, seuls 44 % des gestionnaires locaux des entreprises chinoises sont africains. Et les produits manufacturés vendus en Afrique proviennent toujours majoritairement de firmes chinoises, ce qui représente un frein à l’industrialisation du continent.
Prêts concessionnels sur 30 ans
Jean-Joseph Boillot souligne que « le véritable avantage de la Chine est sa capacité d’investissement rapide et massive ». Comme il le dit, la Chine dispose des réserves très importantes en devises, qui lui permettent de faire des prêts concessionnels sur 30 ans avec des taux d’intérêt faibles de 2,5 %, et des délais de grâce de 10 ans pour rembourser. Elle peut très vite débloquer de l’argent. Les projets peuvent être signés en un an, alors qu’ils pourraient mettre 10 ans à voir le jour avec des bailleurs internationaux comme la Banque mondiale », explique-t-il. La Chine est ainsi devenue le premier créancier de l’Afrique, en s’appuyant essentiellement sur la Banque chinoise d’import-export (China EximBank) et la China Development Bank (CDB).