Les politiques perpétuent le régime des exonérations fantaisistes

Que ce soit à Kasumbalesa ou à Matadi, la DGDA fait le même constat, il y a encore des entreprises « intouchables » liées à des personnalités politiques qui jouissent des « sauf-conduits » douaniers. Avant alternance égale après alternance politique.

LE CLIMAT des affaires, c’est aussi le paiement de toutes les taxes légales, a fait comprendre ce délégué de la douane lors du séminaire d’orientation budgétaire pour l’élaboration du budget 2020. Hélas, comme les années précédentes, à fin 2019, la Direction générale des douanes et accises (DGDA) remettra derechef dans son rapport annuel sa sempiternelle complainte, les exonérations qui, bien souvent, ne relèvent que des injonctions et des immixtions politiques. 

Il y a deux ans, Joseph Kabila Kabange, l’ancien chef de l’État, avait rassuré l’alors 1ER Ministre, Samy Badibanga Ntita, de ramener dans le rang toutes ces entreprises couvertes par des « immunités politiques » afin de s’acquitter de leurs obligations vis-à-vis de services de l’État. Mais, depuis, à la douane, le manque à gagner continue de se gaver du fait des exonérations politiques. L’an dernier, la douane a déploré l’accroissement vertigineux du volume des exonérations dont le tonnage est passé de 389 090 t au premier semestre 2017 à 512 524 t pour la même période en 2018. 

La DGDA n’indique pas cependant le tonnage total des produits qu’elle a traité de janvier à juin 2018. Toutefois, selon la Banque centrale du Congo (BCC) renseigne dans son bulletin d’informations statistiques daté de septembre 2018 que quelque  738 826 t de marchandises ont été traitées au premier semestre 2018 au port de Matadi. Et au premier semestre 2019, la BCC avance le chiffre de 15 573 000 t. La DGDA déplore par ailleurs « l’immixtion dans les opérations de dédouanement des services non habilités à prester aux frontières », lit-on dans le rapport du gouvernement sur l’exécution de la loi de finances publiques 2018. Les recettes des douanes et accises mobilisées au premier semestre 2018 se chiffrent à 836.8 milliards de FC. 

Comparées aux prévisions de ladite période qui sont de  1 275 2 milliards de FC, ces recettes n’enregistrent qu’un taux de réalisation de 65.6 %. Les recettes des impôts généraux sur les biens et services n’ont été captées qu’à hauteur de 40 %, celles des droits de douane et autres droits à l’importation à près de 32 % et 0,6 % pour ce qui est des taxes à l’exportation ainsi que des amendes et pénalités. D’après la DGDA, ces contreperformances résultent non seulement de la politique des exonérations poursuivie par le gouvernement mais aussi par « la porosité des frontières à la base de la fraude douanière, l’insécurité récurrente et le mauvais état de routes dans l’Est du pays ». 

Ici, le gouvernement a levé l’option de céder aux privés la réhabilitation et la gestion sur une certaine période de différentes routes. Toutefois, la DGDA déplore pratiquement sa mise à l’écart sur des produits pétroliers. Jusqu’à fin juin 2018, la douane n’avait pas encore perçu le moindre sur le stock de sécurité émargeant dans la structure des prix des produits pétroliers comme droits d’accises. Pour 2019, la douane table sur des recettes 45 990 229,78 dollars sur les droits de douane sur les produits pétroliers.

La Camorra d’Ituri 

Mais voilà trois ans déjà que la douane déplore la « contrebande massive du carburant » dans l’Est. Différentes stations-services de la province de l’Ituri, particulièrement à Bunia, opèrent avec des produits pétroliers de la contrebande sous couvert de la société I and I, déplore la DGDA. En 2016, Deo Rugwiza, le directeur général de la DGDA, avait déjà pointé du doigt sur cette entreprise qui se nomme en réalité Ingenieria et Innovazione, basée en Ituri qui, selon lui, fait entrer de force des camions citernes de carburant importé, sans rien payer à l’État. L’entreprise italienne a toujours balayé ces accusations du revers de la main. 

En Ituri, la principale activité de I and I consiste en la location des engins lourds de génie civil. « C’est depuis longtemps que nous dénonçons le comportement de cette entreprise qui veut faire passer ses produits, sans les déclarer et rien payer. S’ils avaient une exonération, ils allaient la présenter. Or, ils n’en ont pas du tout »,  s’est offusqué Deo Rugwiza. Selon la presse locale, plusieurs services étatiques ont indiqué que la contrebande des produits pétroliers se  pratique à grande échelle depuis fin 2015. 

Mais le cas le plus flagrant s’est produit le dimanche 14 août 2016 quand des  hommes armés de l’armée régulière de la RDC ont fait irruption à la douane et sorti de force une trentaine de camions citernes. Quarante-huit heures plus tard, ils récidivent en arrachant aux douaniers neuf autres camions chargés de carburant. À mi-2016, la DGDA accusait un manque à gagner de plus 21 millions de dollars du fait de la contrebande pétrolière attribuée à I and I. De toutes les régies financières, la DGDA a été la moins performante dans la maximisation des recettes de l’État au premier trimestre 2018, renseigne la Banque centrale du Congo. 

La douane se heurte à des filières des contrebandiers jouissant des ramifications solides dans l’appareil administratif de l’État, fustige-t-on à la DGDA. Pourtant, le ministre des Finances avait rassuré d’armer la douane d’un arsenal des textes réglementaires, des décrets, des arrêtés interministériels et ministériels ainsi que des circulaires ayant pour effet d’assainir l’environnement aux postes frontaliers. Mais dans la pratique, ces dispositions n’ont guère porté des effets attendus sur terrain, particulièrement dans les postes frontaliers de l’Est (Mahagi, Kasindi…) où, bien souvent, selon les propres dires du directeur général de la DGDA, sortent et entrent des camions remplis de diverses marchandises sous escorte des éléments lourdement armés des forces de l’ordre. La non-application de l’ordre opérationnel limitant à quatre le nombre des services pouvant intervenir aux postes frontaliers a une incidence négative sur les recettes des services de douane, d’après la direction générale de la DGDA.  Les prévisions 2019 des droits de sortie de l’or et du diamant artisanal ne sont que de 4 336 492 173 FC, respectivement 3 509 874 819 FC pour le diamant  et 148 230 399 FC pour l’or artisanal. En appliquant le taux de change moyen de 1 747 8 FC/USD, repris dans le projet de loi de finances 2019, document n°1, les prévisions des recettes des exportations de l’or artisanal sont donc de 84 809,70 dollars. 

Pourtant, selon l’ONG américaine The Sentry, l’or extrait dans les régions en conflit dans l’Est alimenterait de grandes entreprises américaines après avoir été raffiné en Ouganda, à Entebbe, par l’entreprise African Gold Refinery (AGR) du bijoutier belge Alain Goetz. En 2017, AGR a exporté de l’or d’une valeur d’environ 377 millions de dollars vers Dubaï. Selon les Nations-Unies, rapport 2017, 300 à 600 millions de dollars d’or sont exportés frauduleusement chaque année de la RDC. 

Les directives du gouvernement à la DGDA bafouées par l’État lui-même   La DGDA ne devrait réaliser que 64,2 % de ses assignations à fin décembre 2018, selon des estimations les plus optimistes des experts maison. Pour 2019, le gouvernement table sur 8 grandes directives afin que la douane réalise 2 645 403 760 146 FC. La DGDA doit procéder à la mise à jour du tarif des droits et taxes à l’importation et à l’exportation, à travers la loi de finances 2019, en vue de l’adapter aux dispositions du nouveau code des accises. La douane doit mettre en application le code minier révisé, particulièrement en ce qui concerne le passage du taux des droits de douane sur les produits pétroliers de 3 à 5 %. 

Par ailleurs, l’identification des entreprises minières qui ne doivent plus bénéficier des droits d’entrée au taux préférentiel pour avoir accompli au moins six ans d’exploitation devrait aider la DGDA à maximiser ses recettes. Autres directives, la douane doit informatiser ses procédures en matière d’accises, les intégrer dans le tarif conformément au nouveau code,  de nouvelles marchandises et  poursuivre la construction des plateformes logistiques (aires et magasins de dédouanement, entrepôts, etc.) en vue d’une meilleure prise en charge des marchandises.