L’ONU relance le débat sur les frais d’envoi exorbitants

Selon la Commission économique pour l’Afrique, le coût moyen dans le monde pour un envoi de 500 dollars est de 5 %, soit 25 dollars. Il monte à 7 % pour un envoi de 200 dollars. On est donc loin des 3 % fixés par les Nations Unies dans le cadre des Objectifs de développement durable.

IL EST URGENT que les pays du Nord réduisent les frais bancaires liés aux transferts d’argent, estime la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA). Actuellement, les coûts sont énormes. L’idéal serait que durant cette période de pandémie de coronavirus, les institutions financières, épaulées par les gouvernements, réduisent à zéro les frais de transfert d’argent. En 2017, par exemple, les banques ont engrangé 30 milliards de dollars en commission sur ces transferts. 

Par ailleurs, l’ONU incite tous les pays à inclure les migrants dans leur offre de protection sociale, afin qu’ils puissent continuer à aider leurs proches en Afrique.

Enfin, les gouvernants doivent prendre en compte les entreprises de transferts d’argent dans les activités dites « essentielles », afin « qu’elles puissent rester en activité pendant les périodes de confinement ».

Baisse des transferts

La baisse des transferts de fonds est anticipée par les Nations Unies pour l’année 2020 en raison de la crise qui sévit. Soit 18 milliards d’euros de recettes en moins pour le continent. À Saint-Denis, à Paris en France, par exemple, la générosité des diasporas est mise à rude épreuve par la crise économique. En France, le transfert d’argent est un secteur économique florissant. 

En 2019, il s’est chiffré à 11,9 milliards d’euros, via des canaux d’envoi formels et informels, selon les chiffres de la Banque de France. Ces fonds sont envoyés principalement vers le continent africain, suivi par l’Europe et l’Asie.  La ville de Saint-Denis semble activement participer à cette économie, tant les agences où il est possible d’envoyer de l’argent sont nombreuses (Western Union, MoneyGram, Ria pour ne citer que les plus connues). Une douzaine, rien qu’en centre-ville. Aux guichets « officiels » des grandes entreprises spécialisées s’ajoutent de multiples commerces de type taxiphones qui, en partenariat avec ces dernières, proposent également ce service. Et c’est sans compter les banques classiques, d’où les virements vers l’étranger sont possibles, et le service de mandat international de La Poste.

Un cas : Mamadou est un migrant de 33 ans. En France, il est livreur et il envoie régulièrement de l’argent à ses parents qui sont en Côte d’Ivoire. « 200 à 300 euros chaque mois, et au minimum 100 euros les mois où mon salaire baisse, selon le nombre de livraisons que j’effectue. », confie-t-il. Sans cette manne, ses parents ne pourraient pas s’en sortir financièrement, explique-t-il. « J’ai la chance de ne pas trop être impacté par la crise. Le secteur de la livraison a continué à bien tourner, notamment pendant le confinement, où j’ai davantage été sollicité. Mes revenus n’ont pas baissé, au contraire. » 

C’est loin d’être le cas pour tout le monde. Interrogées, plusieurs agences disent recevoir moins de clients depuis le début de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. La baisse est notamment observée pendant le confinement, où l’activité est particulièrement calme. « Les sommes envoyées par les clients sont également moins importantes », confie un gérant de taxiphone. 

Un constat aussi dressé au niveau international par la CEA, qui s’alarme de la baisse des transferts de fonds en 2020. Selon ses prévisions, elles chuteraient de près de 21%, passant de 85 milliards de dollars à 67 milliards. Un phénomène qui s’explique par le fait que les populations issues des différentes diasporas du continent africain, parfois précaires, comptent parmi celles qui sont le plus frappées par la crise économique engendrée par la crise sanitaire que l’on connaît.

« C’était dur avant, mais depuis le coronavirus, c’est pire. Vraiment pire », témoigne une dame. Comme elle, cette technicienne de surface envoie elle aussi régulièrement de l’argent à sa famille en République du Congo. Une centaine d’euros par mois dont dépendent son fils et sa mère, veuve et sans emploi, pour survivre. 

Mais la somme est devenue conséquente dans le budget de cette mère de famille en raison de la crise. « Mes heures de ménage ont diminué et je n’ai pas du tout travaillé pendant les deux mois de confinement. Mes revenus, déjà peu élevés, ont donc nettement baissé cette année, explique-t-elle. Heureusement, mes frères et sœurs vivent eux aussi en France, alors on se relaie pour subvenir aux besoins de la famille restée au pays. »

Les chiffres sont tabous

Impossible de déterminer avec précision la somme globale envoyée chaque année à l’étranger. Si la Banque de France et la Banque mondiale détiennent des chiffres au niveau national, elles disent ne pas disposer d’informations concernant les villes ou autres entités. Les entreprises spécialisées refusent de communiquer leurs chiffres qu’elles tiennent à garder confidentiels. Un gérant de taxiphone confie tout de même qu’en 2020, 30 000 euros par mois en moyenne ont été envoyés vers l’étranger depuis son commerce. Un autre cite, lui, la somme de 40 000 euros, « et parfois jusqu’à 100 000 euros, les bons mois ».

En Afrique, au cataclysme sanitaire annoncé, la Banque mondiale pronostiquait en avril 2020 un assèchement des transferts d’argent diasporiques (principale source de revenus pour les familles), de l’ordre de 23 % pour l’Afrique subsaharienne et 20 % en Afrique du Nord. Non seulement, les flux n’ont pas chuté lourdement comme le prévoyait la Banque mondiale, mais dans certains pays, ils tendent à stagner (Sénégal, Mali…) voire à augmenter (Tunisie, Egypte, Comores, Cap vert, Maroc, Kenya…)

Face à ces réalités cinglantes, les experts de Washington ont été contraints de réajuster à fin octobre 2020 leurs prévisions à l’optimisme, avec des baisses nettement plus modérées : 9 % (contre 23 %) en Afrique subsaharienne et 8 % (contre 20 %) pour l’Afrique du Nord. Des données à peine publiées et aussitôt remises en cause par les communications financières de banquiers centraux des grands et petits pays africains récipiendaires. 

Ainsi, Bank Al Maghrib au Maroc (3è rang africain et 2è rang en zone MENA en termes de transferts d’argent) a enregistré publiquement à début novembre 2020, une hausse de 2,2 % des transferts des MRE (Marocains à l’étranger) sur les 9 premiers mois de l’année.

Mieux, la CBE, Banque centrale d’Egypte (2è rang africain et 1er en zone MENA) a salué une année historique culminant à 27,8 milliards de dollars, soit 10,4 %. En Tunisie, l’augmentation de 8,6 % des transferts de la diaspora sur les dix premiers de l’année telle qu’annoncée par la Banque Centrale de Tunisie, a déclenché une vague de reconnaissance inédite envers la diaspora. Mêmes tendances observées au Kenya, Comores, Cap Vert…